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Billet de blog 17 mai 2017

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“Malgré tout” : en l'an 0 après Macron, les bonnes nouvelles de la présidentielle

Oui, nous avons perdu. Oui, ces élections ont fait pitié. Oui, tout ça donne envie de vomir. Mais malgré tout, si l'on y réfléchit à deux fois, l'analyse de ce scrutin peut nous donner quelques raisons d'espérer. Petite tentative de lecture optimiste des évènements.

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C’est acté. Notre nouveau Roi a pu se pavaner toute une journée durant, en jeep ou en sautillant sur le perron de l’Elysée, devant les caméras énamourées de la télévision, qui rarement sans doute dans l’histoire des médias français se sera vu sombrer dans un tel degré de pâmoison monarchiste, de propagandisme éhonté et de désinformation grandiloquente, se vautrant avec indécence, comme autant de teckels affamés recevant enfin leur ration de croquette, dans les images grotesques, pathétiques et préfabriquées échafaudées par les communicants de Manu-1er, Manu-le-Magnifique, Ubersturm-Manu, bref, la nouvelle incarnation du Sauveur venu nous apporter la rémission de nos péchés dans la joie, l’allégresse et le respect des saintes paroles du CAC-40. Depuis le temps qu’il en rêvait, c’est fait : Pierre Gattaz est président. Ces élections, à touts points de vue, auront donc été surprenantes certes, mais surtout pitoyables, tant en termes de débat d’idées que de traitement médiatique de la chose. On aura vraiment touché le fond du bol –et au fond de ce bol, il y avait Christophe Barbier, qui barbottait dans ses propres excréments.

Pour autant, bien qu’étant d’un caractère volontiers pessimiste, voire nihiliste, je me force à trouver dans ce merdier des raisons d’espérer. En voici quelques unes. Trois, en fait. 

1. La grande « mise à nu »

Notre « système » (j’entends par là l’ensemble des instances d’exercice et de légitimation de la domination –en l’occurrence, celle du capital et de ceux à qui il apporte ses bienfaits. Nul complot en vue.), comme tout pouvoir soucieux, à juste titre, de ne pas paraître de façon trop évidente pour ce qu’il est, repose fondamentalement sur une vaste entreprise de dissimulation. Une domination arbitraire ? Non, un « principe de réalité ». Une idéologie ? Non, un « pragmatisme ». On serait ainsi bien en peine de dresser une liste exhaustive des travestissements auxquels s’est livré le système, dont la grande passion, et il y va là de sa survie, est de nous faire passer les vessies pour les lanternes, et n’est jamais avare de stratagèmes de type chapeau-lapin, jeu de carte truqué et boîte-mystère pour nous faire prendre la droite pour de la gauche, l’extrême-droite pour de l’extrême-gauche, un édito ultralibéral pour une marque de bon sens ou encore, bien évidemment, un banquier pour un « anti-système ».

Cela dure depuis longtemps. Mais, force est de le constater, durant cette présidentielle improbable, le rideau de fumée s’est quelque peu dissipé.

En ce qui regarde les médias mainstream, tout d’abord. Même aux yeux des plus crédules et/ou des plus bienveillants à leur encontre, ceux-ci ont fait preuve d’une telle assurance dans leurs parti-pris macronistes (ou fillonistes, de la part de certains éditorialistes en roue libre que même une annonce de liens avérés du candidat LR avec un cartel mexicain de la drogue n’aurait pas ébranlés outre mesure), dans leur méconnaissance totale de ce qui fait le quotidien des français, dans leur capacité à énoncer avec un aplomb déconcertant des conneries grosses comme Alain Duhamel, que beaucoup ne sont plus dupes. Peut-être pas encore la majorité, bien sûr. Et bon nombre de ces dessillés puisent désormais leurs sources dans des marigots tout aussi nauséabonds où le faux se mêle volontiers au douteux, voire à l’infâme –ces fameuses « fake news » que le mainstream a eu beau jeu de présenter comme la preuve éclatante de son propre bon droit, mais qui ne sont en fait que le revers logique leur incompétence à donner un sens politique, donc collectif, à des « réalités » qui ne sont jamais pour eux que le moyen de confirmer leurs parti-pris idéologiques inavoués. Mais le fait est là : le corps social, déjà un peu interloqué par les échecs de "ses" (ceux des industriels, plutôt) médias à voir venir le Brexit, Trump, les résultats des primaires, et j’en passe, commence désormais à bien considérer ceux-ci pour ce qu’ils sont : des pantins, et des incapables, par-dessus le marché. Beaucoup ne s’y fient plus. L’extrême-droite a beaucoup su capitaliser sur ce rejet, et c’est bien dommage. Mais nul doute que la gauche (et la France Insoumise a déjà commencé le travail) saura lui damer le pion -je l'ai dit, je m'essaye ici à un exercice d'optimisme.  

