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Billet de blog 20 juin 2019

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Pour un boycott de la fête de la musique à Nice sur France 2

Bon, d’accord, c’est pas le combat du siècle. Mais pour le respect de vos oreilles, des pauvres bougres (dont je suis) dont la ville va à nouveau accueillir cette dantesque superproduction aussi coûteuse qu’inutile (mis à part en tant que propagande municipale), et des artistes musiciens en général, je vous le demande : boycottez la fête de la musique sur France 2.

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Illustration 1
Montage : David Mus

Demain soir, il vous viendra peut-être à l’idée, comme ça en passant, parce que pourquoi pas, parce que vous êtes retenus à la maison ou je ne sais quelle obscure raison (je n’ose imaginer que cela soit pour voir Jenifer sortie des cartons du grenier et dépoussiérée pour l’occasion), de zapper sur France 2 pour y regarder « Tous à Nice », la fête de la musique (quoiqu’il s’impose, en l’espèce, de bien réfléchir à ce que l’on entend pas ces deux mots : « Fête », et « musique ») organisée sur la place Masséna de Nice.

Je vous demande, je vous supplie de ne pas le faire -et, bien entendu, de ne pas vous y rendre. Et ce pour diverses raisons.

Parce que voir Nice désignée représentante, aux yeux du reste du pays, de l’art musical, est du plus haut comique, quand on connait la répression contre les musiciens de rue qui y règne et la galère qui est celle des groupes locaux, qui peinent à trouver où se produire. Pour vous faire une idée, Nice capitale d’un soir de la musique, c’est un peu comme si Béziers accueillait la prochaine fête de l’huma’ : preuve de bonne volonté ? Ou cynisme et instrumentalisation ?

Parce que ce service public qu’est France 2 a sans doute une autre fonction que de servir d’officine de communication (pour ne pas dire propagande, zut, je l’ai dit, tant pis) d’une mairie et surtout d’un maire, Christian Estrosi donc, qui ne cache pas ses tendances au culte de la personnalité, qui est déjà précocement en campagne pour les municipales de 2020, et qui saura bien entendu, c’est d’ailleurs le but, tirer profit de ce show Nord-Coréen pour adeptes de soupe aseptisée.

Parce que cette superproduction a été faite au mépris total du quotidien des habitant.e.s qui, comme pour le grotesque « carnaval », ont à nouveau vu apparaître en plein cœur de ville une forteresse imprenable bloquant pour deux semaines tout un tronçon de tram et l’une des principales voies piétonnes de Nice. Sans parler de la cohorte de vigiles privés et de policiers qui nous raviront encore de leur gracile et souriante présence tout autour de la cité fortifiée bâtie sur nos plates-bandes alors même que d’autres lieux auraient pu être utilisés pour cette petite sauterie estrosiste : le théâtre de Verdure (une salle de concert en plein air, juste à côté), la colline du Château, la promenade plantée, voire, pourquoi pas, le grand parc de l’Ariane, l’une des banlieues délaissées de Nice, histoire de montrer à ses riverain.e.s qu’ils comptent quand même pour quelque chose ?

Illustration 2

Parce que je sais de source sûre, d’une trompettiste que je connais fort bien (elle est actuellement en train de lire sur mon lit un excellent livre sur Nice, "Tourisme parallèle", de Didier Balducci, que je vous conseille) que les musiciens joueront en playback : elle a été contactée pour faire semblant de trompettiner sur une chanson de Jain (une chanteuse que j’apprécie par ailleurs), pour un montant de 150 euros. Vous allez me dire : on pouvait s'en douter. Mais vous aurez donc sans aucun doute mieux à faire de votre soirée que de regarder un cortège de mimes intermittents jouer aux clowns en arrière-plan de vedettes disposées (pourquoi ? La réponse est carrée et verte, rouge bleue et orange) à se prêter à cette mascarade.

Parce que ces vedettes démonétisées ne valent pas une minute de temps de cerveau disponible. Maître Gims, Pascal Obispo, Jenifer, Patrick Bruel, Garou-présentateur… Si une nuée de goélands et de pigeons vient déverser ses fientes sur la scène de la place Masséna en plein direct sur France 2, telle une version scatologique des Oiseaux d'Hitchcock, il faudra y voir un signe de ce que les goûts du divin ne sont finalement pas aussi mauvais que l’on pouvait le craindre.

Parce que, je me répète, car c’est là le point le plus important, cette « fête » grotesque est une insulte aux musiciens locaux que la mairie et la préfecture laissent galérer, à tel point que bon nombre ont été obligés de se barrer pour fuir la précarité qui règne ici pour les intermittents. Laissons Greg, multi-instrumentiste, que j’avais interrogé il y a deux ans pour un reportage, nous dire un peu où nous en somme : « ça va mal. Ça va mal, et ça allait mal déjà avant, et ça va aller de plus en plus mal. C’est pas du tout la volonté des institutions vers chez nous [que de développer la scène musicale indépendante] […] C’est une volonté générale, c’est politique […] Donc c’est bien propre, bien rangé, tout lisse, tout nickel, tout beau, tout cher (rire) ! Et le plus dur, c’est ça, c’est de rester en place. D’être là, et de ne pas faire ce que plein ont fait, à un moment donné : de se dire, bon voilà, on va pas se baser à Nice, on va se baser à Marseille, ça va être beaucoup plus simple. Il y en a plein qui ont fait ça » (pilulerouge.org/les-grands-entretiens-2-greg-lampis-musicien/). Je me suis à nouveau entretenu avec lui il y a peu pour un reportage sur les arts de rue (ci-dessous). Et depuis, rien n’a vraiment changé –du moins, pas en mieux.

Arts de rue, voix sans issue ? - Télé Chez Moi / Pilule Rouge © Tele Chez Moi

Parce que, comme l’a écrit mon ami David, de Télé Chez Moi, voici quelle est la réalité niçoise: « Pour les artistes locaux qui souhaiteraient faire la fête malgré tout, inscrivez le numéro de votre avocat sur votre bras. Pour les collectifs et associations qui auraient eu l'idée d'organiser un truc le 21 juin, remettez ça à plus tard, la ville de Nice est prise par son maire et France2. Pour les musiciens amateurs qui veulent promouvoir la musique, vous êtes toujours encouragés à vous produire bénévolement dans les rues et espaces publics bien sûr, mais ailleurs ! »

Parce que une faible audience nous permettra à nous, pauvres niçois.e.s, de ne pas avoir à subir à nouveau cette invasion auditive et punitive maitregimesque :  « Et Christian Estrosi de vanter la visibilité qu’apporte l’événement: 13 millions de téléspectateurs cumulés sur France 2 et France 24, l’an dernier » (source : Nice Matin). Nous vous demandons donc d’être charitables, afin que cela soit d’autres bonnes poires qui se tapent le cadeau l’an prochain, merci bien.

Parce que la fête de la musique, enfin, ça n’est pas à la télé, ça n’est pas dans les shows commerciaux à visée publicitaire, c’est tous les jours dans les bars, les cafés associatifs, dans les parcs, les jardins, dans les cours d’immeubles, dans les rues, et dans le cœur des gens pour qui la musique est une part essentielle de la vie, un chant miraculeux, un cri, qui pourrait être celui-ci : « notre joie n’est pas du bruit ! »

Salut et sororité,

M.D.  

Le montage de couverture et la photo de palissade sont l'oeuvre de David Mus, à qui je les ai dérobés sur FB, force câlins à lui

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