Ah, mes chers enfants, au siècle dernier, il ne serait venu à personne l’idée de se poser la question ! La triste réalité d’aujourd’hui, c’est que la Gauche, personne ne sait ce que c’est. Prenez les socialistes. Ils se positionnent comme les aides-soignants d’une mondialisation qui fait le lit du néolibéralisme partout dans le monde. Ils le croient indépassable. Ils ne comprennent pas que l’urgence climatique change radicalement la donne, à commencer dans la tête des gens, là où joue la politique. La lutte contre le réchauffement climatique, difficilement compatible avec la logique du profit avant tout du néolibéralisme, est la première mobilisation mondiale de la jeunesse, et les socialistes ne la voient pas. Et encore, s’ils se rattrapaient sur d’autres questions, comme par exemple la démocratie avec le passage au scrutin à la proportionnelle, ou la légalisation du cannabis, mais leur programme électoral de la présidentielle montre qu’ils sont d’un conformisme affligeant. Leurs ex-camarades passés chez Macron sont bien plus cohérents, puisqu’ils assument d’être un courant social derrière un président néolibéral.
Il y en a un qui après en avoir récuser le terme, nous clame aujourd’hui « la Gauche, c’est moi ! », Jean-Luc Mélenchon, prince de la duplicité et roi de la contradiction. Il faut saluer ses talents d’équilibriste pour concilier sur sa personne des gauchistes antirépublicains qui fricotent avec des islamistes fascisants, tout en agrégeant des ex-communistes ou ex-socialistes à cheval sur la laïcité. Tout le monde voit midi à sa porte, au point de trouver crédible un mec qui nous promet plus de démocratie avec une 6ème République, alors que tout son parti est soumis à sa personne. À un congrès des Insoumis, on ne discute pas de plusieurs textes, on adopte celui de la direction. Mélenchon nous dit qu’il est écologiste, alors que dans son projet, l’écologie est un instrument pour créer des emplois au service d’une croissance économique productiviste, pas un objectif en soi, encore moins une philosophie, pas même un projet.
En faisant des législatives un 3ème tour de la présidentielle, Mélenchon nous enjoint de l’élire Premier ministre. Comment croire qu’il veut vraiment les gagner quand on voit comment il a mené les négociations avec ses alliés ? S’il visait la victoire, il aurait proposé de déterminer circonscription par circonscription la ou le candidat le mieux placé, quelque soit son appartenance partisane. Pour une coalition, c’est la meilleure méthode pour se donner les meilleures de chances de l‘emporter dans un maximum de circonscriptions. La méthode cynique et brutale consistant à faire des présidentielles la référence pour négocier les législatives n’a qu’un seul but : asseoir l’hégémonie des Insoumis sur les forces d’opposition à Macron. Mais Mélenchon, chef de l’opposition, à quoi ça sert, si ce n’est faire le miel de Macron ? Lors de la tentative de réforme du système de retraite en 2020, les groupes politiques de l’opposition se proposaient d’utiliser la discussion parlementaire comme support pédagogique en direction des français. L’idée était de rédiger des amendements ciblés pour mettre en exergue les points les plus difficiles à justifier pour le gouvernement. Les députés Insoumis ont préféré déposer des milliers d’amendement pour contester des points et des virgules. Ils ont pourri le débat au point que le gouvernement a pu recourir sans coup férir à l’article 49-3 pour faire passer son texte sans discussion parlementaire. Les Insoumis sont alors descendus dans la rue pour crier au déni de démocratie ! Sommes-nous idiots à ce point que l’on puisse nous livrer sans ciller pareil comédie ? Comment nous défendre en nous respectant aussi peu ? Cynisme, brutalité, mauvaise foi, duplicité, autoritarisme, culte de la personnalité, si la Gauche, c’est Mélenchon, ça ne fait pas vraiment envie d’en être.
Reste l’écologie. Est-elle de gauche ? Oui, et non. Il y a des écolos d’extrême-gauche, de gauche, centristes, fachos, et même des écolos néolibéraux ! L’écologie est « de gauche » sur l’échiquier politique parce que la principale force qui s’en réclame, EELV-Les Verts se déclare comme telle. Hier, l’écologie, c’était sauver les fleurs et les petits oiseaux, puis à force de scandales sanitaires liés à la pollution ou l’agro-alimentaire, c’est devenu une question de santé. Aujourd’hui, c’est une question de survie de l’espèce humaine. C’est ainsi que la vivent les jeunes génération. Le mouvement est massif, l’écologie est la préoccupation principale des français, toutes générations, toutes classes sociales et origines géographiques confondues. Dés lors, comment le candidat écologiste à la présidentielle a-t-il réussi l’exploit de passer sous la barre des 5% ? Les pâles apparatchiks qui dirigent EELV-Les Verts ont récolté ce qu’ils ont semé en fixant la date de leur primaire de désignation en pleine rentrée scolaire de septembre. Ne savaient-ils pas que cela revenait à imposer aux candidats à la candidature de faire campagne sur les plages ? Il y avait-il urgence à organiser ce vote début septembre, plutôt qu’en octobre, et même en novembre ? Non. Alors, pourquoi ce choix ? Parce qu’ils ont craint les effets du succès d’une primaire portée par un large élan populaire, qui se serait traduit par une vague d’adhésion à EELV. Les rapports de force internes au parti en auraient été modifié, or ils ont un congrès en septembre prochain, et il est plus important pour eux que l’élection présidentielle.
