Demander une baisse du prix des cigarettes et l’abandon du paquet neutre peut paraître à contre-courant, mais soyez attentif : à la fin de ce billet, vous serez, je l’espère, convaincu.
Tout d’abord, faisons une comparaison objective avec nos voisins, car le prix des cigarettes est partout moins élevé qu’en France et le paquet neutre n’est dans aucun de nos pays limitrophes.
En France, le nombre de fumeurs était de 23 % en 2023, 14,6 % en Allemagne, 19,5 % en Italie, 15,1 % au Luxembourg, 19,8 % en Espagne et 12,8 % en Belgique (daily smoker d’après l’OCDE). Bref, devinez lequel de ces pays a le paquet neutre et les clopes à 12,5 € ? Oui, c’est la France ! Les prix varient entre 10 € le paquet et 5,5 € dans les autres pays, sachant que la Belgique étant la plus chère et aussi le pays avec les frontières les moins grandes, il est réputé chez les fumeurs belges d’aller faire un tour au Luxembourg où les cigarettes sont à 7 € le paquet. Bref, on voit bien à travers cette étude comparative que la tendance que l’on peut observer de moins fumer est une tendance qui s’observe de manière générale dans tous les pays européens (34,6 % de fumeurs en 2000, 24 % en 2024 selon l’OMS en Europe) et qui n’a donc pas de causalité avec le prix et la couleur du paquet ; la corrélation que l’on observe est une fabrication politique qui ne tient pas quand on sort du prisme français et que l’on compare notre situation aux pays limitrophes. Le prix est de 5,5 € en Italie, 7 € en Espagne et au Luxembourg ! Alors, quel est l’intérêt d’augmenter sans cesse le prix ? Et bien, qui fume encore ? Ce sont les employés et les ouvriers qui, selon les chiffres du gouvernement français, représentent 60 % environ des fumeurs ; ce sont donc les personnes les plus précaires. Et que dit la médecine sur l’augmentation des prix des cigarettes chez les personnes addictes et précaires ? Eh bien, selon l’enquête “Cigarette Prices, Smoking, and the Poor: Implications of Recent Trends”, disponible sur le site de la librairie nationale de médecine américaine, l’augmentation du prix des cigarettes fait baisser le nombre de fumeurs chez les personnes les plus aisées mais n’a pas de réel effet significatif chez les plus pauvres. En conclusion, l’augmentation du prix des cigarettes a un effet limité et il peut, à terme, faire peser un poids sur les plus précaires. On pourrait ajouter à ça qu’il les détourne des marchés légaux vers le marché noir. Nous sommes donc sur des politiques de santé publique qui pourraient limite s’apparenter à de la santé de « classe »… D’autant plus que, quand on sait que 55 % des fumeurs ont commencé avant 18 ans en Europe, on se rend compte que le problème vient surtout des revendeurs qui, dans la majorité, vendent sans honte aux mineurs. Pourquoi ne pas déplacer la vente de tabac chez les pharmaciens ? Qui sont eux formés et qui ne risqueront pas leurs doctorats pour vendre à des mineurs, d’autant plus qu’ils pourront accompagner tous ceux qui souhaiteront arrêter, en tout cas mieux qu’un buraliste ou un vendeur de vape…
Bref, mon point est clair : au vu des statistiques comparées de la France et de ses voisins, le prix et le paquet neutre n’ont qu’un but : discriminer et précariser les personnes qui fument. Nous ne faisons que continuer le cercle vicieux de la précarisation des fumeurs, ce qui renforce le cercle vicieux de l’addiction. Bref, la pression par les prix est bel et bien une politique de santé de classe qui ne voit la consommation de substances addictives que par le prisme de la volonté (bourgeoise)(la drogue est pour eux récréative, sa consommation n’est qu’une question de volonté…) et ignorant donc par ailleurs tous les tenants et aboutissants socio-économiques ainsi que médicaux qui régissent les addictions.
Mon principal argument contre le paquet neutre c’est que si on rend inaccessible le tabac aux mineurs en vendant en pharmacie, le tabagisme des adultes je m’en fous ! Et donc le marketing de l’industrie du tabac tant qu’elle vise les majeurs aussi. Objectivement on est des citoyens libres et égaux si on veut fumer en connaissance de cause où est le problème ? Devrait-on interdire les pubs de paris sportifs ou d’alcool ; dire à Dom Pérignon de mettre une étiquette de champagne neutre avec des alcooliques qui font des crises cardiaques en gros sur la bouteille ? Alors pourquoi être hypocrite et venir faire chier Philip Morris ? Je suis personnellement pour le paquet où il y a écrit « fumer tue et peut causer [insérez problème de santé lié à la cigarette] »
Faire la guerre contre la drogue, faire la guerre contre les addictions est née dans les années 70, quand les personnes racisées ont obtenu des droits civiques (notamment aux USA, mais l’illégalité du cannabis date aussi des années 70 en France). Pourquoi un tel rapprochement ? Car, quand les structures ségrégationnistes et coloniales se sont effondrées, on a criminalisé une pratique qui ne l’était pas afin de lutter au nom de la « santé publique », pour un eugénisme qui ne dit pas son nom et qui voit dans l’homme nouveau un homme à la santé stoïcienne. Sous ce “juste” prétexte, on criminalise une pratique répandue dans les milieux pauvres, d’opposition et/ou racisés, on contrôle donc l’opposition grâce à un prétexte qui n’est pas de prime abord politique (la santé publique). Mais tout est politique et, quand on sait les statistiques des personnes qui vont en prison, on ne se fait pas d’illusions (70 % de la population carcérale américaine est non blanche selon l’Office of Justice Programs).
sources:
Cigarette Prices, Smoking, and the Poor: Implications of Recent Trends