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Billet de blog 30 mai 2017

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Ras-le-cul des médias ! Et relisons Gramsci.

La passion actuelle d'une grande partie du système médiatique pour Macron-le-Magnifique est vraiment la goutte qui fait déborder le vase : ras-le-cul de ces médias. Quand même Michel Field se demande dans une tribune s'il n'y a pas quelque chose qui cloche, c'est qu'il est temps d'achever l'ambulance. Un papier où de nombreuses portes ouvertes vont se faire défoncer, les pauvres, mais bon.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« En dehors de la presse et des médias d’opinion, y a-t-il une «idéologie spontanée» du journalisme aujourd’hui qui présuppose les réponses aux questions qu’il pose ? Nul besoin de complotisme en la matière pour se poser la question. Le manque de diversité sociale et géographique dans le recrutement des grandes rédactions ; l’affaiblissement des «capteurs sociaux» ; les nouvelles pratiques du métier où le rapport au monde se fait plus par la médiation numérique que par la fréquentation assidue du terrain ; l’absence d’approche contradictoire des grands enjeux économiques et sociaux sont à interroger ». Ce n’est pas Serge Halimi qui écrit ça : c’est Michel Field, lui-même artisan historique de l’inféodation des médias mainstream à la logique du capital et de la pensée dominante qui, saisi d’une fulgurante, bien que partielle et mesurée, bouffée de lucidité, commence visiblement à se demander s’il n’y a pas quelque chose qui cloche. Un peu comme lors de la crise des subprimes et des pantomimes outrées devant la « finance folle » : quand les signes de la faillite deviennent trop évidents, même les plus bouchés finissent par regarder, perplexes, hagards, leurs mains pleines de merde. Field démissionne quelques jours plus tard, servant ainsi de fusible à une Delphine Ernotte, directrice de France Télévision, mise en difficulté par la grogne de ses journalistes[1], et accusée de complaisance macroniste pour avoir claqué une bise enthousiaste à la première retraitée de France, Brigitte elle-même. Reste qu’à l’évidence, au sein même du cheptel des éditocrates, un doute commence à percer : n’y aurait-il pas quelque chose de pourri au Royaume des médias ? C’est le moins qu’on puisse dire. Durant cette campagne, et lors d’un début de prési-monarchie macronienne durant laquelle tout esprit critique semble avoir désespérément déserté nos fabuleux montreurs d’ours en flux continu, un point de non-retour a été atteint. Avec pour effet de créer chez certain, dont je suis, un immense sentiment de ras-le-cul généralisé. Impossible d’allumer la télévision sans être saisi de l’envie d’exploser le poste à coups de fer à repasser. Impossible d’ouvrir un journal sans aussitôt vouloir mettre un aller-retour à un éditorialiste. L’époque est propice aux dévoilements : il y a de la guérilla culturelle dans l’air. Gramsci, reviens, ils sont devenus fous.  Autant préciser que tout ce que je vais dire ici ne va sans doute pas briller par son originalité et secouer bien fort les gens habitués à la critique des médias, mais bon, ça m’évitera au moins de devoir mener à nouveau ce débat avec ma mère (j'ai écrit ça pour elle, en fait).

D’un média à l’autre : le jeu des 7 erreurs

Si même Field est capable de s’en rendre compte, c’est que la chose est à ce point frappée d’évidence que même un sourd et aveugle adepte de Laurent Gerra et n’ayant jamais connu que la presse nord-coréenne pourrait commencer à le réaliser : nos médias sont d’une uniformité désolante. Sociologiquement parlant, à de rares exceptions près, et mis à part bien sûr toute la classe des pigistes sous-payés n’ayant pas voix au chapitre, les journalistes font tous partie d’une « élite » homogène, caractérisée par une commune vision du monde -Serge Halimi, et d’autres avec lui, en ont déjà très bien parlé. De même que la plupart des hommes politiques passent par Science-Po et l’ENA, où leur est inculqué, plus ou moins consciemment, un imaginaire commun centré sur un nombre limité « d’évidences » et d’a priori qu’ils seront peu susceptibles, par la suite, de remettre en question, les journalistes suivent eux aussi des cursus normatifs durant lesquels ils sont formés à reconnaitre le dicible et l’indicible, le pensable et l’impensable.  

