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Billet de blog 14 juin 2025

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Israël ou la démocratie érigée en norme supérieure au droit international

Le caractère démocratique de l'Etat hébreu permet de délégitimer en Occident toute sanction des violations israéliennes du droit international. Cet argument de la démocratie remplace le vieil argument de la civilisation qui a servi au sein de la Société des nations (1920-1946) à justifier le fait que le droit international s'applique uniquement aux "États civilisés".

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Selon un discours largement répandu, il faudrait soutenir Israël malgré ses crimes de guerre parce que c'est une démocratie. Le principe implicite sur lequel repose cette assertion est que la démocratie a plus de valeur que le respect du droit international.

Il suffit qu'une majorité de citoyens israéliens soient d'accord pour commettre des violations du droit international, ces violations sont alors perpétrées démocratiquement. Tel est le scénario qui s'est déroulé au Moyen-Orient, mais les soutiens occidentaux d'Israël continuent à promouvoir la démocratie comme une valeur absolue, c'est-à-dire supérieure même au droit international.

Or la démocratie bénéficie exclusivement aux citoyens de l'État démocratique, qui disposent du droit de vote, et de la possibilité de sanctionner électoralement une politique. En l'occurrence, elle bénéficie aux détenteurs de la nationalité israélienne. Les victimes arabes du non respect du droit international par Israël sont  plus nombreuses que les bénéficiaires de la démocratie israélienne. Pourquoi la vie, la santé et la dignité de ces Arabes auraient-elles moins de prix que la liberté politique des Israéliens ?

BÉNEFICIAIRES DE LA DÉMOCRATIE ISRAÉLIENNE

7,1 millions d'Israéliens juifs jouissent de leurs droits de citoyens de manière pleine et entière, dans un État qui se proclame  « État-nation du peuple juif», et pour lequel « le droit d'exercer l'auto-détermination au sein de l'État d'Israël est réservé uniquement au peuple juif ».

VICTIMES DU NON RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL PAR ISRAËL

7 millions de Palestiniens sont contraints de vivre en diaspora, dont 4,7 millions dans des camps de réfugiés, à la suite des nettoyages ethniques pratiqués par Israël en 1948 puis en  en 1967 .  2,2 millions de Palestiniens, victimes de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, et du crime de génocide, vivent actuellement sous les bombes israéliennes à Gaza, sans échappatoire possible. 3,2 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie occupée, victimes d'une occupation illégale au regard du droit international, et d'une colonisation israélienne reconnue comme un crime de guerre par la Cour internationale de justice. 150 000 Syriens du Golan ont été victimes d'un déplacement forcé en 1967 et 1973, et forment aujourd'hui une communauté de 500 000 personnes ; Israël a rasé la totalité des édifices syriens, puis établi des colonies illégales en remplacement de la population autochtone. Quant au Liban, c'est le pays tout entier qui a subi les effets désastreux de l'importation sur son territoire du conflit israélo-palestinien, et non pas seulement les malheureux habitants de la zone du Sud-Liban illégalement occupée par Israël en 1978-2000. La communauté internationale n'ayant apporté aucune réponse au problème palestinien, après avoir largement contribué à le créer, des Palestiniens armés ont lancé depuis le Liban, dès les années 1970, des opérations militaires contre Israël, attirant ainsi sur leur terre d'accueil des représailles israéliennes massives. La guerre du Liban de 1975-1990 a été déclenchée par la présence de milices palestiniennes - une fraction des Libanais refusant cette menace pour la sécurité du pays, une autre fraction se solidarisant avec des Arabes injustement spoliés de leur droit à l'autodétermination. Les invasions israéliennes du Liban en 1978, 1982, 2006, 2024-2025 sont à beaucoup d'égards des débordements ou des conséquences du conflit israélo-palestinien.

Les 2 millions de Palestiniens israéliens forment un cas particulier : ils disposent certes du droit de vote en Israël, mais ils ont été massivement expropriés de leurs terres, et sont à l'heure actuelle soumis à une surveillance systématique, traités comme des citoyens de seconde zone. Ces Palestiniens sont victimes de discriminations, plutôt que du non respect du droit international.

Le principe selon lequel la démocratie aurait une valeur supérieure au respect du droit international sert les intérêts exclusifs des citoyens d'une démocratie donnée, au détriment du reste de l'humanité. Un tel principe ne résiste pas à l'examen. La question se pose de savoir comment il se fait que tant de gens demeurent persuadés de sa validité.

L'APPLICATION DU DROIT INTERNATIONAL RÉSERVÉE AUX "ÉTATS CIVILISÉS"

Le discours pro-israélien qui minore l'importance du droit international dès qu'il s'agit des peuples arabes et qui garantit à Israël une totale impunité  prolonge les pratiques juridiques de la première moitié du 20ème siècle. Dans Le Droit international, publié dans la collection Que sais-je, Emmanuelle Tourme-Jouannet rappelle qu'au temps de la Société des Nations, soit entre 1920 et 1946, "le droit international n’est appliqué qu’à un petit groupe d’États se considérant comme civilisés, à l'exclusion de tous les autres. C’est la face la plus sombre du droit international que d’être ainsi un instrument juridique au service de l’exploitation, de l’impérialisme et de la colonisation" (1). 

Le droit international dans la première moitié du 20e siècle considérait explicitement que les "États civilisés" étaient des sujets de droit international,  mais que les peuples "non civilisés" ou "semi-civilisés", quant à eux, ne pouvaient l'être. Ce principe raciste a rendu possible la survie des Empires coloniaux, la création au Moyen-Orient du mandat britannique en Palestine - qui aboutit à un échec dont les Arabes du Moyen-Orient paient encore les conséquences, un siècle plus tard -, ainsi que la création du mandat français au Liban et en Syrie. 

Il se pourrait que l'ordre mondial actuel perpétue cette conception raciste sous l'apparence d'une application universelle du droit international.  L'argument de la démocratie remplace le vieil argument de la civilisation pour justifier le fait que le droit international s'applique uniquement pour défendre Israël, jamais pour le sanctionner. 

Le droit international est dès l'origine européo-centré, il favorise les structures politiques qui ont prospéré en Occident, notamment celle de l'État-nation. Néanmoins, même ce droit international biaisé et si contestable, l'Occident se refuse à le mettre en oeuvre en 2025 dès qu'il s'agit de peuples échappant à son contrôle. 


Note

(1) Tourme-Jouannet, E. (2022). Chapitre premier. "Le droit international comme histoire et culture". Le Droit international (p. 6-24). Presses Universitaires de France, https://droit.cairn.info/le-droit-international--9782715412095-page-6?lang=fr.

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