A moins d’avoir trouvé refuge dans la filmographie récente de Frédéric Diefenthal, vous n’avez pas pu passer à côté de cette énième « polémique » à la con, polémiques il est vrai en ce moment aussi nombreuses que les accusations de viol et/ou de conflit d’intérêt dans le gouvernement Macron : « Mangez vos morts », a ainsi enjoint récemment la députée insoumise Danièle Obono à ceux « qui instrumentalisent la lutte des femmes en Iran contre l'oppression pour insulter et disqualifier la lutte des femmes en France contre l'oppression ». Que n’avait-t-elle dit ! Sur Cnews, où on n’est jamais vulgaire, c’était la sidération ; Ciotti, après avoir regardé ce que ça voulait dire sur Google, a dénoncé des propos « inqualifiables et indignes de la fonction de député de la Nation », et Gilbert Collard (qui a sans doute oublié le doigt d’honneur de son gourou Zemmour à Marseille) a salué ironiquement « la classe » d'Obono, parce que, saperlipopette, une députée, d’ailleurs c’est bizarre, ces deux « e », là, normalement on dit député avec un « e », une cravate, et deux couilles, un député, donc, déjà ça n’est pas une femme, ça n’est pas Noir, et ça ne parle pas comme ça, non, ça cause comme Balladur qui aurait mangé Giscard, pas comme ta sœur, ton frère ou quelqu’autre membre de ces misérables petits 48 % de la population adulte que représentent les « CSP- » (ou catégories socioprofessionnelles « inférieures », ce qui est beaucoup plus joli que « classes populaires »).
Alors, premier point. « Mange tes morts » c'est une expression manouche, un excellent album des Têtes Raides -leur deuxième, et mon préféré, notamment car dessus il y a la chanson « Cosette »-, et c’est aussi un très bon film de Jean-Charles Hue sur la culture yéniche. C’est donc plutôt une bonne référence culturelle. Et deuxième point, qui s’adresse plus spécifiquement aux hordes de macronos et/ou fachos (tel un chasseur mené à devoir distinguer un sanglier d’un promeneur, il m’est de plus en plus difficile de faire la différence) outré par cette indignité-mon-dieu-c’est-Pompidou-qu’on-assassine : vous passez vos vies à nous faire chier. Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous dise de plus que d’aller manger vos morts, à la sauce qu’il vous conviendra (pas sauce algérienne ni sauce blanche, je suppose) ?
Comme l’a remarqué récemment Usul, « un des moteurs de la monté de l'extrême droite c'était la peur du communisme hier, aujourd'hui c'est la haine de la gauche. Ça n'arrête pas en ce moment, chaque jour, au moindre mot de travers, les journalistes, les ministres tout le monde réagit », à tel point que je pense que si Clémentine Autain, Sandrine Rousseau, la Méluche ou tout autre paratonnerre islamo-gaucho-turbo-wokisto-compatible venaient s'immoler par le feu après s’être roulés sur du verre pilé en chantant la Marseillaise en soutien aux Iraniennes et à Samuel Paty, il s'en trouverait encore pour dire que tout ça n’a pas l’air bien sincère. C’est bien simple : si vous êtes une personne estampillée « de gauche », même de loin (je ne parle donc évidemment pas de Fabien Roussel), eh bien vous pourrez faire tout ce que vous voulez, vous serez systématiquement tenu pour responsable de l’intégralité des maux de ce monde, et dieu sait que l’actuel en compte beaucoup.
Regardez, Annie Ernaux. Ça n’aura échappé à personne, 5 ans après Metoo, le backlash anti-féministe est légèrement brutal. C’est donc notamment pour ça que, quand il a été annoncé que le prix Nobel de littérature serait attribué à l’écrivaine française engagée à gauche Annie Ernaux, nous fûmes nombreux, chez les zado-crasseux, à être joie (même si en ce qui me concerne, le Nobel, je l’aurai plutôt filé à une rappeuse). « Ce serait mentir de prétendre que le plaisir ne fut pas redoublé à voir enrager la droite dure et molle, cathotradis et tradicathos », a ainsi écrit Daniel Scheidermann. Bref : nous étions contents. Et il était hors de question pour nos adversaires de laisser prospérer ces irritants sourires sur nos visages. Ils se sont donc indignés du fait que Ernaux ait signé une tribune de soutien à Houria Bouteldja, qu’elle ait appelé au boycott de l’Eurovision à Tel Aviv contre l’apartheid, qu’elle ait critiqué Macron, se soit émue du sort des migrants, et ils ont défendu leur propre champion, à savoir, évidemment, Houellebecq, le héraut soldé chez Monoprix des dominants érudits qui ne connaissent du monde que ce que leur en disent leurs chauffeurs de taxi mais aiment voir du « réel » dans ses délires insipides de bourgeois ennuyé et haineux, Eugénie Bastié s’exclamant ainsi : « Je ne voudrais pas blasphémer, ni aller contre le sens de l'histoire en marche, mais oui, face à la marraine de l'autofiction qui tue la littérature française, j'eusse préféré le Nobel pour Houellebecq, qui a, c'est vrai, le net inconvénient d'être un mâle blanc réactionnaire », et il faut bien dire que 17 femmes (dont Toni Morrison, une Noire ! On croit rêver) titulaires du prix depuis 1901, ça fait tout de même beaucoup.