Deuxième point de la mise à nu : celle du pouvoir du capital. Frédéric Lordon, dans son excellent papier intitulé Macron ou le spasme du système, l’a bien montré : après avoir perdu son temps, pendant des décennies, à mettre ses candidats en forme politique présentable à coups de parcours interne dans les partis, de primaires, bref tout ce qui est sensé nous prouver, bien qu’artificiellement, que le bidule est issu du jeu démocratique, désormais le capital ne veut plus s’emmerder. Ayant trouvé sa chose fonctionnelle idéale, sa créature banquière-énarque-Alainminquisée jusqu’au trognon, dotée en plus d’une dimension people apte à faire passer plus facilement la pilule, elle le bombarde directement, faisant appel à l’ensemble de son réseau et de ses leviers d’influence, dans la course à la présidence, avec le résultat que l’on sait. Macron, candidat du système ? Bien évidemment, et personne doté d’un QI supérieur à à peine trois fois celui de Ruth Elkrief (soit deux fois celui d'une huitre, et une fois et demi celui d'une pendule) ne peut raisonnablement en douter. Ce qui donne aux français –et au monde entier- une occasion historique unique depuis le début de l’hégémonie "hayekienne", dans les années 80 : celle de voir le capitalisme néolibéral pro-finance européiste, même pas dissimulé, prendre les rênes du pouvoir, presque sans fard ni masque. Macron, ancien banquier, dont le QG de campagne appartenait au directeur de l'institut Montaigne, soutenu par la grande majorité des médias et la plupart des grands patrons du Medef, qui le soir du premier tour va dîner à la Rotonde avec l’élite, et le lendemain de son élection, après avoir nommé un premier ministre de Les Républicains, s’envole aussitôt prêter allégeance à la Merkel. Tout est là. Sans même un slip ou un cache-sexe.  

Alors, bien sûr, bon nombre, si ce n’est la plupart, de nos concitoyens détournent encore les yeux. La chose est là, devant eux, et ils refusent de la voir. Mais, comme on dit : le roi est nu. Le système est à poil, posé la bite à l’air sur son piédestal comme un coq sur son tas de merde, et il a beau jeu de renvoyer au fascisme tout ceux qui le pointent du doigt : de moins en moins de gens y croient. L'ennemi n'est pas à terre, loin de là, mais il a laissé ses fringues au vestiaires ; c'est une opportunité. A nous d'en profiter.     

