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Billet de blog 8 novembre 2023

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Israël-Palestine, une impasse d’horreur, de larmes et de sang ?

En ces temps de nuit et de brouillard où des humains laissent leur part la plus obscure prendre le pas pour emmener tout le monde vers le pire, combien d’atrocité faudra-t-il aux uns et aux autres pour admettre que l’escalade dans la violence et l’horreur, ne mène qu’à une impasse que l’on remplit à l’infini de flots de larmes et de sang ?

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Si l’attaque du Hamas avait visé essentiellement les soldats et les infrastructures de l’armée israélienne, il n’est pas sûr que celle-ci aurait décidé d’envoyer ses soldats dans Gaza. Tsahal sait que c’est un truc à éviter. En revanche, s’en prendre férocement à des civils en en tuant un maximum, tout en kidnappant des otages pour servir de bouclier humain, ne pouvait que déclencher l’ire d’Israël. De la colère d’Israël, le Hamas pouvait par expérience logiquement s’attendre en riposte à des bombardements massifs et, idéalement, une incursion terrestre de Tsahal. Plus ses atrocités commises contre les civils israéliens seraient nombreuses, plus Tsahal entrera profondément et durablement dans Gaza. Ce sera la lutte finale ! Et l’occasion de faire de Gaza un champ de bataille digne de Stalingrad pour Israël, afin de transformer en victoire politique une inévitable défaite militaire. Pour le Hamas, la seule interrogation portait sur le nombre de victimes civiles gazaouies, notamment des enfants. Non qu’il s’en préoccupe particulièrement, Dieu décide de leur sort, mais pour faire fructifier politiquement leurs cadavres sur le front de la communication. Et faire oublier ainsi ses propres exactions. Pari réussi, il y a tellement de victimes civiles gazaouies que l’on se demande si elles sont de l’ordre du dégât collatéral ou la cible principale… À l’aune de la violence qu’abat Israël sur Gaza, le piège du Hamas a fonctionné au-delà de ses espérances. Pour le Hamas et pour l’instant, le massacre d’enfants, de femmes enceintes et de vieillards auquel il s’est délibérément livré le 7 octobre lui rapporte gros, d’autant que le coût de la réprobation internationale est quasi effacé par la situation dramatique d’enfants, de femmes enceintes et de vieillards sous les bombardements israéliens à Gaza. Alors qu’Israël est la victime d’un horrible massacre, ses bombardements aussi massifs que son blocus total, lui valent de se retrouver quasiment mis au ban des nations à l’ONU ! Incroyable. Bravo Tsahal.

Pour ce qui est des objectifs politiques, c’est carton plein pour le Hamas ! D’abord, ceux internes à Gaza, puisque sa mainmise sur l’enclave prime sur tout le reste. Sur le terrain de la lutte armée qui est un gros enjeu de légitimité politique, le Hamas était de plus en plus contesté par des groupuscules plus radicaux, qui exerçaient une attraction grandissante sur la jeunesse gazaouie, en menant à tout bout de champ et n’importe comment des actions contre Israël. Outre le crime de lèse-majesté que constitue pour le Hamas la contestation de son autorité, ces opérations échappant à son contrôle perturbaient les subtiles relations qu’il entretient avec Israël, certes son ennemi juré, mais dont il dépend pourtant pour la gestion au quotidien de Gaza. Le Hamas veut choisir les phases de tension et de détente avec Israël, au gré de ses intérêts du moment. Aujourd’hui, tous ces groupes contestataires reconnaissent son autorité. Par l’ampleur et la sophistication de l’opération qu’il a mené, il a démontré à la jeunesse gazaouie désireuse d’en découdre avec Israël qu’il était la seule vraie force armée capable de le faire sérieusement. Politiquement, pour asseoir dans la durée son pouvoir sur Gaza, ça n’a pas de prix.

Israël avait décrété son mur « infranchissable ». Le 7 octobre, ce n’est pas tant le mur qui a explosé, que l’arrogance dont font preuve les Israéliens à l’égard des arabes depuis des décennies, au fil de guerres remportées, de territoires annexés, ou grignotés à coups de colonies. L’explosion de l’arrogance israélienne a produit dans la rue arabe une onde de choc positive, celui d’un regain de fierté retrouvée. Cette onde est si puissante qu’elle met en porte-à-faux les gouvernements de pays arabes qui ont reconnu Israël, ou négocient, ou commercent avec. Si Israël n’avait pas tapé aveuglément les enfants, les femmes et les vieillards de Gaza, peut-être qu’alors serait venu dans la rue arabe le temps de la compassion pour les enfants, les femmes enceintes et les vieillards assassinés par le Hamas. Dans notre monde connecté, les images effroyables en chassent d’autres qui le sont tout autant de nos écrans. Celles de Gaza bombardée n’ont pas laissé le temps à celles des victimes du Hamas de s’imprimer dans notre imaginaire. Le récit, le nom, le visage, le regard, le sourire de chacune et chacun d’entre eux, la douleur de leurs proches, le martyr de leur mort ne sont pas, ou peu, parvenu aux cerveaux des occidentaux. C’est regrettable et nous le payons aujourd’hui en France avec la recrudescence d’actes et de paroles antisémites, doublée du spectacle lamentable de français pro-palestiniens et pro-israéliens qui se jettent leurs défunts à la figure, comme autant de preuves de la légitimité de leur combat. 