Rien de très neuf dans ce constat. Mais de nombreuses personnes de mon entourage, chaque fois qu’il m’arrive de tenir de tels propos, arguent que non, mais non, pas du tout, et m’opposent qu’entre L’Obs, Libé, le Figaro, Le Monde, Marianne, etc. –pour la presse écrite, Europe 1, France Inter –car Inter, c’est aussi et surtout Seux, Guetta, Legrand, Cohen, Demorand et Salamé-, RTL, RMC, France Info, etc. –pour la radio-, BFMTV, France Télévision, le groupe TF1 –dont le Quotidien, sensément « à part » et « critique »-, groupe Canal (Canal+ et C8), LCI, etc.–pour la télévision-, bref, qu’entre tout ça, il y a des différences, il y a à boire et à manger. Ce qui est vrai. Il y a là-dedans du très bon, du bon, du moins bon, et du très mauvais. Mais reconnaitre ce fait nécessite d’ajouter deux choses essentielles.

La première, c’est que tous ces sympathiques organes sont sous la coupe d’un nombre très limité de personnes, qui plus est des personnes très soucieuses de préserver leurs intérêts –et leurs intérêts sont nombreux, notamment du côté du portefeuille. Une infographie du Monde Diplomatique (avec Acrimed), très complète, une référence en la matière, montre bien où nous en sommes : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/ppa

Le deuxième point, c’est que ces médias diffèrent, certes, mais sur des points bien précis, que d’ailleurs ils aiment bien mettre en scène afin de sur-jouer leurs mésententes, comme on chorégraphie un combat de babouins dans le seul but de faire les poches des spectateurs. Car le plus intéressant, ce n’est pas ça : ce sont plutôt les points aveugles. Tout ce qui est systématiquement laissé à la libre appréciation des pigistes ou de l’AFP, et relégué dans un encart des pages centrales –voire, pas du tout abordé. Ce sont souvent, comme par hasard, les domaines liés à l’économie.

Prenons un exemple (tiré, comme le suivant, du site d’Arrêt sur Images) : Trump est, actuellement, au-delà de ses agitations grotesque de demeuré Texan facho bourré à la Pils et au beurre de cacahouète, occupé à détricoter avec fureur le tissu législatif Américain, pour la plus grande joie des multinationales, de la finance et des lobbies. Grâce à un Congressional Review act exploitant judicieusement une faille juridique –il permet d’annuler toute loi antérieure ayant été publiée depuis moins de 60 jours, sachant qu’aux USA les lois, même effectives, ne sont presque jamais publiées ; donc : open bar-, il a ainsi, entre autres, défoncé des lois de protection de l’environnement : autorisation du déversement de charbon dans les rivières, d’un pesticide ultra-nocif, etc. Et ce, dans l’indifférence générale des médias -Les Echos, journal de droite, à part-, et du grand public, qui a peu de chance, logiquement, d’avoir été mis au courant. Pourquoi ? Difficile de le dire. Mais peut-être est-ce parce qu’il serait peu évident, pour beaucoup d’éditorialistes, de s’en prendre à une vague de déréglementation alors qu’ils n’ont eux-mêmes que ce mot à la bouche, et pas de façon négative. Peut-être aussi qu’ils préfèrent limiter Trump à son rôle repoussoir d’idiot populiste, et masquer ce qu’est réellement ce milliardaire abruti : un agent zélé du capital. Mais cela, le capital ne souhaite pas en faire étalage ; il préfère se présenter sous la forme plus consensuelle d’un Renzi, d’un Macron, d’un Trudeau. Malgré eux ou en pleine conscience, les « faiseurs d’opinion » prennent le pli de cette dissimulation ; nulle part il ne sera dit que Trump est, fondamentalement, comme n’importe quel politicien de la droite libérale : on lui reprochera ses outrances, mais on ne parlera pas de ce avec quoi on n’est pas, en fin de compte, en désaccord.

