Tous ensemble ou tous les uns contre les autres ? Face au défi de survie que posent le dérèglement climatique et sa cohorte de bouleversements, l’effondrement dramatique du vivant, la pollution exponentielle qui empoisonne l’air, la terre, la mer, et in fine nos corps, voilà la seule question qui vaille pour les années à venir. Dans ce bras-de-fer entre humanisme et égoïsme, la réélection de Donald Trump vient de faire dangereusement pencher le balancier.
Les conséquences sont incalculables. La première est une mauvaise nouvelle pour nous tous, ce « nous » désignant l’ensemble de l’Humanité, puisque l’élection de Trump est un coup dur pour l’écologie. Celles et ceux qui luttent contre le dérèglement climatique, l’effondrement du vivant et la pollution massive des ressources vitales, vont avoir pour adversaire déclaré la première puissance mondiale. Ce n’est pas rien. La seconde est que l’Ukraine a probablement perdu la guerre sur tapis vert, face à un Poutine aux mains libres pour mettre au pas les peuples des marches de l’ex-empire soviétique. Sous l’ombre d’un grand russe menaçant, l’OTAN, pilier de notre sécurité, menace de se fissurer, ce qui pose une question simple aux européens : quelle part de souveraineté et d’argent êtes-vous prêts à partager pour assurer collectivement votre défense ? Au Moyen-Orient, une nouvelle escalade de la violence est probable, alors qu’elle atteint déjà des sommets stratosphériques, avec le risque d’un embrasement régional global. Sur fond de confrontation sino-américaine pour la suprématie économique, avec aux commandes des États-Unis d’Amérique, un Trump au comportement aussi hiératique qu’inconséquent, les relations internationales sont parties pour quatre ans de montagne russe.
Il y a avis de tempête sur la planète avec alerte à l’ouragan, et nous, modestes citoyennes et citoyens français, que pouvons-nous faire dans ce maelström ? À la fois rien et beaucoup. Avec nos votes, nous sommes celles et ceux qui décidons du destin de la 7ème puissance économique mondiale, implantée au cœur d’un continent parmi les plus puissants. Nous contribuons à le façonner profondément de par le poids de notre économie, de notre démographie, de notre histoire et de notre position géographique, mais aussi par notre rayonnement culturel, notre production intellectuelle, artistique et scientifique, notre créativité que le monde entier a récemment louée, époustouflé par la poésie, la beauté et l’audace de la magnifique cérémonie d’ouverture des Jeux Olympique de Paris 2024.
Le champ de bataille majeur de la politique, ce sont les cerveaux. La victoire se joue sur le terrain des idées. On l’emporte par la force de la conviction que l’on met à les défendre, sa capacité à les incarner, à unir son camp pour qu’il se mette en branle-bas de combat en serrant les rangs, à créer une dynamique politique qui galvanise les énergies. Voilà la recette de base que Trump a su appliquer. Autant vous dire que d’ici que « la gauche » française parvienne à en faire de même, y’a du boulot ! Le Nouveau Front Populaire, ce curieux attelage composé de socialistes à la philosophie économique libérale, d’écologistes qui ne portent pas vraiment ce qui devrait être leur étendard, la décroissance de la consommation, et des Insoumis productivistes, contaminés par le virus du « racialisme » des Indigènes de la République, de quoi est-il réellement capable ?