Affligeant, mais surtout très inquiétant : quelle cause peut légitimer, justifier, cautionner, expliquer, s’accommoder, simplement accepter que l’on tue des enfants en son nom ? Où est notre humanité si l’on considère normal de passer par pertes et profits le meurtre d’un enfant, quel que soit le ventre dont il est issu, son identité, sa langue, sa couleur de peau, sa religion, le passé de ses parents, leurs convictions politiques, leurs actes et que sais-je encore ? Aucune cause, aucune raison, rien, absolument rien, définitivement rien, que ce soit de sang-froid ou à l’insu de son plein gré, au couteaux les yeux dans les yeux, comme de loin par obus ou missiles interposés, sans voir les corps démembrés par le petit coup de pouce que l’on a donné sur son joystick. Le nombre de victimes civiles gazouies est effarant et près de la moitié sont des enfants. Dans la façon dont l’armée israélienne mène cette guerre, il y a quelque chose qui ne va pas. C’est ce que dit cette statistique.

En attendant, dans le monde musulman, bien plus vaste que le seul monde arabe, c’est tout bénef pour le Hamas. Politiquement, bien sûr, mais aussi financièrement. Il a sécurisé une de ses principales sources de revenus, qui menaçait de diminuer, si ce n’est de se tarir. Les richissimes émirats de la péninsule arabique le financent généreusement, tout en arrosant maintes associations gazaouies. C’est aussi pour eux un havre de paix, sécurisé depuis un monumental désastre pour les services secrets israéliens. À Dubaï, en 2010, suite à l’assassinat du logisticien en chef du Hamas particulièrement doué pour alimenter Gaza en arme, la quasi-totalité de la vingtaine d’agent du Mossad impliqués dans cette opération ont été identifié par la police de l'émirat. Victimes de leurs préjugés sur la compétence de leurs collègues arabes, ces agents surentraînés se sont fait tauper comme des amateurs, ce qui a coûté sa place à leur grand chef, pourtant une figure historique du service. Comme ils ont utilisé de vrai-faux passeports de diverses nationalités, cela a valu à l’État Hébreu une crise diplomatique majeure avec une bonne partie de ses alliés, et la suspension de la coopération des services secrets américains et britanniques. Ça pique. Depuis, les dirigeants du Hamas savent qu’ils sont en sécurité dans les émirats du Golfe, au confort de vie appréciable. Sauf que l’Arabie Saoudite et quelques autres monarchies du coin en compétition avec l’Iran dans la région, ont entamé sous l’égide des Américains des discussions avec Israël. Le Hamas a vite compris ce qu’il pouvait perdre dans ce virage stratégique des gouvernants de cette précieuse base arrière physique et financière. Désormais, les gouvernements arabes engagés dans une normalisation de leur relation avec Israël, font très attention à ne pas se retrouver en opposition frontale avec leurs opinions publiques révoltées par la brutalité de l’armée israélienne envers les civils palestiniens. Avec un tel capital de sympathie dans le monde musulman, les dirigeants du Hamas installés dans les émirats sont tranquilles pour un moment. Pour la diplomatie israélienne, ce sont des années d’effort qui sont parties en fumée dans les explosions qui meurtrissent Gaza.

