Certes, l’affaire date un peu désormais -date un peu sur l’échelle des polémiques à la con, c’est à dire plus d’une semaine-, mais elle m’est restée là, et je vous prie d’imaginer mon doigt en train de désigner ma gorge. Le point de départ pourrait faire rire s’il n’était pas symptomatique des attaques subies à feu nourri par la gauche, fusse-t-elle aussi réformiste que celle de la France Insoumise, dans l’espace médiatique de notre cher pays que j’en peux plus vraiment c’est quand qu’on refait la révolution par pitié : une série de visuels émis par LFI donc, et mettant en scène diverses personnalités du monde politico-médiatique avec cette mention : « [nom de la personne] vote, et vous ? »
Une façon un peu rigolote, et bien inoffensive, de rappeler que la bourgeoisie et ses soutiens (étaient aussi visés : « Les riches/les golfeurs/les raciste ») votent pour leurs intérêts, et d’appeler donc la classe populaire à s’inscrire sur les listes électorales pour faire de même. Un propos pertinent, mais aussi subversif que Benoît Hamon est anarchiste.
Anarchiste d’ailleurs, moi je le suis, et pour de vrai, et ne suis membre d’aucun parti, même si je vote et admet sans problème où vont mes sympathies. Mais je sais reconnaître une campagne de dénigrement systématique contre le camp de l'émancipation quand elle a lieu. Et me fais honneur, ou en tous les cas principe, de ne pas y contribuer.
Il semblerait cependant, et malheureusement, qu’avec quelques autres camarades de Mouais et d’ailleurs, îlots d’indépendance médiatique dans la fosse septi-journalistique ambiante, nous soyons bien seul·e·s à pratiquer cette éthique.
Ces visuels badins de type tu-rigoles-tu-oublies, en plus de la hargne « c’est Voltaire/Marianne/Socrate/Jésus/le principe du Bien lui-même qu’on assassine » de la classe bourgeoise qu’ils visaient -signe finalement que le tour était plutôt réussi, quoique certes il lui en faut bien peu-, se sont ainsi attiré la haine, hélas pas si inattendue, de syndicats de journalistes, pour des raisons qu’il est difficile de désigner autrement que corporatistes. Soit une « attitude qui vise à défendre exclusivement les intérêts d'une catégorie professionnelle donnée », ici les « journalistes » dans une acceptation très -très- large, y compris quand cela se fait au détriment de toute cohérence idéologique.
Et voilà donc tous les journalistes de l’hexagone, y compris certains que l’ont pourrait suspecter de compétence, de sortir les rames pour venir chercher Saint-Cricq à la mer. La CFDT (bon, la traîtrise ici c’est comme le Port Salut, c’est quand même sacrément marqué dessus) s’est ainsi exclamée sur Twitter-X : « Cette campagne France Insoumise est aussi odieuse que dangereuse et rappelle les méthodes couramment utilisées à l'autre bout du spectre politique. Critiquer le travail de journalistes ou d'éditorialistes, oui. Les soumettre à la vindicte populaire, NON », avant d’exprimer son « soutien aux concerné.e.s ».
Quant au SNJ-Journalistes, « premier syndicat de journalistes », il a affirmé : « Allô France Insoumise ? Il est totalement INADMISSIBLE qu'un parti politique cible un journaliste en particulier et le désigne comme un ennemi On peut ne pas apprécier le travail d'un éditorialiste, et le dire, sans livrer les journalistes à la vindicte populiste ».
Quand ça sort son plus beau caps lock à la Trump pour exprimer son indignation sur les réseaux, croyez-le bien, c’est qu’il n’est plus le temps de rire.
Plus largement encore, comme l’a relevé Acrimed dans un excellent article, « alternant remontrances et câlinothérapie, les hauts-gradés du service public répondent évidemment présents. Présentatrice du “12.13 info” sur Franceinfo et chroniqueuse dans “C à vous”, Émilie Tran Nguyen rend un hommage appuyé à sa consœur traînée dans la boue : “Mon plein soutien à Nathalie Saint-Cricq, grande journaliste politique, libre, sincère. Je tiens ici à saluer son professionnalisme sans faille et la rigueur qu’elle met depuis toujours au service de son métier.” Julian Bugier, présentateur du “13h” de France 2, dirait même plus : “Nathalie est une grande pro et une super journaliste.” La société des journalistes de France Télévisions-rédaction nationale y va de son communiqué officiel contre le “dénigrement” de l’éditorialiste. Lequel est relayé ensuite par la SDJ de Franceinfo, qui “apporte son soutien total à Nathalie Saint-Cricq”. Aux grands personnages les grands moyens, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, sort le mégaphone : “Nathalie Saint Cricq ciblée dans une campagne politique. Les attaques politiques contre les journalistes qui exercent librement leur métier sont inacceptables. Nous ne pouvons pas laisser passer : France Télévisions saisit la justice.” »
« Une grande journaliste politique, libre, sincère ». Nom de nom. Et si, finalement, en visant Natoche, ce n’était pas la tombe et jusqu’au cadavre d’Albert Londres himself qui avaient été traînés dans l’urine fétide de la gauchisterie de la plus nauséabonde ? Et si à travers elle, ce n’était pas nous tous, férailleurs impénitents de la liberté inaliénable qui est celle de la presse libre et sans rivages, qui étions attaqués ?