Deuxième exemple : la Grèce. Que nous dit Romaric Godin, toujours pertinent ? « Le 17 mai, le parlement grec a approuvé, sous la pression des créanciers, une nouvelle série de mesures d’austérité, touchant notamment les retraites (pour la treizième fois !) et prévoyant un tour de vis budgétaire jusqu’en 2021. Cette nouvelle purge est la quatrième pour le seul troisième protocole d’accord signé en août 2015 avec les détenteurs européens de la dette publique européenne. Le vote a donné lieu à des manifestations importantes devant le parlement athénien. Deux jours plus tôt, on avait pris connaissance de la première estimation de la croissance grecque du premier trimestre. Un recul de 0,1 %, le second de suite, ce qui signifie que la Grèce est à nouveau "techniquement" en récession alors même que la croissance du reste de la zone euro s’accélère. Dans la foulée, le 16 mai, la Commission européenne a revu sa prévision de croissance 2017 de 2,7 % à 1,8 % » Ce qui signifie : l’austérité continue à faire couler la Grèce. Et les médias s’en foutent, se contentant souvent, comme le remarque justement Godin, de reprendre la dépêche AFP à ce sujet, ce qui est selon lui une « forme moderne d’indifférence ». Et là, pour le coup, cette zone aveugle des éditorialistes et chroniqueurs économiques s’explique facilement. L’austérité, la réduction aux forceps de la dette et les tranches massives dans les dépenses publiques, c’est ce que l’on tâche de nous vendre à longueur d’antenne : il serait donc malvenu de trop parler du fait que, non loin de chez nous, la recette est expérimentée, longuement, et sans aucun succès autre qu’une explosion de la misère, et une économie sinistrée. Quand un camelot vend une lotion miracle, il préfère parler de ceux qui ont été guéris –quitte à les inventer-, pas de ceux qui en sont morts –quitte à les balancer dans un puits. 

Et encore touchons-nous là, malgré leur gravité, à des faits presque anecdotiques. Car en regardant d’encore plus loin, il est des sujets qui permettent de soutenir avec raison qu’il n’y a strictement aucune différence entre n’importe quel média mainstreamle Monde Diplomatique, L’Humanité, Télérama, Mediapart, avec quelques réserves pour ces deux derniers, exceptés, les titres comme Politis ou encore Fakir ne pouvant guère être considérés comme mainstream.

Macron ? C’est génial

Prenons notre nouveau et sémillant monarque. A part qu’il est « superbement beau » (dixit Joan Sfar dans Libé, sic) et parfaitement libéral, quelles sont ses qualités ? Ce n’est pas très compliqué : à en croire tous nos médias depuis son accession au trône, il les a toutes. Il est « jupitérien », « énergique », il apporte un « vent neuf » et incarne le « renouveau », il se livre à un « sans-faute », etc. C’est bien simple, on croirait que les machines à café de l’intégralité des rédactions de l’Hexagone ont été chargées à la corne de rhinocéros pilée mélangée à du bois bandé ; tous les éditocrates sont en rut, et pas seulement Elkrief (ah ah). Ils l’aiment, leur Roi-Soleil. Et comme souvent dans l’amour fou, ils en ont perdu toute lucidité. D’ailleurs, comme le remarque Eric Brunet (cité par Samuel Gontier), en pleine montée d’hormones sur BFMTV : « Disons-le sans fard : on ne va pas s’amuser, de façon pathologique, à taper sur Macron pour faire les originaux.  La réalité, c’est que pour l’instant, il y a peu de prises. » Macron va prêter allégeance à la Merkel –une autre façon de dire qu’il baisse son pantalon devant elle, et qu’il est déjà disposé à céder sur tout, absolument tout ? Quel talent, en voilà un qui sait parler aux Allemands ! Le Puceau tente pathétiquement de faire oublier qu’il n’a aucune intention d’arrêter de s’agenouiller devant l’OTAN, et que Trump n’en a résolument rien à carrer de la France, en écrabouillant les phalanges du simplet, toutes veines dehors ? Quelle poigne ! Quel homme ! Mis en chaleur par cette incroyable démonstration de virilité, nos médiacrates ont tous dû en changer de caleçon. Et que le bidule présidentiel reçoive Poutine à Versailles –autant dire : qu’il se torche avec joie dans les derniers oripeaux républicains- sans rien tirer de consistant du Tsar, et c’est l’orgasme diplomatique assuré.