La mère de toutes les batailles, c’est la démocratie. À l’Assemblée nationale, cela veut dire acter la vérité des urnes et passer d’un mode de scrutin majoritaire qui n’est plus adapté à la réalité politique du pays, à un mode de scrutin à la proportionnelle. En théorie, il y a un large consensus transpartisan sur le sujet et unanimité au sein du Nouveau Front Populaire. En réalité, quand le diable est dans le dédale des multiples arrière-pensées électorales des protagonistes, entre le dire et le faire, il y a la mer. Dans la période de crises majeures que nous vivons, le passage à la proportionnelle est essentiel pour une raison vitale, pourtant rarement évoquée, le retour entre les mains des représentants du peuple du pouvoir de décider réellement de l’avenir du pays. Le Général De Gaulle a conçu les institutions de la 5ème République pour réduire le parlement à une chambre d’enregistrement des décisions de l’exécutif. La nature a horreur du vide. Le pouvoir a migré vers les Directions des administrations centrales des ministères, dirigées par des haut-fonctionnaires. En termes de démocratie, une anecdote illustre assez bien ce que cela signifie. En 2014, lors d’une mission parlementaire sur la préparation du pays à une éventuelle pandémie, un sénateur qui interrogeait sur l’état des stocks en matière de masque de protection, s’est entendu rétorquer sur un ton sec par un jeune blanc-bec que « cela relevait du domaine réservé de l’administration ». Mais si c’est l’administration qui décide de ce qu’est le domaine réservé de l’administration, qui répond de ses fautes et de ses erreurs devant qui ? Lors de la pandémie du Covid, nous sommes passés en un tournemain du « le masque ne sert à rien » à un « jamais sans lui, même si on n’en n’a pas pour tout le monde ». Depuis ce fiasco digne d’un Vaudeville, toujours pas de coupable, ni de responsable. Le passage à un mode de scrutin à la proportionnelle sans prime majoritaire doit contribuer à une modification du centre de gravité du pouvoir au bénéfice des députés, pour un meilleur contrôle des haut-fonctionnaires qui dirigent l’État comme s’ils en étaient les propriétaires, alors que c’est le bien commun de tous les français.
Pour le Nouveau Front Populaire, la démocratisation des institutions s’accompagne d’une mission primordiale, éviter que l’extrême-droite ne gagne l’élection présidentielle. Vu la surenchère à droite sur les thèmes de prédilection du Rassemblement National, l’immigration pour viser tout ce qui est basané, et la sécurité pour viser tout ce qui est basané également, fait que la mission est plus compliquée qu’il n’y paraît. À quoi bon faire barrage à l’extrême-droite et son programme, si c’est pour se retrouver avec une droite qui l’appliquerait ? La musique de fond qu’entend le pays sur ces deux thèmes est orchestrée sous la baguette de l’extrême-droite. Si le Nouveau Front Populaire veut imposer sa propre partition, il va falloir faire preuve de lucidité et de courage. Ce n’est pas gagné. Un exemple récent illustre l’ampleur de la tâche. L’ex-candidate du Nouveau Front Populaire à Matignon, Lucie Castets, a plaidé pour la régularisation des sans-papiers parents d’enfant français, ou qui occupent un emploi déclaré, pour lequel l’employeur verse des cotisations sociales, acquitte taxes et impôts. Elle s’est faite sèchement rabrouée par le Parti Socialiste, soucieux de ne pas être associé à ce qui pourrait passer pour du laxisme en matière de lutte contre l’immigration clandestine.
C’est bien joli, mais quand on s’affirme humaniste, l’intérêt des enfants ne devrait-il pas primer sur tout autre considération ? Est-ce les aider que de fragiliser administrativement un de leur parent ? Et puis, Mesdames et Messieurs les députés, imaginez avoir un enfant avec une personne qui, sans avoir commis aucun acte délinquant, se retrouve sans-papier, et qui, au moindre contrôle de police, se retrouve pour quelques heures ou quelques jours enfermée dans un centre de rétention sordide, avec parfois comme voisins des gens qui ont des problèmes psychiatriques ou sont des voyous. Elle y sera placée par des policiers qui sauront pertinemment que ce parent d’enfant français est inexpulsable, mais auront respecté à la lettre la procédure. Après tout, n’est-ce pas ce qu’on leur demande, avant tout ? Mesdames et Messieurs les députés, trouveriez-vous normal de vivre avec une telle épée de Damoclès, votre enfant avec ? Lucie Castets a raison. C’est absurde et inhumain. Faut-il tant de lucidité et de courage que ça pour y mettre fin ?
Les colonnes de la presse régionale fourmillent d’histoire de patrons de PME, d’artisans et de commerçants qui se mobilisent sans compter pour obtenir la régularisation d’un apprenti ou d’un salarié, qu’ils veulent absolument conserver auprès d’eux. Là aussi, est-ce si difficile d’assumer que quand il y a des emplois occupés par des personnes sans-papiers, c’est qu’elles répondent à un besoin, et que dès lors qu’elles ont un contrat de travail, c’est qu’elles y répondent bien ? Pourquoi ne pas les régulariser, avec les garde-fous nécessaires pour éviter les abus ? L’os politique dans l’affaire, c’est que Lucie Castets n’a pas reçu un soutien massif et bruyant des écologistes et des Insoumis, qui auraient dû se saisir de l’occasion pour proposer un vrai débat public sur un sujet sur lequel se teste l’humanisme face à l’égoïsme. Par manque de courage et de lucidité, la « gauche » va finir par danser sur l’air que joue l’extrême-droite, au point de trébucher sur les valeurs dont elle se réclame.