Quelle est la stratégie politique d’Israël, si tant est qu’il en ait une, tant son principal dirigeant, le premier ministre, paraît aux abois et avant tout préoccupé par sa survie politique, quitte à empiler les morts palestiniens, comme pour mieux se racheter auprès des Israéliens de son incompétence et de ses erreurs aux conséquences dramatiques ? Quel est le fil conducteur, pour quel objectif politique, au-delà de l’intervention militaire, de la vengeance, du prix du sang, 20 yeux pour un œil, 20 dents pour une ? Et de façon plus immédiate, quelle est la logique politique de l’utilisation de sa force armée et du blocus qu’elle impose à Gaza sur le carburant, l’électricité, l’eau, la nourriture, les médicaments ? Les militaires israéliens disent que l’essence est essentielle à la machine de guerre du Hamas. Ok, mais dans ce cas, si on coupe également l’électricité, que fait-on le jour où les hôpitaux n’ont plus de carburant ? On laisse crever les malades et les blessés ? Depuis quand les anesthésiants, les antibiotiques, les antidouleurs, l’insuline, les anticancéreux et bien d’autres médicaments aussi indispensables à la survie des personnes seraient des armes de guerre ? En quoi permettre de soigner des malades et des blessés renforcerait les capacités militaires du Hamas ? Et l’eau ? Serait-ce devenu une munition ? Assoiffer la population revient à terme à l’assassiner. L’obliger dans l’immédiat à consommer une eau non potable pour survivre est source de maladie et d’épidémie, ce qui équivaut à utiliser une arme bactériologique contre des populations civiles. C’est quoi le sens ? Tuer un maximum de gazaouis pour faire savoir le prix à payer en cas de récidive ? Cela fait des décennies qu’Israël manie le bâton à leur égard, de plus en plus gros, de plus en plus fort, durant ces quinze dernières années de pouvoir de la droite, pour quel résultat ? Plus de haine, plus de violence, plus de larmes et de sang.

La cruauté exercée sur les civils de Gaza est-elle juste le fruit de l’ivresse vengeresse de l’horreur semée par le Hamas, ou l’expression d’une volonté plus profonde, se débarrasser coûte que coûte des Palestiniens, y compris physiquement s’il le faut, définitivement pour les uns et suffisamment pour effrayer tant les autres qu’ils ne voient comme seul salut un nouvel grand exode, comme en 1948 ? L’Égypte, unique porte de sortie possible pour les civils gazaouis pris au piège de la guerre, l’a bien compris et a martelé qu’il est hors de question pour elle d’ouvrir sa frontière à des centaines de milliers de réfugiés gazaouis. Si c’est cela l’objectif des bombardements massifs et du blocus israélien sur l’eau, la nourriture et les médicaments, c’est raté.

Israël est à la croisée de son destin. Non pas qu’il jouerait son existence dans ce nouveau conflit, comme a tenté de le faire croire son premier ministre dans une déclaration qui s’apparente à un numéro de clown, tant le rapport de force entre Tsahal et le Hamas est asymétrique à tout point de vue. L’armée israélienne est une des meilleures au monde, parmi les mieux équipées et les plus aguerries. De surcroît, grâce à la mobilisation des réservistes, elle affiche un large avantage numérique, dans un rapport d’un à dix. Pour le premier ministre israélien, expliquer que la guerre sera longue permet de reporter le moment où lui-même devra rendre des comptes, ce qui s’annonce douloureux. Ajouter qu’elle sera difficile prépare les esprits. Pour faire payer au Hamas le prix du sang, il va falloir verser son écot. Combattre dans les débris des immeubles de Gaza ne va pas être une promenade de santé. Comment avoir la certitude de détruire tous les tunnels qui forment l’épine dorsale de l’infrastructure militaire et économique du Hamas, sans tuer les otages, autrement qu’en y envoyant la troupe ? Vu l’ampleur du dédale construit par le Hamas, il y aura des pertes humaines. En 2006, alors qu’il avait perdu son fils cadet lors de l’affrontement avec le Hezbollah libanais, un grand intellectuel israélien déclarait « notre famille a déjà perdu la guerre ». Hélas, la liste des familles israéliennes et palestiniennes qui perdent la guerre semble devoir s’allonger à l’infini.

Si Israël ne joue pas son existence dans cette guerre sans merci, la manière dont il la mène lui pose une question existentielle. La façon dont Israël veut punir le Hamas relève d’une célèbre maxime poussée à l’extrême. Si ce n’est pas toi, c’est donc ton frère, ta sœur, ta mère, ton père, ton cousin, ta cousine, ton neveu, ta nièce, ton ami, ton voisin… C’est la punition collective, pas tant au nom d’une complicité supposée que d’une appartenance avérée : tu es gazaoui, donc coupable du crime commis contre nous. La punition collective exercée sur toute la population, c’était la riposte préférée des SS lors de la seconde guerre mondiale. C’est peut-être là le plus grand effarement. Comment l’armée du pays des rescapés de la Shoah peut-elle appliquer à une population entière une méthode de nazi, sans se poser de question ? Si Tsahal peut se comporter ainsi sans la moindre vergogne, alors qu’est devenu Israël ? Qui veut-il être ? Qu’est-ce qui cimente sa population, au-delà de la défense commune du territoire où elle vit ? La réalité est que le pays est fracturé par la succession à un rythme effréné d’élections législatives, avec un échiquier politique pollué par les affaires de corruption d’un premier ministre particulièrement doué pour sauver sa peau, sous la baguette d’une extrême-droite raciste qui se sent pousser des ailes pour imposer son projet politique : un État hébreu plus ou moins théocratique, où il n’y aurait pas de place pour les non-juifs. Que le peuple israélien dans toute sa diversité et ses différents modes de vie ne se fasse pas d’illusion. Quand la mécanique de l’exclusion est enclenchée, on sait où elle commence, rarement où elle s’arrête. Un Israël qui prendrait la voie que son extrême-droite raciste tente de lui tracer, serait un Israël où une fois la question des non-juifs réglée, il lui en faudra peu pour qu’elle mette à son ordre du jour quelques autres questions, comme « qui est vraiment juif ou pas ? », ou « peut-on être juif et homosexuel(le) ? ».