Dans quelques années, quand l’incapacité bien prévisible du banquier-en-chef à résoudre les problèmes les plus criants du pays –ce qu’on appellera désormais : faire une Hollande- se soldera par des sommets d’impopularité et un corps social au bord de l’apoplexie, la consultation des archives médiatiques de cette époque démente consistera sans aucun doute un véritable exercice de tératologie. Les historiens du futur, dans les écoles de journalisme de la VIème République (ou les universités extraterrestres de l’ère post-atomique) enseigneront à leurs élèves que, par un fait étrange, les médias de l’époque avaient complètement pété les plombs, ce qui, tels les rats derrière le joueur de flute de Hamelin, les avait mené à l’isolement de la Cité puis, bientôt, à la destruction. Et devinez qui tient la flûte ?       

L’Europe ? C’est génial

Deuxième point aveugle des nos médias : l’Europe. Que quelqu’un, quelque part dans la sphère publique, énonce l’idée que peut-être la construction européenne serait imparfaite, et c’est comme s’il avait lâché une flatulence pendant une cérémonie de commémoration des attentats du Bataclan : stupeur, désarroi, et condamnation unanime. Partout. Le mot « souverainiste », dans les médias, au-delà du fait que bon nombre de ceux qui y travaillent ne savent pas trop ce qu’il veut dire, est systématiquement frappé d’anathème. Peu importe qu’il n’y ait que peu de points communs entre souverainisme de droite capitalo-nationaliste (poujadiste, disons) et souverainisme de gauche anti-capitaliste et ouvert ; entre ceux qui, de Dupont-Aignan à Le Pen en passant par de Villiers, professent la fermeture de toutes les frontières –tout en votant systématiquement contre les lois de limitations des flux financiers, soit dit en passant- et ceux qui ne souhaitent que rendre au peuple, à tout le peuple, immigrés et sans-papiers inclus, la mainmise sur ses droits démocratiques et sur son économie.

C’est un détail que les médias aiment à oublier, mais si le FN et Emmanuel Todd –ou Lordon-ont en commun le rejet de l’Union Européenne et de l’euro, il en est un parmi les deux qui n’est pas xénophobe, et qui professe une répartition plus juste des richesses, pour tous, quels que soient les origines. Il en est un des deux qui est tout à fait disposé à reconnaitre la nécessité de laisser les frontières ouvertes au plus grand nombre, exilés politiques, migrants fuyants la guerre, étudiants, artistes, j’en passe, et qui considère que l’Europe, en tant qu’entité culturelle permettant des échanges de type Erasmus ou que sais-je, n’est en soi pas un mal. Mais ça, les médias n’en ont rien à foutre. Pour eux, la critique de l’Europe néolibérale, c’est comme le protectionnisme et le refus de la mondialisation : c’est le « repli sur soi », le « nationalisme démagogique », « les heures les plus sombres de notre histoire », la « menace rouge-brun » qui se profile ; bref, toujours les mêmes conneries. Arnaud Leparmentier et Jean Quatremer sont devenus les spécialistes de cette pensée de haute volée, qui consiste, en éjaculateurs précoces du débat intellectuel, à atteindre le Point Godwin en un seul Tweet, et à renvoyer au nazisme tous ceux dotés d’assez de culture de point de QI pour ne pas flotter comme eux dans les limbes délirantes d’un européisme béat. Mais ils ne sont pas seuls. La constance systématique dans la mécompréhension des causes profondes du Brexit (en gros : les anglais sont tous des cons, quitter l’Europe est une folie, ce sont des blaireaux et ils vont tous crever) en fut l’incarnation la plus criante.

Les classes populaires ? Qui ça ?

De là, repliés dans leur forteresse de bêtise se voulant géniale et infoutue, comme c’est souvent le cas pour la bêtise, de se reconnaître pour ce qu’elle est, nos brillants tenants de la pensée médiatique s’avèrent bien incapables de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe au sein d’une populace à laquelle ils n’appartiennent pas. Leurs pigistes, bien sûr, eux, les prolétaires de l’information, le savent : mais ce n’est pas vraiment ce qu’on leur demande. S’ils veulent s’en sortir, il leur est même conseillé d’aller sérieusement lorgner du côté de la pensée dominante hors-sol.

