La protection des lanceurs et lanceuses d’alerte constitue un impératif démocratique. En effet, en mettant au jour des informations d'intérêt général, détenues par des gouvernements ou des entreprises, ils et elles participent à garantir la liberté d’expression et d’opinion. Ces piliers de la démocratie impliquent par ailleurs l’existence d’une information fiable, libre et plurielle à l’échelle collective.
Or, cette capacité des citoyennes et citoyens à diffuser et recevoir de l’information a été profondément bouleversée par l’émergence des grandes plateformes et réseaux sociaux, et plus récemment de l’intelligence artificielle (IA) générative. Si les réseaux sociaux offrent de nouvelles possibilités d'expression, de communication et de mobilisation citoyenne, ils sont aussi des canaux notoires de surveillance et de désinformation. Leur modèle économique fondé sur la publicité, qui repose sur la collecte massive de données et le ciblage des utilisateurs et utilisatrices par des algorithmes de recommandation, impacte la vie privée des citoyennes et citoyens et leur capacité à se forger librement une opinion. La concentration inédite de cet espace informationnel aux mains de quelques entreprises reconfigure les modalités de production et de diffusion d’une information libre et plurielle pour alimenter le débat public.
Dans ce contexte, les personnes lanceuses d’alerte jouent désormais un rôle d’autant plus indispensable, d’une part pour mettre en évidence les atteintes commises par les multinationales de la tech (1) mais également pour garantir l’accès des citoyennes et citoyens à une information de qualité face aux attaques inédites que ces entreprises font peser sur nos libertés (2).
Lancer l’alerte face aux BigTech
Les lanceurs et lanceuses d’alerte ont rapidement joué un rôle central pour alimenter le débat public sur les menaces que ces entreprises et l’utilisation de leurs technologies, font peser sur l’intérêt général. Le célèbre lanceur d’alerte Edward Snowden a ainsi révélé dès 2013 l’existence de programmes de surveillance de masse américains et britanniques, reposant notamment sur l’exploitation de données issues des réseaux sociaux. Christopher Wylie a quant à lui révélé la façon dont les données d’utilisateurs de Facebook avaient été exploitées à leur insu par une société de marketing politique britannique, Cambridge Analytica, afin de procéder à du ciblage politique et d’influencer plusieurs processus démocratiques. En 2021, c’est au de tour de Frances Haugen de révéler les multiples risques pour les libertés fondamentales, comme ceux pour la santé des personnes mineures, liés au fonctionnement des plateformes du groupe Meta. C’est encore un lanceur d’alerte, Mark MacGann (défendu par The Signals Network), qui est à l’origine des révélations des « Uber Files », portant sur les pratiques de lobbying du groupe.
Ces lanceurs et lanceuses d’alerte jouent un rôle d’autant plus important dans ce secteur que l’asymétrie d’information face aux géants du numérique est grande. En effet, si l’accès aux informations détenues par des entreprises, par nature privée, s’avère généralement difficile, l’évolution rapide des technologies et le caractère hégémonique de ces acteurs constituent des freins supplémentaires à l’accès aux informations.
Les chercheurs et chercheuses soulignent tout particulièrement les difficultés d’accès aux données et aux algorithmes de ces entreprises. Récemment, des employé·es d’OpenAI et de DeepMind ont tiré la sonnette d’alarme dans une lettre ouverte sur le manque de transparence des entreprises d’intelligence artificielle, qui détiennent des informations cruciales sur les capacités, limites et risques de leurs technologies, sans être tenues de les partager avec la société civile ou les gouvernements. En outre, dans la tech comme ailleurs, celles et ceux qui osent parler s’exposent à des représailles, qui visent à imposer la loi du silence. Les signataires de la lettre ouverte soulevaient notamment l’existence de clauses de non-dénigrement particulièrement restrictives. Plusieurs lanceurs d’alerte de la tech ont dénoncé avoir fait l’objet de licenciements après avoir pris la parole face à leurs employeurs.
Protéger l’alerte face aux BigTech
En dépit de leur rôle clef, les cadres juridiques restent insuffisants pour assurer une véritable protection des personnes qui lancent l’alerte, d’autant que celles-ci sont mises à rude épreuve à l'ère numérique. La surveillance permise par le modèle économique des réseaux sociaux constitue une menace directe pour leur protection. Les multiples scandales liés à l’utilisation de logiciels espions contre des journalistes ont particulièrement mis en évidence les risques pour la vie privée et la protection des sources de journalistes. Les réseaux sociaux exposent aussi les lanceurs et lanceuses d’alerte ainsi que les personnes qui les accompagnent, à des pratiques de harcèlement et à des campagnes de discrédit.
En outre, le modèle économique des grandes plateformes et réseaux sociaux a des répercussions sur l’indépendance et le pluralisme des médias et leur capacité à alimenter efficacement le débat public sur des sujets d’intérêt général. Ces entreprises sont, en effet, devenues les principaux points de contrôle des flux informationnels et des revenus pouvant en découler. Les algorithmes comme la modération de contenus peuvent conduire à une forme de censure privée ou à la surabondance de contenus problématiques, avec des conséquences potentiellement dramatiques en ligne comme hors-ligne. En 2022, Amnesty International publiait ainsi un rapport portant sur le rôle joué par Meta dans les atrocités commises contre les Rohingyas par l’armée du Myanmar en 2017. Aussi, comme d’autres empires médiatiques avant eux, certains patrons de la tech ne cachent désormais plus leurs velléités politiques et l’utilisation de leurs réseaux sociaux à cette fin. Les BigTech investissent par ailleurs massivement les activités de lobbying afin d’affaiblir les législations les concernant.
Dans ce contexte, les lanceurs d’alerte et les journalistes jouent un rôle d’autant plus important de contre-pouvoir pour garantir l’accès des citoyens à une information de qualité, c’est-à-dire à des informations d’intérêt général. C’est pourquoi nos associations agissent au quotidien pour défendre les personnes qui lancent l’alerte, en leur fournissant gratuitement une assistance notamment juridique, en mettant à disposition des ressources et des outils, et enfin, en agissant auprès des décideurs pour obtenir des cadres juridiques plus protecteurs de l’alerte.
Le 23 juin, soutenez-nous, soutenez les lanceuses et lanceurs d’alerte.