2. La « divine surprise » de la France Insoumise

La recomposition politique actuellement à l’œuvre va dans le sens de ce dévoilement. La victoire de Benoit Hamon face à Manuel Valls lors des primaires du Parti Socialiste a été, dans ce processus, un évènement-clef. En portant à sa tête un candidat réellement de gauche, le PS a en effet effet permis une clarification de la ligne de démarcation idéologique, envoyant tous les vallso-hollandistes dans les bras de Macron, donc de la droite. Car là-dessus non plus, la supercherie n’a guère duré : même en se présentant comme n’étant « ni de droite ni de gauche », le nouveau candidat n’a pas convaincu grand’ monde ; dans les gens qui m’entourent, même ceux qui penchent à droite, l’évidence, pour eux, est là : cet homme n’est pas de gauche. D’une certaine façon, même si beaucoup sont encore incapables de le formuler ainsi, de mettre des mots sur ce qu’ils pensent, l’idée est la suivante : Macron est libéral, donc de droite. Ayant déserté les rangs du PS par la faute (ou grâce) à Hamon, le libéralisme apparaît pour ce qu’il est, une pensée de droite, renvoyant dans les limbes de l’aberration politique un chimérique « libéralisme de gauche » grillé à point par cinq années de hollandisme et par un Valls sur lequel il est désormais inutile de taper, tant il s’est lui-même démené pour enfoncer sa propre tête jusqu’au fond des chiottes. La mort du PS aura au moins servi à ça. 

Et là-dessus, sur ce terreau, qu’est-ce qui est apparu ? La France Insoumise qui, au premier tour, a atteint les 19,5 %. Si l’on cumule avec le score de Hamon (j’en profite pour faire passer un message à nos deux brillants stratèges : vous êtres vraiment trop cons. Allez vous faire foutre. Il va falloir penser à mettre de côté les ambitions électoralistes et les querelles d'ego, les gars.), cela donne 26% pour la gauche antilibérale. C’est énorme, et inespéré. Laissons Hamon de côté -il est cuit, et le PS avec lui. La percée de la France Insoumise, grâce au talent de Mélenchon (autant ne pas avancer masqué : j’ai bien évidemment voté pour lui, même si le personnage m'énerve parfois. Et blanc au deuxième tour.) mais aussi au dynamisme de ses militants, demeure la principale bonne nouvelle de ces élections à la con. On pensait la « vraie » gauche (la seule qui soit, en fait) morte et enterrée, vaincue par l’indifférence médiatique et les attaques de l’oligarchie, et les prolos épuisés par des décennies de nuit libérale et de désinformation généralisée voués à se diriger vers le trompe-l’œil du FN et de son capitalisme poujadiste. Mais non. La Commune n’est pas morte. Ne laissant pas à des leaders lepenistes passés maîtres dans l’art de la profanation de sépultures (pauvre Jaurès) et de la récupération des légitimes colères populaires le monopole de la dénonciation, la France Insoumise est parvenue à entamer un processus difficile, celui de la reconquète de cet électorat en souffrance et délaissé, autour de thèmes démocratiques essentiels, que les propagandistes néolibéraux seraient bien heureux de laisser aux seules mains de l’épouvantail-repoussoir-idiot-utile front-nationaliste (quant à ce qui est de la sincérité du FN sur ces sujets, voir l’article du Monde Diplomatique de ce mois-ci : tout y est dit, sous la plume de Renaud Lambert, à propos de ces faux-culs xénophobes et, quoiqu'ils en disent, pro-capitalistes) : la question de l’Union Européenne, en sortir ou pas, l’euro, le protectionnisme, la finance. Et ajoutant à ceci, bien sûr, des thématiques que, pour le coup, le FN ne nous volera jamais : l’ouverture de nos frontières à tous les migrants, l’écologie, le passage à une République plus représentative, et j’en passe.

Le vote FN (tout comme, aux Etats-Unis, le vote Trump) n’est pas nécessairement la preuve d’un racisme forcené. C’est pour partie un vote de souffrance, d’ignorance, d’égarement, issu d’une confiscation de la parole politique. Beaucoup d’électeurs frontistes peuvent ainsi parfaitement rejoindre les rangs de la France Insoumise, comme cela s’est déjà observé (notamment au sein du monde ouvrier, qui représente dans les 24% du vote Insoumis) pendant les élections, non pas bien sûr car ces partis seraient les mêmes, mais parce que les gens qui votent FN par ras-le-bol, si on leur montre qu’ils se trompent de colère, feront ce que leur dictera leur intelligence, et voteront pour le parti majoritaire de la gauche, donc la France Insoumise (ou Poutou, ou n’importe quel autre, s’ils le souhaitent, bien sûr). C’est l’enjeu électoral à venir. A voir si Mélenchon sera à la hauteur, et ne péchera pas par volonté de tracer sa route tout seul –il a l’air mal parti, mais bon. Il n’en reste que la gauche antilibérale est désormais l’une des principales forces politiques du pays, et c’est une véritable bouffée d’air frais. Comme l'a écrit Olivier Todd dans Arrêt sur Images : "la structure du vote Mélenchon, qui réconcilie tous les groupes sociaux, et notamment les éduqués de tout niveaux, est une raison d'espérer, pour un jour prochain, l'émergence d'une France toujours insoumise mais aussi fraternelle".