Même chose pour le climat. De notre côté, cela fait des décennies que nous alertons sur la nécessité de mettre fin à un régime intenable de surconsommation, et sur les ravages que celui-ci cause à notre planète. Avec, en face, un foutage de gueule qui, s’il produisait de l’énergie, nous permettrait au moins de propulser les plus pesantes de nos ordures vers l’espace, et par exemple d’envoyer l’ego de Jupiter sur Saturne, ce qui nous ferait des vacances. « Je baisse, j'éteins, je décale » : c’est ainsi le thème de la nouvelle campagne gouvernementale présentée par Agnès Pannier-Runacher, le but étant de nous inciter à faire un trou de plus dans la ceinture et à arrêter un peu de chouiner sur les pénuries afin que Total & consort puissent continuer pépères pendant l’hiver leurs fantaisies climaticides (et donc nous-mêmes-icides). Et pendant qu’on fera bien attention de couper la wifi en brûlant nos vieux vêtements pour se chauffer tout en économisant du gaz, l’élite hors-sol qui nous demande de faire un peu des efforts ira se vautrer autour d’une table munie de radiateurs tournant à l’huile de pandas broyés pour organiser comme il se doit les jeux asiatiques d'hiver de 2029, qui auront lieu en Arabie Saoudite, fameux pays d’Asie très connu pour ses alpages verdoyants et ses pistes noires à dévaler tout shuss. Il y aura peut-être deux ou trois aménagements à opérer, mais on trouvera bien quelques larbins esclavagisés pour le faire. « Le mode de vie des ultra-riches n’est pas tenable sans les domestiques », nous signale d’ailleurs la sociologue Alizée Delpierre, ce qui alerte tout de même suffisamment sur le degré stratosphérique de toxicité atteint par ces parasites pollueurs même pas foutus de lacer leurs chaussures tous seuls.
Mais tout ça n’est pas très grave. Non : ce qui est grave, c’est que des activistes écolo du collectif Just Stop Oil aient badigeonné de je ne sais quoi, probablement une immonde mixture vegan achetée à Naturalia, le tableau « les tournesols » de Van Gogh (mes pensées les plus émues à la famille de la vitre de protection), à la National Gallery de Londres, afin de nous faire prendre conscience que ces jolis tournesols, que cet artiste de génie avait su si bien faire voir car il avait pour eux tendresse et curiosité, que ces jolis tournesols donc, qui sont avant tout des choses vivantes, bientôt, ne subsisteront plus que dans des peintures de nos musées, tous les autres ayant été noyés dans du béton ou brûlés par les canicules.
Oui, vraiment, tous ceux-là qui passent leur temps à nous reprocher en hurlant le moindre de nos gestes, peuvent bien aller manger leurs morts. A commencer par les indécents gouvernementaux, dont l’une des dernières trouvailles, présentée à grands frais comme une indépassable « mesure d’humanité », consiste à verser 150 euros par mois aux familles qui accueillent des réfugiés Ukrainiens, ce qui serait génial si « en même temps » l’intégralité des autres réfugiés ne faisaient pas traquer et tuer par la police, ne se faisaient pas lacérer leurs tentes, ne devaient pas passer des années, des décennies dans la précarité, la peur et la faim tandis que celles et ceux qui leurs viennent en aide (comme le copain Cédric pour ne pas le nommer), un peu partout dans le pays, subissent une répression digne du plus inhumain des régimes policiers.
