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Billet de blog 14 avril 2025

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USA vs UE, guerre commerciale, vraiment ?

Pour l’Europe, l’idée d’un retour à « la mondialisation heureuse » d’antan, éventuellement en se passant des américains, est une chimère. Non pas qu’elle soit irréaliste en soi. C’est juste n’avoir rien compris à la nature de l’affrontement en cours et à la nouvelle ère qui s’ouvre.

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Qui aurait crû qu’un jour, les USA flingueraient le libre-échange, qu’ils n’ont eu pourtant de cesse d’imposer au reste du monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? Cela revient à mettre à bas la mondialisation néolibérale initiée par un précédent président américain conservateur et ami des milliardaires, Ronald Reagan, il y a un peu moins d’un demi-siècle.

La guerre commerciale proclamée par Trump n’est que la fumée et le fracas d’une offensive idéologique pour façonner le monde à son image, celle d’un prédateur, afin de mieux le dominer. Plus l’environnement est chaotique et dangereux, plus les prédateurs sont avantagés. Le choc est tel, la méthode si brutale que nous sommes aveuglés et assourdis par la déflagration au point d’en perdre la finalité : la guerre commerciale est avant tout un affrontement systémique sur les valeurs, pas une stratégie économique.

Tout est dans la symbolique. Le premier acte de la nouvelle administration Trump a été de supprimer d’un coup 70 milliards de dollars du budget de USAid et de licencier par dizaine de milliers ses salariés. USAid soutient au quotidien des dizaines de millions de personnes à travers le monde pour se nourrir, se soigner, se loger, éduquer les enfants, parvenir à subsister par ses propres moyens. Le geste est hautement symbolique pour délivrer un message politique. Nous sommes des prédateurs qui voulons vivre dans un monde de prédateurs, où il n’y a pas de pitié pour les faibles. « La faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale est l’empathie », dixit Elon Musk. Gare à celle ou celui qui tendra la main à l’autre dans la difficulté. Ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas soi-même subir, et se poser ainsi des limites ? Et puis quoi encore ! L’empathie, voilà l’ennemi.   

Pour ce qui est des entreprises, américaines ou non, la première décision de la nouvelle administration a été d’imposer sa doxa idéologique. Pour être fournisseur de l’état fédéral des États-Unis d’Amérique, vous devez renoncer à vos engagements pour la promotion des femmes pour parvenir à l’égalité salariale et de responsabilité avec les hommes, ou visant à vous assurer de la diversité de vos recrutements, ou pour permettre l’inclusion dans le monde du travail de salariés handicapés. Être militant de ces causes vous expose, leur exprimer publiquement votre sympathie peut vous valoir d’être viré. Quand des français, intellectuels, chercheurs, journalistes, avocats, entrepreneurs appellent leur homologues américains pour tenter de décrypter la politique de Trump, ceux-ci leur répondent le plus souvent « Pas au téléphone !». Aux États-Unis d’Amérique, pays emblématique des libertés individuelles, on se méfie autant de son téléphone qu’en ex Union Soviétique… Même le pouvoir judiciaire est bafoué, au point que l’on puisse dire que la nouvelle administration aux manettes à Washington est d’essence illibérale. C’est même le cœur de sa politique, et tant pis si c’est mauvais pour les affaires. Ils s’en foutent.

Le bras de fer des USA avec la Chine est assez classique. C’est celui de deux impérialismes en compétition pour capter à leur profit les matières premières et s’approprier la plus grande part possible de la plus-value des richesses produites. Il n’y a pas, ou plutôt plus, d’affrontement sur les valeurs, puisque Trump incarne une Amérique tout aussi ultra-nationaliste et autoritaire que l’est le Parti Communiste chinois. C’est effarant d’écrire cela, les USA capitaliste et la Chine communiste alignés sur les mêmes valeurs, mais c’est bien la réalité.

La confrontation avec l’Europe n’a, elle, rien de classique. Ce n’est pas un affrontement économique, mais bien politique, sur les valeurs sur lesquelles nous voulons organiser notre société. Nous sommes dans un choc idéologique, qui s’articule autour de trois mots : démocratie, humanisme et écologie. Soit les trois premières cibles de Trump et de son équipe de milliardaire. L’Europe est le contre-modèle du monde chaotique qu’ils souhaitent. De façon assez paradoxale, ils la méprisent au plus haut point, tout en en faisant leur ennemi principal. De fait, elle est un gros problème pour Trump et sa clique, car elle parle à une partie du peuple américain, ce qui n’est pas vraiment le cas de la Chine.