Alors, on a bien ri, mais : non.
Humble journaliste punk-à-chat tendance gonzo dont l’opinion n’engage que celleux (oui je cause inclusif pardonne-moi Nathalie qui est notre fierté et notre honneur) que ça intéresse, je tiens néanmoins, malgré et en raison de ce médiocre statut, à clarifier deux point fondamentaux, relatifs à la vision même que je me fais de l’éthique journalistique.
Premier point. Je tiens fermement à la différence qui doit être faite entre éditorialisme et journalisme. L’éditorialisme d’un côté, voit des personnes grassement payées -et la plupart du temps de droite, voire de l’extrême-droite, mais comme c’est bizarre- pour simplement exprimer leurs opinions, y compris sur des sujets pour lesquels ils n’ont aucune expertise. Il peut/doit exister -même s’il serait préférable, voire tout simplement conforme à la légalité, qu’il soit plus équilibré politiquement dans les médias dominants, notamment publics. Et c’est par ailleurs ce que je fais généralement sur ce blog. Mais ça n’est pas du journalisme -une activité qui consiste à enquêter, creuser, interroger, chercher, trier, sourcer, visibiliser, donner voix aux sans voix, être un contre-pouvoir, se montrer critique de toutes les dominations.
Ou bien alors que l’on distribue des cartes de presse dans tous les cafés et vestiaires d’usine du pays, histoire que les prolos pour changer aient aussi le droit à des avantages défiscalisés pour exprimer le fond de leur pensée -qui sera toujours plus pertinent que n’importe quelle opinion, sur n’importe quel sujet, de Pascal Praud.
Journaliste indépendant menant ma plus belle vie aux côtés de médias liés à aucun pouvoir politique ou financier, je suis et serai toujours et à jamais solidaire ma classe, la populaire, luttant pour son émancipation -et de sa « vindicte » bien compréhensible et bien légitime contre la classe qui la domine et l’exploite avec le soutien de ses larbins de plateaux si « libres et sincères ». Christophe Barbier et Nathalie Saint-Cricq sont les incarnations de tout ce que nous combattons. Ce sont des ennemis politiques dont nous contestons radicalement et les idées et le statut, et ce n’est pas leur « mettre une cible » que de le dire, tant que cela se fait dans les règles du débat démocratique, comme c’était le cas pour ces visuels.
Ce ne sont pas et ne seront jamais des collègues, au même titre que ce bouffon d’Hanouna, et je préfère cent fois arrêter la bière que de boire un pot avec eux.
Des syndicats comme le SNJ-Journalistes auraient mieux à faire que d’exprimer un soutien inconditionnel à ce qui fait la honte de notre profession. Par exemple, s’inquiéter des attaques contre la presse libre venant autant de l’extrême-droite que du pouvoir. Ou encore les piteux biais d’analyse, voire les contrevérités manifestes, dans le traitement d’un sujet aussi grave que le massacre d’une population civile entière en Palestine, sous le regard enthousiaste et criminel des éditorialistes qu’ils défendent bec et ongle.
Des enfants crèvent de famine sous les bombes et ils s’en foutent. Leurs patrons milliardaires détruisent la planète et ils applaudissent. Ces éditorialistes constituent une caste toxique, et méritent évidemment qu’on les critique.
« Le travail d’un médecin est de soigner ses patients, la tâche d’un chanteur est de chanter. Le seul devoir d’un journaliste est d’écrire ce qu’il voit » (Anna Politkovskaïa, journaliste née en 1958 et morte assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou). Et non pas de parler sur tous les plateaux de la société ultra-capitaliste et autoritaire dont il rêve.
Salutations libertaires,
Mačko Dràgàn
Journaliste à Mouais
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J’ai aussi fait un bouquin : https://editions-terresdefeu.com/catalogue-2 Je serai en tournée le 20/03 à Plessé, le 21/03 à Clisson et le 22/03 à Rennes

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