Par Jean Jules LEMA LANDU
Le cinquième coup d’Etat au Burundi (en 54 ans d’indépendance) a fait long feu. L’unique, car les quatre autres précédents avaient bien réussi. Cet échec s’explique du fait que les Burundais ont une autre perception du clivage ethnique. En fait, depuis les accords d’Arusha, en 2000, en Tanzanie, ils pensent que « clivage distingue, mais ne divise pas ».

Des manifestants opposés au président Pierre Nkurunziza à Bujumbura (source : AP)
Ce texte est tiré de L'œil de l'exilé : http://www.loeildelexile.org/burundi-les-lecons-dun-coup-detat-manque/
Depuis, les deux ethnies, à savoir Hutus et Tutsis, ne se regardent plus en chiens de faïence. Est-ce à cause du « principe de quota » introduit dans la gestion de la chose publique, trouvaille des accords d’Arusha, que les Burundais ont enterré la hache de guerre ?
Quota accepté, surtout, au niveau de l’armée, lequel a coupé la poire en deux : 50 % pour chaque ethnie, alors que les Hutus représentent 80 % de la population ?
On a toutes les raisons de le croire, car, depuis, la houle s’est apaisée. La difficulté majeure était donc de trouver cet « équilibre boiteux », qui ne relève autrement que de la logique politique. Ainsi, cette concession majeure des Hutus, mais gage nécessaire pour la sécurité des Tutsis, a-t-elle assuré les assises des institutions démocratiques.
C’est dans ce cadre que le président en exercice, Pierre Nkurunziza, un Hutu (ex-rebelle), a été élu en 2004 et réélu en 2010. Pour « un mandat renouvelable une fois », selon la Constitution. Depuis, la concorde et le retour à la paix étaient en passe de s’inscrire dans la durée (1).
Quinze ans d’affilée à savourer la paix, n’est-ce pas un tournant décisif dans la vie politique, au Burundi ? Comment expliquer, alors, cette levée de boucliers, jusqu’au passage d’un coup d’Etat manqué ?
La part des dirigeants y est grande. Elle repose sur l’intention autant tenace que néfaste du président Nkurunziza de violer la Constitution, en briguant un troisième mandat. Comme c’est souvent le cas, en Afrique, l’appât du pouvoir ne leur a pas permis de déceler la présence d’un nouveau rapport de force, à travers l’« atténuation » du clivage ethnique.
En fait, dans l’ensemble des manifestations dirigées contre le projet présidentiel, la foule était composite. Hutus et Tutsis ensemble. Un phénomène pour le moins singulier ! Mais, surtout, une conjonction propre à endiguer toute démarche contraire à « l’esprit d’Arusha », pourvoyeur de paix. Là-dessus, c’est la part du peuple.
Pour n’y avoir pas prêté attention, le président Nkurunziza a failli perdre son fauteuil avant la lettre. Et, s’il ne change pas d’avis, il le perdra, tôt ou tard.
Les putschistes ont commis la même erreur d’appréciation. Si les coups d’Etat précédant les accords d’Arusha réussissaient, c’est parce que l’armée était mono-ethnique entre les mains des Tutsis. Ils l’ont oublié. A leurs dépens.
Et maintenant ? Le vin étant tiré, il faut le boire. Après un coup d’Etat manqué, le président Nkurunziza a repris les rênes du pouvoir, sans renoncer à son rêve de rempiler pour un troisième mandat. L’opposition et les manifestants, quant à eux, sont restés vent debout.
Le bras de fer continue, donc. L’Afrique en tire-t-elle des leçons ?