Aux États-Unis, les retraités se sont réveillés avec une partie de leur pension évaporée dans la nuit, emportée par la chute des cours boursiers. Si depuis, c’est l’accalmie, ils la vivent comme une parenthèse avant une nouvelle tempête. Beaucoup se demandent s’ils vont pouvoir payer les soins dont ils ont besoin dans les mois qui viennent. En Europe, les retraités toucheront leur pension comme d’habitude et personne ne se demande s’il aura assez d’argent pour payer ses médicaments. Retraite publique, santé publique, mais aussi assurance chômage publique, éducation publique gratuite, logements sociaux, allocations de solidarité aux plus fragiles, c’est tout ce que haïssent Trump et sa clique. C’est aussi ce qui fait la force de l’Europe, ce qui est au cœur de son identité et que l’on pourrait résumer en un mot : l’humanisme, indissociable de l’empathie.

L’affrontement entre un monde chaotique régit par les prédateurs et un monde civilisé où on se tient par la main pour mieux se serrer les coudes, est à la fois international et intra-national, puisqu’il traverse toute les sociétés occidentales. Ceci étant, les extrême-droites européennes sont dans le même état de sidération que les autres forces politiques face au chaos des annonces fracassantes et contradictoires de Donald Trump. Elles ne comprennent pas que le chaos n’est pas seulement un moyen, mais aussi une fin. Il est semé à dessin pour que le monde soit chaotique, le tout étant d’être le plus fort, le mâle alpha au-dessus des autres. Bien entendu, ledit mâle ne peut être une femelle et a la peau blanche.

Avec Trump, la seule question qui vaille est de savoir si son troupeau va le suivre ou se révolter. Comment vont réagir celles et ceux qui ont voté pour lui, retraités, vétérans de l’armée, personnes malades ou handicapés, qui se prennent de plein fouet sa politique ? Et celles et ceux qui se sont abstenus, souvent parmi les plus fragiles, qui vont plonger un peu plus dans la survie au quotidien, auront-ils l’énergie pour réagir ? Va-t-on assister à une re-politisation massive des américains ? Ou, au contraire, à un délitement irrémédiable de ce qui fut la plus grande démocratie du monde, aujourd'hui dévoyée par une frange fascisante qui mène une chasse aux sorcières raciste, sexiste, homophobe pour régner par la peur. Au terme du mandat de Trump qu’elle voudra prolonger, rien ne dit qu’elle ne sera pas prête à s’affranchir de la Constitution, si ce n’est des urnes.

Pour l’Europe, l’idée d’un retour à « la mondialisation heureuse » d’antan, éventuellement en se passant des américains, est une chimère. Non pas qu’elle soit irréaliste en soi. C’est juste n’avoir rien compris à la nature de l’affrontement en cours et à la nouvelle ère qui s’ouvre. Le mot clé, c’est la souveraineté, sans laquelle il n’y a pas de liberté, donc de démocratie. La question subsidiaire étant pour en faire quoi de cette souveraineté ? Elle est d’autant plus aiguë qu’il va falloir repenser notre économie de façon ancrée dans notre territoire européen, afin d’être auto-suffisant dans un certain nombre de domaines. Sortir d’une vision des investissements engagés dans un flux mondialisé pour muter vers l’ancrage de l’économie dans un territoire que l’on protège, cela s’appelle une révolution.

Au-delà de Trump et de ses potes milliardaires, avons-nous vraiment le choix que de tout revoir, à commencer par nos modes de production et de consommation ? Le changement de paradigme économique doit s’inscrire dans une réflexion politique, pour ne pas dire idéologique. Quel modèle de société voulons-nous pour nous même, mais aussi pour les autres avec qui nous partageons la planète ? « La mort de l’empathie humaine est l’un des premiers signes et le plus révélateur d’une culture sur le point  de sombrer dans la barbarie » alerte Hannah Arendt. Un monde s’écroule, sans qu’un nouveau se profile, pas même en gestation. Comment ne pas avoir le sentiment d’un grand bond en arrière pour retomber dans les ténèbres d’hier, sans nulle promesse de lendemain radieux ? Ne serait-ce pas par là qu’il faudrait commencer, imaginer un lendemain radieux, non pour quelques-uns mais bien pour le plus grand nombre ?

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