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Billet de blog 28 juin 2024

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Dans ma nuit noire, y a des lucioles

Tout va mal. Moi aussi. Macron aspire à la « guerre civile ». Là-dedans, je serai jamais une victime dont on se rappelle. Vous non plus. Toi non plus, qui veut voter RN et sera aussi broyé par le fascisme, et tes proches avec toi. Alors essayons juste, anonymement, d’être du bon côté de l’Histoire. Alors que la dépression me noie, je vous en supplie depuis ma nuit noire. Soyons tous des lucioles.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je vous écris depuis une petite cabane en bois de la Roya, chez mon ami Cédric. Un lieu depuis des années consacré au partage, à l’entraide. Mon chat noir y repose, sous un olivier. Au-dehors, dans la la nuit sans lune, des bruissements, chants d’oiseaux nocturnes et, partout, à travers les branches et les buissons, des étoiles tombées au sol : les lucioles sont revenues.

Je vais fumer une clope en les contemplant. Il est près de minuit, ou peut-être bien plus, je sais plus. Je vais pas fort. Punk-à-chat amoureux, je suis devenu coup sur coup sans chat et sans amoureuse, un karma qui me donne à penser que dans une vie antérieure j’ai hélas sans doute été plus proche de Mengele que du Bouddha.

Ne me reste donc plus que le fait d’être punk, donc anarchiste, donc de gauche. Pas vraiment ce qui se fait de plus trendy, en ce moment, la mode printemps-été étant à la nuque rase plutôt qu’à la crête iroquoise, à la chemise brune plutôt qu’à celle à carreau, à la détestation de tout ce qui ne nous ressemble pas plutôt qu’à l’envie de boire des coups avec toute personnes susceptible de nous apporter un peu de neuf et de pas-connu, même le plus chelou des martiens. Je fume ma clope et ouais, je me dis que rien, rien ne va.

Navré pour le style, d’habitude je n’écris pas trop mal, enfin c’est ce qui se dit, mais j’ai actuellement beaucoup trop de voix qui hurlent dans ma tête et de médicaments dans mon sang pour mettre les mots dans le bon ordre, dans le bon sens, si tant est qu’aujourd’hui le moindre mot puisse avoir le moindre sens. Mots-chaussettes de partout, qu’on retourne et retourne jusqu’à ce que les élastiques pètent et qu’on les foute à la poubelle.

« Je ne suis rien, et je ne puis vouloir être rien », a écrit mon poète préféré. La dép’ n’aide pas à se sentir digne d’être quelque chose, ou même de le vouloir, ou alors être un caillou, un caillou posé dans le rien, dans le désert d’un monde impropice à la vie, ainsi que le sont la plupart des mondes possible, comme dans cette scène magnifique de Everything everywhere all at once, où est dite cette phrase définitive sur nos existences : « Des êtres stupides et insignifiants. C’est genre tout ce qu’on est ». Même si le film nous présente finalement une morale toute simple : quand tout est foutu dans l’ensemble des univers possibles, il y a encore l’amour.

Illustration 1
Capture d'écran de Everything everywhere all at once

L’amour. Comment oser parler d’amour, aujourd’hui. J’ai coupé mes réseaux, je n’en pouvais plus de voir cette haine dégueuler de partout. Les nervis nazis s’enjaillent d’avance à l’idée de « casser du p*** », je les cite. Les menaces de mort pleuvent. La nièce d’une pote, une maman, a récemment reçu dans sa boite une lettre de menace. Je vous dirai pas ici ce qui y est marqué. C’est bien trop dégueulasse, terrifiant, inimaginable. Je vais juste vous résumer : « Casse toi sale arabe de merde avec tes enfants qui brûlent des voitures Bardella va te **** vive Marine le Pen, dégagez de cette résidence avant qu’on vous dégage, nous les patriotes ». Ce genre de courrier, des rebeus et des noirs en reçoivent dans tout le pays.

Et puis il y a tout ce jeu politique en train de se jouer, à la Baron Noir. J’ai été frappé, il y a quelques temps, par cette remarque du camarade Usul : « Un truc marquant quand on écoute les commentaires politiques : la pression de la base n'existe pas. Ni celle qui a précipité l'union, ni celle qui a rendu impossible la candidature Quatennens. Tout est calcul, manigance, intrigue entre factions. Le reste n'existe pas ».

Ouais, on n’existe pas. On n’est rien, que dalle. On n’est quoi, nous, dans ce jeu où pourtant se jouent nos vies, nos conditions matérielles d’existence, l’avenir de nos gosses ? Rien du tout. Des pions, des insectes sans lumières, des statistiques, des diagrammes dans les rapports cabinets de conseils, des entrefilets dans les journaux, des jets de bile dans la bouche de démagos qui s’en foutent bien que l’on crève.