Un autre grand intellectuel israélien, cinéaste de mémoire, expliquait il y a quelques années que les Territoires occupés devenus Gaza, ainsi que la Cisjordanie dans une moindre mesure, avaient été pour les générations d’appelés israéliens qui s’y sont succédées pendant des décennies pour y effectuer leur service militaire, l’école de la déshumanisation à l’égard des palestiniens. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, déshumaniser l’autre pour n’avoir ni altruisme, ni empathie, aucune pitié à son égard, ni la moindre once d’humanité, puisque justement, on ne le reconnait pas comme un être humain. On peut lui faire subir ce que l’on ne voudrait pas soi-même endurer pour tout l’or du monde, tout en alimentant dans le camp d’en face celles et ceux qui font de même. C’est cette mécanique infernale de la déshumanisation qui s’alimente mutuellement de part et d’autre qui permet aux protagonistes de tuer sans se poser de question des enfants, des femmes enceintes et des vieillards. Où est la différence ? Dans les sommets de l’horreur dans la façon de procéder ? Propre d’un côté, puisque l’on appuie sur des boutons, sale de l’autre, puisque l’on tue en martyrisant ses victimes ? Ce serait cela la différence entre la barbarie et la civilisation ? L’objectif assumé du Hamas est la destruction d’Israël, en expulsant les juifs qu’il n’aura pas tués. Mais les Israéliennes et les Israéliens, que veulent-ils vraiment ?

Les enfants israéliens et palestiniens qui ont payé de leur vie la folie des adultes, ont des frères et des sœurs, des cousines et cousins, des amis, des voisins qui eux-même resteront marqués à vie dans leur chair et leur esprit, mutilés ou traumatisés. La naissance d’un enfant est une promesse d’amour, or cette guerre est une fabrique à futurs psychopathes, qui assassineront sans ciller des enfants pour imposer à l’autre le choix entre la valise ou le cercueil. En ces temps de nuit et de brouillard où des humains laissent leur part la plus obscure prendre le pas pour emmener tout le monde vers le pire, combien d’atrocité faudra-t-il aux uns et aux autres pour admettre que l’escalade dans la violence et l’horreur, ne mène qu’à une impasse que l’on remplit à l’infini de flots de larmes et de sang ? Combien de pleurs, de douleurs, de malheurs, de vies à peine commencées déjà brisées, foutues, perdues à jamais, pour qu’enfin la face lumineuse de l'humanité prenne la main ? L'Humanité, celle qui ne fait pas à autrui ce qu’elle ne voudrait pas subir, qui reconnaît à l’autre le droit à l’existence, à la sécurité, au respect de sa dignité, entre autres. Alors s’ouvrira, peut-être, enfin, une ère de concorde et de prospérité entre israéliens et palestiniens. Combien de temps ? Combien de morts ?

Malik Lounès, 2 novembre 2023.

P.S : ne croyez pas qu’en Europe, nous serions à l’abri de la déshumanisation. Nous la manifestons tous les jours par notre indifférence au sort des migrants, puisque nous poursuivons nous aussi une chimère, faire de la Méditerranée un « mur infranchissable ». C’est un échec patent, des gens se noient tous les jours. La mécanique des fluides nous a enseigné depuis fort longtemps que quand on ne peut pas stopper un flux continu, on le régule, mais nous, nous obstinons à vouloir bloquer ce flux continu qui finit par déborder jusqu'à notre conscience pourtant proclamée humaniste. Incidemment, notre attitude déshumanisée à l’égard des migrants pose une autre question sur le double défi que représentent pour l’Humanité le réchauffement climatique et l’effondrement du vivant : tous contre tous, ou tous ensemble ?

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