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Billet de blog 22 septembre 2025

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J’ai infiltré l’ultra-gauche pendant 35 ans

Je vous le révèle aujourd’hui : depuis tout ce temps, j’étais sous couverture pour un média de droite. Anarchistes, Insoumis, étudiants, zadistes, antiracistes, décoloniaux, féministes, gilets jaunes, aucun mouvement ne m’a échappé. Voici donc la vérité finale sur ces monstres (du latin « monstrum » : « avertissement »).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une certaine Nora Bussigny, du Point (à la ligne, et pas beaucoup plus loin), qui est au journalisme ce que je suis à la natation synchronisée, a pris pour spécialité « l’infiltration » chez les « wokes » et autres « ultragauchistes » après achat d’une perruque rose (véridique, voir photographie ci-dessous pour jauger de l’étendue du désastre) et d’un sarouel à la Foir’fouille. Et de ces pathétiques déambulations sous déguisement cheap à la recherche de ce qui se trouve déjà dans sa tête, elle à tiré des leçons fortes sur « l'enfer du décor » : « L’antisémitisme fédère des islamistes et des militants LGBT », ou encore : « Ce que les milieux militants cachent derrière ce qu'ils pensent être un progressisme jusqu'au-boutiste et autoproclamé », « [c’est] un fascisme ordinaire défendu par de nouveaux inquisiteurs. »

Illustration 1
La « journaliste » en question. Et mon propre déguisement d'infiltration.

Quant à moi, ces islamo-fascisto-wokes immigrationnistes à piercings et à cheval sur leurs licornes sanguinaires, j’y suis sous couverture depuis ma naissance, et mon enfance de prédestiné au gauchisme dans un petit HLM de campagne où, sur les genoux de mon parrain-cousin punk-à-rat (oui.) et sous le regard de mon daron Roumain tendance anar’, ça écoutait Brassens et Inter tandis que trônait dans les toilettes un poster de Coluche : « Je vote prout ».

Là, dans cette famille, j’ai appris les bases de l’engeance solidariste : se soutenir entre précaires, arborer des badges des Sections carrément anti-Le Pen (SCALP), partager ses jouets Batman avec les voisins du quartier et le couscous du dimanche avec qui le voudra bien.

Mais c’est à l’adolescence, avec mes potes férus, plus que de Ferrat, de punk et de ska, qu’a réellement commencé mon infiltration. Tapi au milieu des renois, rebeus, trans-pédé-gouines, jeunes cocos ou punks à Docs de la FA, jeans troués, skate en bandoulière et crâne rasé au vent ou survet’ Lacoste enfoncé dans les chaussettes, j’ai fumé du chanvre commun, bu mes premières bières à bas prix, appris à ne pas aimer fort les flics et les fachos qui nous le rendaient bien, et me suis fait inculquer ces valeurs abjectes : tolérance, écoute et entraide. On chantait (1) : « V'là l'ministère des affaires populaires, / au delà de toutes frontières, / plus d'ghetto plus d'barrière, / One love, tous des frères plein de repères, Jacques Brel Bob Marley Aznav' l'abbé Pierre » (oui pour ce dernier, nous n’étions pas au courant, à l’époque).

Toujours sous couverture, j’ai grandi, j’ai aimé. Idéologiquement, je me suis perdu quelque part entre Mandela et Louise Michel. Vous vous rendez compte ? « On s’est construit le monde, avec nos regards neufs / Le lendemain un autre venait le remplacer / On avait tout compris de la poule ou de l’œuf / Mes frères de petit grand / Vous m’avez dessiné » (Loïc Lantoine).

Nora Bussigny l’a bien dit : « Ces militants voient le monde de manière ultra-manichéenne, on en vient forcément à culpabiliser ». Je l’ai fait. « Les militants radicaux s’en prennent à tout ce qui fait le socle de notre République et notre démocratie ». Je l’ai fait. « L’ultragauche espère bien miser sur un chaos rassembleur pour déstabiliser nos institutions démocratiques. » Je l’ai fait. J’ai fait tout ça. Je me suis déconstruit, j’ai cassé des socles, participé à des chaos. « J’ai fait la cour à des murènes. J’ai fait l’amour, j’ai fait le mort ». Tout ça, au nom de la justice sociale, du pouvoir au peuple, de l’égalité, de la démocratie réelle.