3. La résistance du corps social à l’arnaque pseudo-démocratique contemporaine

Ce travail politique et idéologique sera peut-être facilité par ce qui représente la dernière bonne nouvelle de ce scrutin : les français, à ce qu’il semble, commencent à massivement se rendre compte qu’on les prend pour des cons. Là encore, évidemment, ce n’est sans aucun doute pas la majorité, mais tout de même. Daniel Schneidermann, dans un très bon papier (le Matinaute du 15/07/17), le lendemain de l’investiture, a mis le doigt sur l’impensé, le pas-vu, le parle-à-mon-cul-ma-tête-est-malade, des journalistes occupés à commenter l’avènement de leur candidat : les rues vides. « L'envolée performative a ses limites, écrit le chroniqueur. Au-delà des véhicules militaires et du parc automobile, des tenues chamarrées des "personnages importants de l'Etat", des rétrospectives Mitterrand-Sarkozy-Hollande, de tout cet appareillage à faire "aimer" l'Etat en ses incarnations successives, l'image la plus obstinée de la journée, ce furent les trottoirs vides de Paris. Bruine ou éclaircies, ils restèrent désespérément vides. Vide la place Charles de Gaulle. Vide la place de l'Hôtel de ville, que montraient les impitoyables plans aériens. Mais la machine semblait ne pas les voir, ces trottoirs vides, qui criaient pourtant l'indifférence populaire à cette journée de Sacre. Toute une machine tournait à vide, et se voyait tourner à vide, car la machine a des yeux, et ces yeux voyaient comme les nôtres ces trottoirs vides. C'est un vrai talent, toute une journée, de parvenir à ne pas voir l'immanquable éléphant dans le couloir ». C'est remarquablement dit. Et pourquoi ce vide ? Pourquoi, dans les rues, le soir du second tour, cette absence, à l’échelle nationale, de réactions enthousiastes (si vous avez pu en observer dans votre ville, faites-moi signe) ? Pourquoi cette indifférence générale ? Parce que les gens s’en foutent. Beaucoup ne sont pas dupes : ils ont compris. Le grand gagnant du scrutin, ça n’a pas été Macron ; ça a été la lucidité d’un corps électoral qui, désormais, renâcle à tomber dans le piège prétendument démocratique d’avalisation du même contre le pire, que l’on tend systématiquement devant lui. Ça a été le geste des 37%, ces 12% blancs et 25% d’abstention, qui signifiaient, ainsi, leur refus résolu de la mascarade « républicaine ». Aujourd’hui, il est difficile de savoir ce que ces 37% deviendront. Le risque est que cela soit finalement la passivité qui, face à la farce, l'emporte. Mais une chose est sûre : si tous rejoignent la France Insoumise et/ou montent des barricades lors des prochaines Lois Travail, j’en connais certains qui vont devoir aller mettre leur costard au pressing. Car comme le disait Bartolomeo Vanzetti avant son exécution : « La seule vengeance qui m'apaiserait, c'est l'avènement de la liberté, la grande délivrance qui profiterait à mes amis et aussi à mes ennemis. Tous. Mais jusque-là, la lutte continue, jusqu'à la lutte corps à corps, jusque-là la lutte est notre devoir, notre devoir inéluctable. Ou nous devons continuer et vaincre, ou nous devons demander un armistice ».

Salut & fraternité,

M.D.

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