Les yeux fermés ! Moi qui suis plutôt « mère-poule » avec mon livre, une mère-poule faussement décontractée, qui surveille du coin de l’œil ce que mes « Mangeuses » deviennent tout en clamant fièrement que je les laisse s’envoler, j’ai sauté de joie (les yeux fermés) le jour où Mačko et David Mus m’ont annoncé leur projet de film. Je ne les ai rouverts que pour les écarquiller après avoir tout visionné. Comment David et Mačko ont-ils obtenu de telles confidences, face-caméra, sur un sujet si rarement abordé – y compris entre femmes ?
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Dans mon enquête, c’est précisément ce tabou fermé à triple tour qui m’a fascinée. Pendant trois ans, entre 2020 et 2023, j’ai interrogé des femmes de différents âges et milieux sociaux sur leur rapport à la nourriture. Presque toutes commençaient par affirmer qu’elles n’avaient pas (ou plus) de problème avec la bouffe. Au fil des entretiens, elles acceptaient doucement de se confier. J’ai recueilli des témoignages gourmands, joyeux, savoureux, mais aussi déchirants et révoltants. Dans chaque chapitre de ce livre, je pars des témoignages pour questionner la fabrique historique et culturelle ancienne d’une culpabilité insupportable des femmes vis-à-vis de leur alimentation.
Avec ce film, « Les Dalleuses », Mačko et David me permettent, en 70 minutes, de faire voir et entendre ce que j’ai vu et entendu pendant trois ans.
A la fois la difficulté, pour les femmes, de se livrer sur ce sujet. Le sourire pudique et complice qu’elles échangent entre elles, pour se rappeler les diètes torturantes, souvent destructrices, qu’elles ont appliquées aux différents moments de leur vie et qui continuent de détraquer leur rapport au plaisir. L’impact parfois grave de ces restrictions sur leur vie sociale, amoureuse, sur leur travail, leur estime d’elles-mêmes ou sur leur santé mentale et physique. Mais aussi - et c'est l'apport majeur de ce film ! - le sens politique qu’elles cherchent désormais à y insuffler, chacune à sa façon, en réinventant les règles de la production alimentaires, des partages culinaires, de leur apparence corporelle et de leur place à table.
Ce film, composé de témoignages d’une sincérité rare, comporte un fil rouge – rouge comme une betterave. Il s’agit du bœuf bourguignon végétarien qui mijote en cuisine entre chaque entretien. Que reste-t-il d’un bœuf bourguignon auquel on aurait ôté la viande ? Peut-être l’espoir d’une société nouvelle cuite à petits bouillons, la saveur inimitable de nos amitiés en action et le poivre discrètement glissé dans le nez du patriarcat, éternuant à nos souhaits de révolution.
Par Lauren Malka, à qui je prête mon blog pour l’occasion.
La première projection publique de « Dalleuses » aura lieu le samedi 7 juin, à la Bellevilloise : https://www.labellevilloise.com/evenement/projection-de-dalleuses/
La billetterie est ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/evenements/projection-de-dalleuses-a-la-bellevilloise