Les fusillades à l’arme de guerre en lien avec le trafic de cannabis que l’on croyait réservées aux grandes métropoles touchent maintenant de paisibles villes moyennes de province. Les protagonistes sont de plus en plus jeunes et violents, la liste des victimes collatérales ne cesse de s’allonger. Pourquoi, malgré la succession de ministres de l’Intérieur qui en rajoutent chacun une couche en déclarations martiales sur la guerre à la drogue, sans plus de résultats, en sommes-nous là ? L’explication est simple : le cannabis est un produit totalement banalisé. Les consommateurs savent qu’il n’est pas plus dangereux que d’autres drogues autorisées, si ce n’est moins, quand il s’agit de l’alcool, pour lequel nous sommes d’un lyrisme sans retenue quand il s’agit un grand cru ! De qui se moque-t-on ? Sur quoi repose l’interdit du cannabis qui ne s’appliquerait pas avant tout à l’alcool ? Conséquence, nous sommes face à un marché de masse extrêmement lucratif, et nous prétendons le juguler en arrêtant les vendeurs ? Mais, ils sont aussitôt remplacés par des petits nouveaux ! Comment les néolibéraux qui nous gouvernent ne comprennent-ils pas cette implacable logique de marché ?
Le paradoxe de la répression du cannabis est qu’elle transforme les forces de police en usine à fabriquer du délinquant, que l’on entasse ensuite dans des prisons surpeuplées, sous le contrôle d’une justice au bord de l’embolie. L’état écluse la mer avec une cuillère en bois, tout en parvenant à noyer les services de la police et de la justice avec les quelques poissons qu’il attrape. C’est d’autant plus fou que pendant ce temps, la légalisation du cannabis est en marche partout à travers le monde. On le vend légalement sous toutes ses formes à New-York et Los Angeles, on le consomme librement à Berlin, et la France pourrait se tenir à l’écart de ce mouvement global ? La bonne blague ! Notre politique est absurde, et pourtant des édiles de gauche de villes endeuillées par des règlements de compte réclament que l’État claque toujours plus d’argent pour gagner les batailles d’une guerre perdue. La prohibition du cannabis nous coûte au bas mot 600 millions d’euros par an, dépensés en pure perte. Dans son rapport intitulé « Cannabis, comment reprendre le contrôle ? », le Conseil d’analyse économique (CAE), organisme directement rattaché au Premier ministre composé d’éminent économistes, donc pas vraiment un repère de rastaquouères fumeurs de joint, chiffre jusqu’à près de 3 milliards d’euro les recettes fiscales potentielles d’une légalisation du cannabis, et jusqu’à 80.000 les emplois qu’elle pourrait créer. Pour mémoire, les Gilets Jaunes ont envahi les rond-points à cause d’une taxe carbone qui devait rapporter 5 milliards d’euros. Ce rapport date de 2019. Depuis, le trafic de cannabis a poursuivi son expansion, sa légalisation rapporterait encore plus aujourd’hui. Voilà une mesure que le Nouveau Front Populaire pourrait proposer d’inclure dans le projet de Loi de finance pour 2025, afin que l’argent qui s’accumule dans les poches des dealers coule dans les caisses de l’État et des organismes sociaux. Ce serait plus intelligent que de laisser l’extrême-droite mener le bal d’un grand délire sécuritaire qui fait perdre la tête à la droite, et pas qu’à elle…
De la lucidité et du courage, il va en falloir à la « gauche » sur un autre dossier crucial à la fois pour l’avenir du pays et son budget 2025, l’énergie. Avec un rocher dans sa chaussure, le nucléaire, gouffre financier s’il en est. La moindre des choses serait que le NFP organise là-aussi un véritable débat public sur le sujet. Si les attendus sont bien posés, il devrait être très vite clôturé. Il suffit pour cela de dérouler l’argumentaire des pro-nucléaires dans son intégralité, puis de le confronter point par point de façon factuelle à la réalité, objectivement, sans parti pris aucun. Rien ne tient. C’est un tissu d'omissions, de mensonges et de contre-vérités. Au terme de cet exercice aussi simple que rapide, la conclusion s’impose d’elle-même : nous pouvons couvrir nos besoins en énergie sans dépenser des sommes faramineuses pour un résultat aléatoire, avec une large palette d'énergies renouvelables plus rentables, et tout aussi efficaces que le nucléaire. Nos voisins espagnol et allemand sont en train d’en faire la démonstration. Sous nos pieds, nous disposons à profusion d’une source d’énergie propre, peu coûteuse, facile à exploiter, qui ne génère pas de déchet et pourrait être un filon d’emploi. Elle s’appelle la géothermie. On n’en entend jamais parler, alors qu’elle chauffe un des bâtiments les plus imposants de France, la Maison de la Radio, à Paris. Ce n’est qu’un exemple de source d’énergie absente du débat, parmi d’autres.