Ouais, mangez vos morts. Et nos morts à nous, ceux qui sont vos victimes, nous allons continuer à en prendre soin, et à les honorer. Comme celles et ceux des « refus d’obtempérer ». Ou comme Moussa Balde, que sans doute vous ne connaissez pas. Il fait partie de ces exilés que personne n’aurait pu toucher 150 balles pour accueillir, faute de venir du bon endroit -il était de Guinée Conakry, une misère bien trop lointaine. Ce 14 octobre, s’est tenu au tribunal d'Imperia, en Italie, non loin de Nice, la première audience du procès contre les trois hommes qui, le 9 mai 2021, à Vintimille, l’ont brutalisé, le frappant au sol à l’aide d’un cendrier à pilier. Le lendemain, dès sa sortie de l'hôpital, toujours gravement blessé, Moussa est enfermé au centre de rétention de Turin. Moussa n’était pas présent au procès. Le 23 mai, deux semaines après l’agression, il a été retrouvé mort. Il se serait pendu dans sa cellule. Il avait 22 ans.
Et pendant que vous les mangez, vos morts, nous, on va faire la grève. Générale, je l’espère. Car le fait de voir tous les bourgeois, tous les politiques, tous les éditorialistes (alors que comme l’a bien formulé Poutou : « Les grèves des postiers, des raffineurs, des éboueurs, ça gêne les gens car ce sont des boulots utiles et incontournables. S’il y avait une grève des éditorialistes de BFMTV pendant 2 semaines, ça ne gênerait pas grand-monde ») du pays s’arracher les cheveux -ou la calvitie- en pensant à tout ce zbeul que ces vilains pas-beaux qu’ils veulent diriger au doigt et à l’œil menacent de mettre, ça me met une petite lueur dans ce triste automne pour le moment placé pour moi sous le signe de la dépression et du bordel-c’est-foutu.
« Le gouvernement vacille à chaque vote à l’Assemblée nationale, les oppositions n’ont aucune envie de lui faciliter la tâche, l’inflation et le recul du niveau de vie rendent la situation sociale éminemment inflammable… L’ouverture de la concertation sur les retraites, cette semaine, a donné des sueurs froides dans la majorité. Sur le thème : franchement, est-ce bien le moment ? » ; ainsi se conclut l’article de Ilyes Ramdani titré : L’exécutif espère l’éclaircie mais craint l’embrasement. Un embrasement, si seulement…
Mais oui, peut-être qu’on l’aura, notre insurrection. Une belle, une vraie -pas comme dans Athena, que j’attendais, que j’ai commencé, mais que je n’ai au final guère envie de finir de regarder. Comme l’a dit Lucile Commeaux dans sa chronique au vitriol du film sur France Cul’, « je veux bien croire que Gavras croit soutenir une forme d’insurrection nécessaire - j’ai même lu sur une couverture de magazine “Athéna L’insurrection qui vient” [...] - mais son film fait l’inverse, il fait le service d’ordre. Athéna met en images un fantasme de la droite et de l’extrême droite, ce fameux “ensauvagement” ». Un ami l’ayant visionné jusqu’au bout m’a confirmé ce point de vue ; donc si c’est pour voir le clip Stress sur 3 heures… Non. Non. De Romain Gravas, je continuerai à écouter et regarder encore et encore la vidéo qu’il a réalisé pour Bad Girls, titre-phare de l’une de mes chanteuses préférées, Mathangi Arulpragasam, dite M.I.A., rappeuse anglaise bien connue d'origine tamoule dont les sons me mettent toujours en joie.
Alors on chante « live fast, die young, bad girls do it well, live fast, die young, bad girls do it well », et sur cet air entraînant, prenons tous et toutes la rue. Et envoyons-les tous bien manger leurs morts.
Salutations libertaires,
Mačko Dràgàn
BREAKING NEWS : le journal Mouais organise ce samedi 5 novembre une soirée de soutien à l’occasion de ses 3 ans (c’est beaucoup, pour un chat noir). Au programme, comme à notre habitude : beuverie (bière locale bio de la brasserie d’Aqui et punch maison), musique locale enfiévrée (balèti avec Lou Barbalucou et DJ BadBeef pour un set electro-funk-hip hop), et discussions-débats, avec notamment Cédric Herrou et Marion Gachet d’Emmaüs-Roya sur le thème « luttes médiatisées, médias de lutte ». Avec sans doute, d’autres invités à prévoir d’ici là… Entrée prix libre et réservation obligatoire via un mail avec le nombre de personnes à contact@mouais.org. L’adresse du lieu sera communiquée la semaine précédent la soirée.
Pour l’abonnement c’est toujours là : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais
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