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Billet de blog 19 novembre 2024

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Gaza, Liban, et le soutien inconditionnel de l'Occident à Israël

Le nombre de civils tués augmente de manière vertigineuse à Gaza et au Liban sans entamer l'alliance entre Israël et de nombreux pays occidentaux. A l'heure du triomphe des extrêmes droites, signe d'un obscurcissement de la mémoire des crimes perpétrés par le IIIe Reich, l'explication du soutien occidental à Israël est à chercher ailleurs que dans un supposé sentiment de culpabilité post-Shoah.

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Soutien inconditionnel à Israël

Le massacre continue à Gaza comme au Liban, dans l'indifférence générale. 43 800 morts à Gaza, 3450 morts à Liban, d'innombrables violations du droit international, un rapport accablant intitulé "Anatomie d'un génocide", de la rapporteuse de l'ONU Francesca Albanese en mars 2024 (il y a 8 mois) concernant la situation à Gaza ; mais ni la France ni l'Union européenne n'ont la moindre intention de remettre en question leur accord d'association avec Israël. Quant aux Etats-Unis, ils continuent à pourvoir en armes leur allié historique, utilisent leur droit de veto à l'ONU pour protéger Israël, jugent que 37 camions d'aide alimentaire par jour à Gaza  - loin des 350 camions par jour qu'ils avaient eux-mêmes exigés - constituent "un progrès" . Les sanctions préconisées dans le rapport de Francesca Albanese(1) et qu'appellent les règles du droit paraissent toujours hors d'atteinte. 

En 2002 déjà Israël était classé au premier rang des pays qui violent les résolutions de l'ONU selon une étude de Stephen Zunes, professeur de science politique à l'université de San Francisco, relayée par Newsday et Haaretz. Plusieurs guerres et dizaines de violations de résolutions plus tard, Israël bénéficie toujours de la même immunité sur la scène internationale.

La mémoire de la Shoah ?

De manière régulière, le soutien inconditionnel que les pays occidentaux accordent à l'Etat hébreu est attribué au sentiment de culpabilité des opinions publiques à la suite de la Shoah. Cette explication qui suppose que les responsables politiques occidentaux sont réellement horrifiés par la réalité d'un génocide, et qui les crédite donc de motivations vertueuses, ne résiste pas à l'examen des faits.

A quel peuple victime d'un génocide l'Occident a-t-il jamais prêté main forte militairement ou sur le terrain diplomatique ? Aux Roms, ciblés par la même idéologie et la même tentative d'extermination que les juifs ? Posant cette question, on se sent coupable d'employer le ton de la dérision pour traiter d'un sujet aussi grave. Il faut malheureusement admettre que les Européens ont réussi à faire des Roms aujourd'hui un des groupes les plus faibles et les plus discriminés qui soient sur leur continent. Aux Tutsis ? Là encore, la question peut paraître ironique, tant la France et la Belgique ont favorisé la commission du génocide tutsi. Aux Autochtones d'Amérique ? On attend le moment où les Européens vont armer les Autochtones d'Amérique, les doter de la bombe nucléaire (comme la France l'a fait avec Israël), et voter à l'ONU pour l'existence d'un Etat des Autochtones créé aux dépens des Etats-Unis. Aux Hereros ? La plupart les Occidentaux, loin de soutenir ces premières victimes des Allemands, ont oublié jusqu'à leur existence. Aux Arméniens ? Ce serait mettre en danger les relations avec la Turquie.

L'essor de l'extrême droite en Europe et aux Etats-Unis constitue la meilleure preuve d'un effacement relatif de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Des études indiquent que si la connaissance de ce passé se perpétue, c'est grâce à l'école, non dans le contexte d'une transmission vivante (selon un sondage Shoen Consulting en 2020, seules 12% des personnes sondées ont entendu parler chez elles du génocide des juifs). 

La symbiose entre Israël et les opinions occidentales

D'autres raisons plus agissantes sont à l'oeuvre. On pourrait arguer du fait qu'Israël a "travaillé au corps" les opinions occidentales, dépensant des millions pour diffuser des discours de justification de sa politique (pour cibler le seul public français, entre le 7 et le 25 octobre 2023, soit en une dizaine de jours, le ministère israélien des Affaires étrangères a investi 4,6 millions de dollars en vidéos anti-Hamas). Mais tant de zèle n'était sans doute pas nécessaire. Israël, comme les Etats-Unis, est un enfant de l'Europe. Le sionisme s'est forgé sur le modèle d'autres mouvements nationalistes européens ; ses fondateurs sont viennois (Theodor Herzl), hongrois (Max Nordau), russes (Chaïm Weizmann), polonais (David Ben Gourion) etc. Surtout, l'Etat hébreu a un ennemi, le peuple palestinien, ou comme on dit en Israël, "les Arabes". "Les Arabes" sont dans l'imaginaire occidental ces indigènes que les Français et les Britanniques avaient matés dans les colonies ; ces rebelles auxquels les Empires coloniaux ont dû accorder l'indépendance ; ces immigrés laborieux, dangereux, qui peuplent aujourd'hui les banlieues des métropoles dans les pays du Nord - immigrés que les Occidentaux emploient et croisent tous les jours. La dite "guerre contre le terrorisme islamiste" a normalisé le meurtre de civils musulmans par dizaines de milliers, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, renforçant ainsi la solidarité avec Israël, préparant le terrain à l'acceptation des massacres de masse à Gaza et au Liban. Il fallait un mouvement violent comme l'est l'islamophobie (qui s'enracine dans l'époque coloniale) pour reléguer au second plan un antisémitisme qui n'a que trop démontré son pouvoir dévastateur. L'Etat hébreu occupe une position hégémonique par rapport à ses voisins arabes ou musulmans du Moyen-Orient ; l'hégémonie, la suprématie, la force, sont devenues depuis plusieurs siècles les attributs habituellement associés à  l'Occident. 

L'identification de nombre d'Occidentaux aux Israéliens peut s'expliquer par un sentiment de proximité historique et culturelle. Cette proximité est en partie imaginaire car avec le temps, les langues européennes parlées par les Israéliens ont été effacées par l'hébreu ; et un bon tiers des Israéliens sont originaires de pays non occidentaux. L'illusion de fraternité n'en est pas moins active, entretenue par la fabrication d'un ennemi commun, des fantasmes de domination coloniale partagés, et des stratégies semblables d'instrumentalisation du droit.

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Note

(1)Rafaëlle Maison, «Nations unies. « Anatomie d’un génocide ». Le rapport de Francesca Albanese sur la situation à Gaza», Orient XXI, 9 avril 2024,  https://orientxxi.info/magazine/anatomie-d-un-genocide-le-rapport-de-francesca-albanese-sur-la-situation-a-gaza,7220

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