L’affaire du sujet de France 2 sur un bar PMU de Sevran, enquête bidonnée destinée à prouver aux spectateurs du JT de Pujadas que dans certains territoires démoniaques, « perdus par la République » (je cite ici cette vieille quiche de Badinter et sa bande de potes fachos), des prolétaires islamisés jusqu’au trognon interdisent, au non de la religion, l’accès au comptoir, a démontré le degré d’indécence dans leur méconnaissance des banlieues, et des classes populaires en général, de nos médias. Ce prétendu « document » était tout bonnement inepte. Comme l’a prouvé le Bondy Blog –excellente revue-, tout y était faux : le bar avait une clientèle féminine fidèle, et les hommes qui le fréquentaient n’étaient pas particulièrement croyants. Comment un tel dérapage, qui a vu une fake news islamophobe relayée par une grande partie des médias sans jamais être démentie par ses concepteurs –le JT de Pujadas-, a-t-il pu avoir lieu ? Grâce à une logique très simple. Beaucoup de médias ont aujourd’hui repris à leur compte la logique réactionnaire, issue de la pensée bourgeoise du XIXème siècle, assimilant les « classes laborieuses » aux « classes dangereuses ». L’idée est celle énoncée par Jules Renard quelque part dans son journal : « le peuple est bête, sale, pue et crache partout » (ce n’est pas la chose la plus intelligente qu’il ait écrite). Du point de vue des faiseurs d’opinion, pour qui le SMIC, le RSA et les boulots précaires sont des choses abstraites, le bas-peuple est susceptible de succomber à toutes les aberrations ; il est donc normal que, le cerveau dégradé par l’alcool et le Coran, il fasse preuve d’un sexisme bien attendu de la part d’un prolétaire mahométan –sachant que, lors des affaires DSK, Polanski et Baupin, nos éditorialistes ont su faire preuve de leur passion pour le féminisme.

Et c’est toujours la même chose. Le peuple n’apparaît toujours que quand il s’agit de venir confirmer, à la faveur d’un micro-trottoir ou d’une immersion de deux heures grand maximum dans les quartiers populaires ou les petits villages cruellement délaissés par l’Etat-Providence, ce que les journalistes pensent déjà. Souvent à la suite d’un fait divers, d’une fermeture d’usine, ou bien pendant les élections. Le reste du temps : rien à foutre du populo. Qu’il reste à sa place et qu’il réponde ce qu’on souhaite qu’il réponde lors les référendums, c’est tout ce qu’on lui demande.     

Les anticapitalistes ? Que Dieu nous protège

D’autant que certains de ces pouilleux ont le mauvais goût de ne pas avoir les mêmes opinions politiques que Duhamel et Apathie. Et ça, vraiment, c’est le pompon. Car s’il y a bien une chose que les médias détestent, c’est bien les anticapitalistes. Là-dessus, même le plus demeuré des fans d’Hanouna n’aura pas besoin de démonstration : mépris de classe éhonté réservé à Poutou ; délires propagandistes destinés à nous persuader que l’élection de Mélenchon serait la voie ouverte au bolchévisme, à la ruine, à la dictature ; association systématique (même Mediapart y a participé, sous la plume d’Arfi et Plenel) des gens refusant de voter Macron pour faire barrage à le Pen à des irresponsables plus ou moins proto-fascistes ; le traitement accordé à Nuit Debout, et à toutes les manifestations et grèves en général ; absence totale d’éditorialistes politiques et/ou économiques réguliers de gauche (de vraie gauche) dans tous les médias –qu’on me cite ne serait-ce qu’un nom- ; tout ces exemples sont suffisamment parlants.   

Quelles solutions ? Relisons Gramsci

Tout ceci est désormais très connu, et j’ai jusqu’à présent enfoncé des portes grandes ouvertes –ça défoule. C’est bien beau de constater que ça sent la merde, mais c’est encore mieux d’avoir une petite idée du répulsif que l’on conseille d’utiliser. Or donc, qu’est-ce que je préconise ? Très simplement (façon de parler), le lancement d’une guérilla culturelle de gauche, se fondant sur les théories de Gramsci : il s’agit de reconquérir l’hégémonie idéologique. Plus facile à dire qu’à faire, certes.