J’ai grandi dans un département de faf’, le Var. Beaucoup de mes anciens camarades d’école, je suppose, même ceux qui ont eu des potes et des amoureuses rebeu, ne votent pas ou votent RN. Je leur en veux pas. Je suis même pas capable de leur en vouloir. Une vie pas la hauteur de tes rêves de minot, des petits boulots en zone industrielle, en manut’, ou pas de boulot du tout, et tous ces connards en cravate qui te disent que c’est la faute à Mohamed, que c’est la faute à Aminata, je me dis que t’es bien trop con mais je t’en veux pas, j’aimerais juste te dire, vote pas, putain, juste, vote pas, pour moi, pour tes enfants, pour pas mal de gens de ta famille et de tes proches que ce vote mettra dans la merde, vote pas, reste raciste si ça te chante, mais vote pas.

Même le petit nazillon qui lève le bras et qui sera probablement ravi de me casser la gueule une fois ses potes au pouvoir, je vais vous dire, je lui en veux pas. J’aimerais bien comprendre ce qui l’a mené là, à se vanter de frapper des gens qui lui ont rien fait. Mais je lui souhaite ni ne lui veut rien, à part de connaître un jour l’amour et le plaisir prostatique dans les bras d’un homo racisé des banlieue, même si cela ne lui arrivera probablement jamais. Que quelqu’un lui susurre un jour tendrement à l’oreille qu’il se trompe de colère.

Je leur en veux pas vraiment, car même eux sont des anonymes qui seront broyé⸱e⸱s dans la machinerie fasciste qu’ils vont contribuer gaiement à mettre en place. Pas de la même façon que nous, leurs ennemis gauchiasses et que toutes les personnes racisées et de minorité de genre qu’ils détestent, mais broyés quand même, parce que les salopards qui manipulent leur bêtise et leur colère n’en ont rien à foutre d’eux non plus.

À qui j’en veux alors ? Vous vous en doutez, mais indice, ça porte un costume, c’est souvent blanc, ça a souvent des couilles, et généralement pas mal de pognon, et ça siège dans des gros bâtiments où ça prétend nous représenter, ou alors ça achète des médias pour répandre son idéologie de vieux boomer réac’ tellement coupé du monde et biberonné au pognon qu’il est probablement même pas foutu de lacer ses chaussures.

Je vous laisse mettre n’importe quel nom sur n’importe quel représentant de ce ramassis de parasites, de toute façon ils sont tous interchangeables. Et je voudrais simplement dire à toute la chair à canon que nous sommes que quand la guerre civile voulue par ce mégalo taré qui nous sert de président, et par les xénophobes psychopathes qui sont ses meilleurs alliés dans son projet de tous nous mettre à genoux, aura effectivement lieu, nous autres qui tomberont n’auront pas de visages, pas de noms. Nous resterons à leur yeux de dominants ce que nous avons toujours été : rien. Des instruments utiles pour leurs lubies fanatiques, leur intérêts commerciaux, leurs sièges confortables de démarcheurs de haine et de sang.

Vous allez dire : tous pourris, alors désertons ? Non. Le moment est historique, et aucune voix ne doit manquer à l’appel. Le Front Populaire, sous toutes ses formes, est actuellement notre seule issue. Et perso, entre une belle promesse non tenue et la promesse tenue d’une belle saloperie à grande échelle, je choisis et choisirais toujours la première.

Je rallume une clope, regarde autour de moi. Une lumière vient se poser juste à côté de mon bras. C’est beau, les lucioles. C’est con, mais rien que de les voir virevolter dans la nuit, je me sens un peu mieux, j’ai l’angoisse qui retombe. Ou alors, c’est les médicaments. Je sais pas. Je préfère me dire que c’est les lucioles.

Peut-être qu’une longue nuit noire va bientôt tomber sur notre pays. Ou peut-être pas. Mais quoiqu’il en soit, la suite nous appartient. Ne soyons plus ces insectes sans lumières que l’on dissèque dans des labos, soyons des lucioles sur des terrains de luttes.

Comme l’a écrit le copain Cédric, « nous voulons rester dignes et en accord avec nos principes. Seuls, nous ne pouvons rien, c'est ensemble que nous pouvons faire que nos convictions vivent. Tentez de vous transformer en chat ou rejoignez cette lutte, pour la décence et le respect, en nous soutenant, en rejoignant la première association que vous trouverez mais vivez votre lutte, qu'importe que vous choisissez de lutter en faveur des droits humains, en faveur de l'environnement, qu'importe, ne soyons pas spectateurs d'un monde qui s'effondre.

Ne tolérons pas l'intolérable ».

Ma clope est terminée. Les lucioles brillent encore. Après un tour à la tombe de mon chat, et quelques larmes, il est temps pour moi d’aller me rallonger dans ma cabane.

André Breton : « Tout est près. Les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs. On ne dormira jamais ».

Salutations libertaires,

Mačko Dràgàn

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