Ce 15 septembre marque les 18 ans de l’instauration par l’Organisation des Nations Unies d’une « Journée internationale de la démocratie » visant à encourager les gouvernements à renforcer et consolider la démocratie.
À l’aune de cette majorité, force est de constater le contraste entre les enjeux de cette journée et la réalité dissonante qu'offre la scène internationale dont la France n'est pas exempte : attaques contre l’État de droit, crise de confiance dans nos institutions, défiance envers les élus, pressions contre les associations, augmentation des discriminations et enfin pressions contre celles et ceux qui au péril de leur vie alertent sur les dysfonctionnement de notre société.
Or, pas de démocratie sans celles et ceux qui alertent sur ses limites et défaillances. Les lanceurs et lanceuses d’alerte, comme la Maison des Lanceurs d’Alerte et ses organisations membres, mais aussi les syndicats, les journalistes, les défenseurs des droits humains, les activistes, et tant d’autres acteurs et actrices engagés pour le bien commun, font vivre la démocratie. Nous avons ainsi une dette envers celles et ceux qui, témoins de menaces graves ou de dangers avérés, prennent des risques pour nous informer et nous éviter le pire : c’est pourquoi nous nous devons de les protéger.
La Maison des Lanceurs d’Alerte fait un constat commun : depuis sa création en 2018, un nombre croissant de femmes et d’hommes frappent à ses portes. Appartenant à des univers professionnels différents, issus du secteur public comme du privé, l’alerte touche désormais tous les domaines. Ce phénomène est confirmé par le Défenseur des Droits, qui depuis la loi de protection des lanceurs d’alerte, dite loi Waserman de 2022, a désormais la compétence de recueillir et traiter des signalements.
Certes, la loi a rendu visible l’alerte. Pourtant, de nombreuses situations individuelles demeurent préoccupantes car les lanceurs et lanceuses d’alerte sont souvent confrontés à des environnements hostiles. Leur parcours s’apparente alors à un véritable chemin de croix : mise au placard, harcèlement, licenciement, impacts psychologiques, économiques et familiaux, difficultés à retrouver un emploi...
Malgré des avancées non négligeables permises par la loi, notamment la fin de l’obligation d’effectuer un signalement en interne, il reste que le chemin est long pour que la protection des lanceurs d’alerte soit réellement effective. Le statut actuel n’offre aujourd'hui qu'une protection a posteriori et uniquement dans le cadre de la décision d'un juge, et l’obligation de patienter six mois avant toute divulgation publique bloque le contre-pouvoir démocratique que la médiatisation représente.
Pire, nombre d’entre elles et eux sont dissuadés de dénoncer des pratiques illicites et tout semble parfois fait pour les en empêcher ; parfois par la puissance publique elle-même. Alors que lancer l’alerte est une responsabilité citoyenne, qui « doit devenir le réflexe normal de tout citoyen responsable ayant pris connaissance de dangers graves pour l’intérêt général»1, elle restera lettre morte si l’État s'emploie à empêcher son expression au lieu de l'accompagner et de la protéger.
Ne pas prendre en compte les alertes, c’est aussi continuer à creuser le déficit public : les affaires de corruption, constituant la majorité des alertes reçues par la Maison des Lanceurs d’Alerte, comme la non-prise en cause de risques sanitaires ou environnementaux ont un coût collectif. Aider les lanceurs d'alertes, financièrement et psychologiquement n'est pas seulement un devoir (leur attribution étant déjà inscrite dans la loi Waserman, mais non-honorée) : c'est une source d’économie, et de bien-être pour toutes et tous à l'heure où le sujet de la dette publique est invoqué par l’ensemble des responsables politiques. Ce soutien psychologique et financier, la Maison des Lanceurs d’Alerte a dû le mettre en place, par ses propres (faibles) moyens. Or, est-ce aux associations de palier les défaillances de la puissance publique à l'heure des coupes qu'on leur inflige ?
Enquêter sur les faits dénoncés plutôt que tirer sur le messager et cacher le scandale sous le tapis : voici un premier pas pour retrouver confiance en notre démocratie et en sa capacité à s’opposer à ses dérives. En ce sens, la potentielle accession au pouvoir de partis d’extrême-droite représente un risque avéré supplémentaire dans le détricotage de nos acquis. Pour s’en protéger, il est essentiel de préserver l’éco-système dans lequel évolue les lanceurs et lanceuses d’alerte : cela commence par protéger les libertés publiques - libertés associatives et syndicales. Car c’est en préservant les espaces collectifs d’engagement que l’on brise l’isolement dans lequel beaucoup d’entre eux et elles se trouvent.
Dans les prochains mois, le législateur, quel qu’il sera, se retrouvera face à une échéance clé : la transposition dans le droit national de la directive européenne de lutte contre les procédures bâillons. Ces procédures visent à faire taire les lanceurs d’alertes, journalistes, ONG, syndicats en multipliant contre eux des plaintes abusives afin de les épuiser financièrement et psychologiquement.
La démocratie ne se construit pas seule : elle se consolide avec celles et ceux qui osent dénoncer ses failles. En ce sens, il est temps que l’État assume enfin ses responsabilités : garantir une protection effective des lanceurs et lanceuses d’alerte, financer les dispositifs prévus par la loi et cesser de laisser le courage individuel pallier les défaillances publiques : sans ces protections, la démocratie reste un vain mot, et l’intérêt général une promesse non tenue.
Liste des signataires :
- La Maison des lanceurs d’alerte
- Anticor
- Sherpa
- Pacte civique
- L214
- Greenpeace
- Attac
- Climate Whistleblowers
- Sciences citoyennes
- Bloom
- CFDT
- UGICT-CGT
- Solidaires Finances Publiques
- Sud Recherche
- Solidaires
- UNSA
- FSU
- Syndicat des Avocats de France
- SNJ
- SNJ-CGT
- FO Cadres
- Mediapart (En tant que membre de la Maison des Lanceurs d’Alerte)
1 Résolution du Conseil de l’Europe de 2019 (la même année que l’adoption de la directive européenne)