Ramzig Keucheyan : « Gramsci veut être fidèle à la révolution russe — il est un admirateur de Lénine, à qui il ne cesse de rendre hommage dans les Cahiers de prison. Mais il a également compris que cette fidélité impliquait, en pratique, de changer la façon de faire les révolutions. Sa théorie de l’« hégémonie » trouve son point de départ dans ce constat. La lutte des classes, dit Gramsci, doit désormais inclure une dimension culturelle ; elle doit se poser la question du consentement des classes subalternes à la révolution. La force et le consentement sont les deux fondements de la conduite des Etats modernes, les deux piliers d’une hégémonie. Quand le consentement vient à manquer — comme ce fut par exemple le cas en 2011 dans le monde arabe —, les conditions sont réunies pour le renversement du pouvoir en place.

La première édition des Cahiers de prison paraît à la fin des années 1940 […]. Dès cette époque, l’œuvre de Gramsci sert de point de ralliement à tous ceux qui, dans le monde, cherchent à combiner fidélité à la révolution d’octobre et volonté d’adapter le processus à des contextes sociopolitiques parfois très éloignés du cas russe. C’est ce qui explique la rapide diffusion internationale des thèses de Gramsci, et la constitution de courants gramsciens sur l’ensemble du globe. Des Cahiers de prison, on peut ainsi dire qu’il s’agit de l’une des premières théories critiques mondialisées ». Une théorie critique mondialisée : quoi de mieux pour cette époque troublée, caractérisée par la suprématie globalisée du néolibéralisme ? Relisons Gramsci, et damons le pion au capital par là où il est parvenu à s’imposer : la culture, grâce à un travail terriblement efficace de contre-offensive idéologique mené après Mai 68, et surtout à partir des années 80 –Plenel et Mauduit y ont d’ailleurs participé, à l’époque. Heureux de les voir aujourd’hui du bon côté de la barricade. 

Actuellement, les conditions commencent à être réunies pour le renversement. Après des décennies de toute-puissance, le modèle dominant se fissure. Et il s’agit d’en profiter. Des chanteurs comme La Canaille ou Casey, notamment avec Zone Libre, ont su se réapproprier un art populaire, issu des banlieues, le rap, pour en faire un instrument de critique sociale. Une parole émancipatrice accessible à tous. Ces initiatives (musique, graf, littérature…) peuvent être systématisées. Dans le domaine du journalisme, cela revient à oser enfin aller voir un peu du côté des méthodes de l’ennemi. Deux humoristes de France Inter, tous les deux végétariens, représentent –enfin, a représenté, pour l’un d’entre eux- une piste à explorer. Guillaume Meurice, chez Vizorek et Vanhoenacker, en reprenant la technique douteuse du micro-trottoir, et la part de mauvaise foi et de simplisme que cet exercice implique, pour la tirer vers le démontage en règle des schémas de pensée libéraux, a sans doute déjà beaucoup fait pour l’essor de la pensée critique au sein des classes populaires, surtout du côté de la jeunesse, même non politisée. Pierre-Emmanuel Barré, de son côté, en pratiquant un humour beauf d’extrême-gauche au vitriol assumé, a quant à lui cherché les Grosses Têtes sur leur propre terrain en répandant à gros bouillon, auprès d’un public divers, des idées pour le coup franchement subversives, et qui ont connu un succès fulgurant[2] -également auprès d’un public plutôt dépolitisé, public qui devrait devenir, à l’avenir, le « cœur de cible » principal de la contestation. 

Les autres avancées de ce type, ces nouvelles et inventives façons de mener de front une guérilla culturelle contre l’emprise de la pensée de droite (il faut d’ailleurs noter que ce bon vieux mélenchoniste de Didier Porte aura été une sorte de précurseur), ne sont pas nombreuses, mais elles existent. Il faut continuer sur cette lancée ; et, surtout, il ne faut pas que ces offensives se limitent aux humoristes.

