Malek Guerfi

Abonné·e de Mediapart

26 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 décembre 2025

Malek Guerfi

Abonné·e de Mediapart

Tu ne pousserais pas le bouchon un peu trop loin, Morris ?

Malek Guerfi

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Demander une baisse du prix des cigarettes et l’abandon du paquet neutre peut paraître à contre-courant, mais soyez attentif : à la fin de ce billet, vous serez, je l’espère, convaincu.

Tout d’abord, faisons une comparaison objective avec nos voisins, car le prix des cigarettes est partout moins élevé qu’en France et le paquet neutre n’est dans aucun de nos pays limitrophes.

En France, le nombre de fumeurs était de 23 % en 2023, 14,6 % en Allemagne, 19,5 % en Italie, 15,1 % au Luxembourg, 19,8 % en Espagne et 12,8 % en Belgique la même année (daily smoker d’après l’OCDE). Bref, devinez lequel de ces pays a le paquet neutre et les clopes à 12,5 € ? Oui, c’est la France ! Les prix varient entre 10 € le paquet et 5,5 € dans les autres pays, sachant que la Belgique étant la plus chère et est aussi le pays avec les frontières les moins grandes. (Il est réputé chez les fumeurs belges d’aller faire un tour au Luxembourg où les cigarettes sont à 7 € le paquet.) Bref, on voit bien à travers cette étude comparative que la tendance que l’on peut observer de moins fumer est une tendance qui s’observe de manière générale dans tous les pays européens (34,6 % de fumeurs en 2000, 24 % en 2024 selon l’OMS en Europe) et qui n’a donc pas de causalité avec le prix et la couleur du paquet ; la corrélation que l’on observe est une fabrication politique qui ne tient pas quand on sort du prisme français et que l’on compare notre situation aux pays limitrophes. Le prix du paquet est de 5,5 € en Italie, 7 € en Espagne et au Luxembourg ! Alors, quel est l’intérêt d’augmenter sans cesse le prix du paquet ? Et bien, qui fume encore ? Ce sont les employés et les ouvriers qui, selon les chiffres du gouvernement français, représentent 60 % environ des fumeurs ; ce sont donc les personnes les plus précaires. Et que dit la médecine sur l’augmentation des prix des cigarettes chez les personnes addictes et précaires ? Eh bien, selon l’enquête “Cigarette Prices, Smoking, and the Poor: Implications of Recent Trends”, disponible sur le site de la librairie nationale de médecine américaine, l’augmentation du prix des cigarettes fait baisser le nombre de fumeurs chez les personnes les plus aisées mais n’a pas de réel effet significatif chez les plus pauvres. En conclusion, l’augmentation du prix des cigarettes a un effet limité et il peut, à terme, faire peser un poids sur les plus précaires. On pourrait ajouter à ça qu’il les détourne des marchés légaux vers le marché noir. Nous sommes donc sur des politiques de santé publique qui pourraient limite s’apparenter à de la santé de « classe »… D’autant plus que, quand on sait que 55% des fumeurs ont commencé avant 18 ans en Europe, on se rend compte que le problème vient surtout des revendeurs qui, dans la majorité, vendent sans honte aux mineurs. Pourquoi ne pas déplacer la vente de tabac chez les pharmaciens ? Qui sont eux formés et qui ne risqueront pas leurs doctorats pour vendre à des mineurs, d’autant plus qu’ils pourront accompagner tous ceux qui souhaiteront arrêter, en tout cas mieux qu’un buraliste ou un vendeur de vape…

Bref, mon point est clair : au vu des statistiques comparées de la France et de ses voisins, le prix et le paquet neutre n’ont qu’un but : discriminer et précariser les personnes qui fument. Nous ne faisons que continuer le cercle vicieux de la précarisation des fumeurs, ce qui renforce le cercle vicieux de l’addiction. Bref, la pression par les prix est bel et bien une politique de santé de classe qui ne voit la consommation de substances addictives que par le prisme de la volonté (bourgeoise)(la drogue n’est pour eux que récréative, sa consommation n’est qu’une question de volonté…) et ignorant donc par ailleurs tous les tenants et aboutissants socio-économiques ainsi que médicaux qui régissent les addictions.(Pour approfondir Cairn)

(Opinion) Mon principal argument contre le paquet neutre c’est que si on rend inaccessible le tabac aux mineurs en vendant en pharmacie, le tabagisme des adultes je m’en fous ! Fumer est un droit. Et donc le marketing de l’industrie du tabac tant qu’il vise les majeurs et qu’il n’est pas fallacieux je m’en fous aussi. Objectivement on est des citoyens libres et égaux si on veut fumer en connaissance de cause où est le problème ? Devrait-on interdire les pubs de paris sportifs ou d’alcool ? Devrait-on dire à Dom Pérignon de mettre une étiquette de champagne neutre avec des alcooliques qui font des crises cardiaques en gros sur la bouteille ? Alors pourquoi être hypocrite et venir faire chier Philip Morris ? Je suis personnellement pour le paquet où il y a écrit « fumer tue et peut causer [insérez problème de santé lié à la cigarette] » 