Last but not least, à l’agenda du courage et de la lucidité du Nouveau Front Populaire, l’Europe, et donc la mondialisation. Il n’y a pas de nouveau projet politique possible et crédible qui fasse l’impasse sur la question. Pour le NFP, l’unité est la condition primordiale de la survie électorale. S’entendre sur une ou un candidat et un programme politique en vue de la présidentielle, est vital pour ne pas être éliminé dès le premier tour comme les deux dernières fois, et survivre aux législatives, si l’actuel mode de scrutin est conservé. En ce début de troisième millénaire, déjà si loin du siècle précédent, et pourtant si proche, pour que ce programme politique soit à la hauteur des enjeux et mobilise les énergies, il faut qu’il soit plus que son objet propre, pas seulement un programme, mais un véritable projet de société. Cette ambition se fonde sur des valeurs, et elles sont toutes trouvées : démocratie ; humanisme ; écologie. Elles sont un rempart contre celles qui déferlent sur le monde : autoritarisme ; égoïsme ; consumérisme. De fait, ce projet de société dont nous, français, pouvons être l’aile marchante, n’est pas seulement un projet pour la France, mais bien pour le monde, puisque c’est un projet qui doit ouvrir une voie de rupture avec le néolibéralisme pour rompre avec l’hyper-consumérisme, sans pour autant basculer dans le nationalisme. Ne jamais oublier : le nationalisme, c’est la guerre. Nous avons payé cher pour le savoir. Or, nous assistons manifestement à une déferlante ultra-nationaliste à travers le monde, y compris sur le continent où il a fait des dizaines de millions de morts, l’Europe.
En termes de dramaturgie, s’il fallait faire un parallèle avec le passé, nous sommes au siècle dernier, quelque part entre la fin des années 20 et le début des années 30, au carrefour où la suite s’est jouée. Vu comme cela, on a une pensée émue pour nos députés du Nouveau Front Populaire. Elles et ils en sont-ils conscients, de ce moment de l’Histoire et des responsabilités qui en découlent ? De la lourde tâche que doivent porter leurs frêles épaules, formuler un programme politique qui soit un projet de société ? Les députés NFP sont en première ligne, puisque que leurs partis politiques respectifs flirtent avec la scission, ou sont congénitalement divisés, quand ce n’est pas carrément inexistant, grâce à un chef qui s’occupe de tout. C’est la première fois depuis les pleins pouvoirs accordés à De Gaulle en 1958 que l’Assemblée nationale redevient l’épicentre du pouvoir, où se décidera réellement l’avenir du pays.
Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes élus dans une mandature qui va entrer dans l’Histoire, ne la gâchez pas ! Chacune et chacun d’entre nous pouvons rester les bras croisés à vous regarder, éventuellement vous donner un coup de main ou juste vous la tendre, mais en tout état de cause, une chose est sûre : on ne transige pas sur les valeurs. Dans ce moment de confrontation frontale et brutale avec les cerveaux comme champ de bataille, lucidité et courage ne sont pas des vertus, mais une exigence absolue. Si on laisse l’extrême-droite mener le bal, on se retrouve à siffloter le refrain de ses chansons, et à la fin, on se prend une Trump.