(Parenthèse. En fait, le plus souhaitable, du point de vue de la conquête de l’hégémonie, serait peut-être de parvenir à créer une sorte de BFMTV de gauche. De la désinformation anticapitaliste à flux continu. Nos ennemis idéologiques sont simplistes, réducteurs, malhonnêtes, menteurs ? Eh bien, n’hésitons plus à faire comme eux. Et si Bourdieu s'était trompé ? Peut-être que nous devons nous servir des armes de l’adversaire. Mais là, je crois que je commence à m’emporter quelque peu, et à dire un peu n’importe quoi)

Bref. Si l’Etat ne se décide pas à prendre des mesures réellement efficaces afin de renforcer le pluralisme au sein des médias, la tâche s’annonce longue et difficile. Mais un nouveau journalisme, engagé, expérimental, littéraire, populaire, a d’ores et déjà émergé, sur tous les continents –je pense notamment au Mexicain Sergio Gonzalez Rodriguez, l’un des plus grands. Diverses revues, tel XXI –relativement apolitique, cependant, et c’est bien dommage-, mais aussi divers blogs, commencent à s’en faire écho, depuis quelques années.     

La France Insoumise, très présente sur les réseaux sociaux –parfois un peu trop, diront certains-, a bien compris cette nécessité, cette logique, qui est celle d’une réappropriation de l’espace et de la parole publique par les forces de la critique et de l’émancipation –dans la lignée du concept « d’appareil » de B. Brecht, l’inventeur de l’agit’ prop’. D'où une campagne très réussie, et qui a permis au mouvement de faire une percée spectaculaire. Il faut s’engouffrer dans cette brèche : s’emparer des rues, des murs, des blogs ; comme Ruffin, ne pas hésiter à venir troubler le pré-carré médiatique ; comme Osons Causer et Usul, s'emparer des outils 2.0.  

« La mort du cygne … le dernier chant du cygne N’EST PAS au Bolchoï mais dans la douleur et la beauté insupportables des rues. Un arc-en-ciel qui commence dans un cinéma de mauvaise mort et se termine dans une usine en grève. Que l’amnésie jamais ne vienne embrasser notre bouche. Que jamais elle ne l’embrasse. Nous rêvions d’utopie, et nous nous réveillons en criant … Faire apparaître les nouvelles sensations. Subvertir la quotidienneté. OK. LACHEZ-TOUT, A NOUVEAU. LANCEZ-VOUS SUR LES CHEMINS. » Roberto Bolaño, Dejenlo todo, nuevamente.

Et plus aucune pitié pour Jean-Michel Apathie, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Ruquier, Yann Moix, Léa Salamé, Dominique Seux, Olivier Duhamel, Eric Brunet, Ruth Elkrief, Christophe Barbier, Olivier Demorand, Ana Cabana, Laurent Delahousse, Jean-Pierre Pernault, Nicolas Domenach, Zemmour et Naulleau, Laurent Joffrin, Patrick Cohen, et tous les autres.

Salut & fraternité,

M.D.     

P.S. tardif : et encore n'est-il même pas question ici des questions de géopolitique, notamment au Moyen-Orient et plus particulièrement en Syrie, dont la couverture est tout bonnement lamentable à bien des égards.


[1] Car c’est important de le souligner : de nombreuses Sociétés De Journalistes dénoncent depuis longtemps déjà les dérives unanimistes des organes dans lesquelles ils travaillent

[2]  Pour ce qui est de son « renvoi », qui ressemble plutôt à une démission en bonne et due forme motivée par un orgueil froissé par la réaction maladroite de Nagui : étant moi-même partisan de l’abstention et du vote blanc dans l’entre-deux tour, j’étais enchanté par ce papier, qui aurait du être diffusé dans l’émission du jour même ; mais visiblement, il n’y pas eu censure : il a été proposé à Barré de le faire le soir même dans l’émission de Vanhoenacker, ou lendemain chez Nagui sans coupures. Bon. Malheureusement, la démission fracassante de Barré au motif de « censure » a fait les gorges chaudes de la fachosphère, bien contente d’avoir une excuse supplémentaire pour cracher sur « radio-bolcho ». Dommage.  

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