Faire la guerre contre la drogue, faire la guerre contre les addictions sont des concepts nés dans les années 70, quand les personnes racisées ont obtenu des droits civiques (notamment aux USA, mais l’illégalité du cannabis date aussi des années 70 en France). Pourquoi un tel rapprochement ? Car, quand les structures ségrégationnistes et coloniales se sont effondrées, on a criminalisé une pratique qui ne l’était pas afin de lutter au nom de la  « santé publique », pour un eugénisme qui ne dit pas son nom et qui voit dans son "homme nouveau" un homme à la santé stoïcienne (lien à faire avec M.Weber qui parle de la connexion entre la frugalité protestante et l’esprit du capitalisme). Sous ce “juste” prétexte, on criminalise une pratique répandue dans les milieux pauvres, d’opposition et/ou racisés, on contrôle, on régule, on discrédite, on silencie l’opposition grâce à un prétexte qui n’est pas de prime abord politique (la santé publique). Mais tout est politique et, quand on sait les statistiques des personnes qui vont en prison, on ne se fait pas d’illusions (70 % de la population carcérale américaine est non blanche selon l’Office of Justice Program).On garantit donc au capitalisme une main d’oeuvre hors du droit régulier, une mains d’oeuvre « indigène » que l’on peut payer de manière dérégulé. Si tout autre acteur que l’Etat proposerait ce genre de main d’oeuvre il serait condamné pour esclavage moderne.Celui qui voit les prisons françaises et américaines et qui dit qu’il n’y a pas là bas une reproduction de structures coloniales et/ou esclavagistes, vie soit avec des œillères, soit est aveugle, soit est hypocrite ou idiot; à vous de choisir. (Le salaire d’un prisonnier représente entre 20 et 45% du smic en France et il n’y a pas de smic aux USA donc selon BFM tv ils toucheraient entre 0 et 1,24 $/heure. S’il y’a du trafic en prison, c’est parce qu’il y’a de la précarité. Commencer par payer ces gens normalement pourrais permettre de réduire la violence carcérale, une solution par le travail qui plairait à nos dirigeants… à qui je ne voudrais pas souhaiter une foulure de leurs deux neurones fonctionnels en leurs disant de lire Loïc Wacquant(Professeur à Berkeley et élève de P.Bourdieu) qui proposait déjà un RMI prisonnier il y’a 20 ans)

(Aparté) Si vous me répondez qu’ils sont moins chers à cause des lois du marché, vous avez tout compris ! Il ne vous reste plus qu’à deviner à qui profitent les lois du marché et par qui ont-elles été mises en place. Le capitalisme a connu sa première réelle révolution avec le commerce triangulaire, qui a permis l’essor d’une nouvelle classe dans la société : le maître. Ce statut a permis à la bourgeoisie des villes d’acquérir fortune, gloire et pouvoir ; ils avaient tout amassé… Ils ont fait la Révolution car ils étaient riches et toujours inférieurs aux nobles qui, pour certains, étaient objectivement moins puissants qu’eux. C’est donc au nom de l’égalité dans les privilèges que l’on a fait nos révolutions. En hiérarchisant les hommes en fonction de leur utilité, on leur donne une valeur que l’on ordonne à travers leurs capacités à accumuler du capital, car la finalité de l’utilité, c’est la maximisation du profit collectif ; le seul privilège devient donc l’argent. (La monnaie est un actif financier liquide, c’est donc du capital.) (Art. 1 de la DDHC de 1789 : la distinction ne peut se baser que sur « l’utilité commune ».) Et comme je le mentionne dans un billet de blog de 2022, face au paradoxe des propriétaires (d’esclaves) nés égaux en droits et en devoirs, le mouvement abolitionniste a poussé le capitalisme à se réformer sous la forme du salariat, et les maîtres sont devenus patrons.(pour approfondir ici et ici )

Et alors, si vous voulez aller encore plus loin, je ne peux que vous conseiller La Grande Transformation de Karl Polanyi. Qui y explique que, du fait que les politiques libérales et néolibérales n’ont que le profit monétaire comme échelle d’efficacité, elles sont aveugles aux déterminants sociaux. Pour reprendre l’expression de l’auteur, l’économie se « desencastre » de la société, elle évolue en parallèle selon ses propres règles au détriment du reste de la société. Par exemple, aux USA s’applique une politique capitaliste : un hôpital efficace, c’est un hôpital qui fait du profit. En France, c’est une politique communiste qui s’applique : un hôpital efficace, c’est un hôpital qui soigne ; chacun, s’il le peut, paye en fonction de ses moyens et tous sont soignés.

(Aparté) La luttes contre l’alcoolisme c’est d’ailleurs faites d’abord au travail. Le tout dans une logique non pas de santé publique mais de productivité au travail. La preuve en est que les premières lois de luttes contre l’alcoolisme date de 1898 et traite de l’alcoolisme au travail.(approfondir ici). Aux USA des politiques comme la prohibition ont permis l’essor de la mafia en donnant un monopole sur l’alcool aux criminels.(Mais la réflexion s’applique à tous les produits stupéfiants.)

sources:

les anglais ont fini de rembourser leurs dettes liées aux compensations du aux esclavagiste en 2015 quand un descendant d’esclaves jamaïcains devra payer plein pots sa vie…(Bank of England) 

Ancien collaborateur de Nixon qui admet que la guerre contre la drogue etait une guerre contre la gauche anti guerre et les noirs (huff post)

À l’époque on l’a accusé d’être aigri car il est aller en taule à cause du watergate mais des enregistrements prouve que Nixon était une grosse merde raciste (le monde)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.