Aujourd’hui, dans ma famille politique, il y a de tout. Des anarchistes, des communistes, des Gilets Jaunes, des décoloniaux, des antiracistes, des antifas, des féministes, des étudiants, des insoumises. Certain·es (oui, j’utilise le point médian, certes avec parcimonie) organisent des soirées sans mecs cis, ce que je suis, donc je n’y vais pas. Et tous, toutes luttent pour la Palestine. Contre les violences policières systémique, et contre l’islamophobie d’État.

Soyons donc désormais sérieux deux secondes. Est-ce un drame de ne pouvoir se rendre à une réunion car on est blanc, cis et mec ? Je ne pense pas, et les personnes concernées s’en remettront. Y a-t-il une complaisance massive dans ces milieux avec l’islamisme radical ? Évidemment non, car ce sont des ennemis idéologiques : ils sont d’extrême-droite. Y a-t-il des antisémites parmi les antisionistes ? Peut-être, certainement, mais ils sont systématiquement dénoncés et exclus quand ces faits sont révélés, contrairement à ce qui se fait au RN et ailleurs, et, pour paraphraser une formule de Desproges, il y a sans aucun doute à « l’utragauche », et en tous les cas là où je suis infiltré, bien plus de Juifs que d’antisémites.

L’antisémitisme, le sectarisme, l’exclusion, la violence, le rejet de l’autre, le fascisme, nous savons très bien où ils se trouvent : dans le fascisme, justement. Je sais, c’est fou. Encore récemment à Brest, des militants néo-nazis dopés à la Pascal-prod’ ont mené une attaque contre la terrasse d’un bar. Et c’est Zemmour, pas nous, qui rêve dans les faits d’appliquer point par point le programme de Daech. Plutôt que se mettre une perruque rose, que Nora aille donc se raser la tête pour passer un an dans ces milieux-là, elle verra que ce n’est pas la même ratatouille.

Notre famille n’est évidemment pas parfaite, chez nous aussi il y a des cons, et elle n’est bien sûr pas le « camp du bien », car ceci n’existe pas. Ce qui existe par contre, c’est deux côtés d’une barricade. Dans l’un, on lutte, avec nos petits bras, et comme on peut, pour que tout le monde ait accès aux mêmes droits. Dans l’autre, on milite activement contre ces droits, et surtout contre celui d’un monde juste et vivable pour les générations à venir.

Ce que j’ai appris de mes années d’infiltration, c’est que, oui, ces gens sont des monstres. Mais pas au sens où l’entend Nora Bussigny et tous les médias droitiers qui s’extasient sur ses « enquêtes ». Étymologiquement, le nom monstrum vient du verbe moneo, es, ere, monui, monitum qui signifie « attirer l’attention sur », « avertir ». Le vaste peuple « woke », la galaxie de « l’ultragauche » dérangent, car ils avertissent sur les horreurs de cette société. Il serait donc de bon ton de commencer à leur foutre la paix. Ce n’est pas nous qui détruisons et tuons. C’est l’idéologie de Charlie Kirk, qui a tué Charlie Kirk.

Je vais donc rester infiltré encore de longues années. Car ici, ça n’est pas forcément très confortable, mais on y fait ce qui est juste.

L’antifasciste « ultragauchiste » Léon Landini est décédé ce 21 septembre. À 99 ans, il était le dernier des francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) encore vivant. Ce billet est fait en sa mémoire, lui qui disait : « Quand on t’attaque beaucoup ça veut dire que tu gênes beaucoup, et moi quand je gêne je suis heureux ». 

Ne lui faisons pas honte.

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn, Journaliste rédac’ en non-chef de Mouais, journal dubitatif : https://mouais.org/abonnements2025/

(1) Balle populaire. Chanson du Ministère des Affaires populaires ‧ 2006

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