Ah, mes chers enfants, dans la foulée de la séquence électorale présidentielle, tout est biaisé. Cela a commencé par la campagne elle-même. Le président sortant a habilement utilisé le contexte international pour éviter qu’elle soit un moment de discussion de son bilan, mais aussi de son projet dans ses aspects les plus contestables. Il chante aujourd’hui à qui veut bien encore l’entendre que son second mandat sera écologique ou ne sera pas, mais il se propose de laisser des monceaux de déchets nucléaires aux générations futures, et son ministre de l’agriculture défend à Bruxelles l’industrie agro-alimentaire la plus polluante au détriment de l’agriculture biologique. Tu parles d’un écolo ! Elle a aussi été biaisée par des médias qui ont fait la part belle à un saltimbanque qui glosait sur l’islam et l’identité nationale, quand les premières préoccupations des français étaient le pouvoir d’achat, l’écologie et la santé.
La suite, les législatives, sont biaisées par Mélenchon qui sait pertinemment que sur les 22% d’électrices et d’électeurs qui ont voté pour lui, seul un tiers sont attachés à lui, les deux autres tiers sont des votes utiles, d’opportunité, parce qu’il caracolait en tête des intentions de vote de gauche dans les sondages. Si le candidat écolo avait été désigné par une primaire à 1 million de participants, il aurait été catapulté en tête des sondages et aurait bénéficier de la dynamique du vote utile. Cela aussi Mélenchon le sait, ce qui ne l’empêche pas de faire son hold-up sans aucune vergogne. Son horizon, ce n’est pas gérer la France, mais l’Histoire. Il se rêve comme une sorte de nouveau Victor Hugo, à la fois lyrique et visionnaire, qui resterait gravé ainsi dans les mémoires. Plutôt que se retrouver à Matignon, il préfère sans conteste incarner l’opposition de gauche pour aller prononcer des discours flamboyants aux quatre coins du pays. Les socialistes n’ont aucune valeur ajoutée au niveau national, et semble se satisfaire d’administrer les « territoires », leur nouveau mot fétiche. Les communistes restent des productivistes dans l’âme. Par leur calcul d’épicier à l’occasion de l’organisation de leur primaire, les dirigeants de EELV-Les Verts ont fait la démonstration qu’ils ne sont pas à la hauteur des enjeux de ce moment fondamental où nous pouvons encore contrer les effets les plus désastreux du réchauffement climatique et de l’effondrement du vivant.
Dans ce sombre tableau, mes chers enfants, il y'a toutefois quelques lueurs d’espoir. Votre génération a voté massivement pour Mélenchon, exprimant ainsi une espérance de rupture radicale. Dans le crash du candidat écolo, il n’y a pas que la rampe de lancement ratée, il y a aussi le manque d’audace, une sorte d’écologie qui se voulait raisonnable et rassurante, et qui est passé à côté de la jeunesse, composante importante du vote écologiste. Autre lueur d’espoir, l’installation durable dans le débat politique de la question-clé de voûte qu’est la sortie de l’hyper-consommation, grâce à Delphine Batho, présidente de Génération écologie. À travers l’éco-féminisme mouvement dans lequel elle s’inscrit, cette leader prône une façon de faire de la politique aux antipodes des pulsions dominatrices de Mélenchon, avec son parfum surannée d’avant-garde marxiste-léniniste du siècle dernier. Un profond mouvement de la société pour plus d’écologie qui se vit comme engagée dans une course contre la montre pour la survie, une leader émergente qui porte une offre politique cohérente à la hauteur des enjeux, ce sont déjà deux bons ingrédients pour une bonne sauce. En attendant, pour les législatives, et malgré l’état des lieux désespérant que je viens de vous dresser, il ne faut pas hésiter à aller voter pour l’alliance brinquebalante de la carpe, du lapin, de la tortue et du requin, car voyez-vous mes chers enfants, sur les questions vitales pour votre avenir que sont la démocratie, l’énergie ou la nourriture, la seule chose que l’on peut attendre du président fraîchement réélu, c’est le pire. Le priver de majorité parlementaire est encore la meilleure chose que nous puissions faire.
Malik Lounès
Les épisodes précédents :
Épisode 1, « Papa, va-t-on vers la guerre nucléaire ? »
https://bisedemalik.wordpress.com/2022/03/06/papa-va-t-on-vers-la-guerre-nucleaire/
Épisode 2, « Papa, il va-t-on se cailler les miches cet hiver ? »
https://bisedemalik.wordpress.com/2022/03/29/papa-va-t-on-se-cailler-les-miches-lhiver-prochain/
Épisode 3, « Papa, il se passe quoi si l’on s’abstient dimanche prochain ? »