Malik Lounès (avatar)

Malik Lounès

analyse, écriture, communication

Abonné·e de Mediapart

28 Billets

1 Éditions

Billet de blog 20 mai 2025

Malik Lounès (avatar)

Malik Lounès

analyse, écriture, communication

Abonné·e de Mediapart

Cher Médiapart, que veux-tu être ?

Cette logique d’affirmation identitaire au détriment de la confrontation des idées au sein du Club, sert de fait de paravent bien pratique à la progression d’une gangrène raciste dans vos colonnes, celle du « racialisme » des Indigènes de la République.

Malik Lounès (avatar)

Malik Lounès

analyse, écriture, communication

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Le "Club"est un espace libre et ouvert, dédié à nos abonné·es. Vous pouvez y créer votre blog, écrire, exprimer vos pensées librement, participer au débat d’idées, échanger avec les autres abonné·es et avec la rédaction ».

J’y ai cru et aimerai toujours y croire, mais j’avoue que ce que j’en vois depuis quelques mois, il y a plus qu’un hiatus, mais bien une mauvaise pente. « Libre expression », « débats d’idée », « échanges avec les autres » laisse croire à une certaine diversité des points de vue, or ce qui frappe, c’est plutôt leur homogénéité, comme si ce qui s’impose avant tout est le respect d’une ligne éditoriale qui exclut automatiquement ce qui n’y entre pas.  

Les français, à l’instar du reste de l’Humanité, vivent depuis près d’un demi-siècle sous le joug de l’idéologie néolibérale, dont la mondialisation a été le bras armée dans sa conquête du monde. Face à ses dérives, ses excès, ses injustices, la seule réponse politique est la montée du nationalisme. Autant dire que cela revient à s’inoculer la peste pour se protéger du choléra. N’en déplaise aux Insoumis, ils n’échappent pas à cette équation.

Incapable de briser cette offre politique binaire mortifère en portant un projet fédérateur, cette gauche radicale conforte le système qu’elle dénonce par son nihilisme, la désespérance qu’elle sème dans les esprits, son sectarisme, sa violence. Elle enchaîne les postures dénonciatrices, qui ne font que souligner son incapacité à énoncer des alternatives fédératrices, laissant surtout l’impression de verser dans une forme de narcissisme d’un entre-soi « des gens biens ». Le Club de Médiapart de ces derniers mois en est le reflet, avec des textes exclusivement tournés vers la dénonciation et la proclamation identitaire, qui se répondent en écho les uns aux autres comme pour se rassurer sur le fait que l’on a bien raison, tout en évitant toute réelle confrontation d’idée qui en ferait douter. À l’arrivée et quel que soit le sujet traité, ils disent tous à peu près la même chose… 

Cette logique d’affirmation identitaire au détriment de la confrontation des idées au sein du Club, sert de fait de paravent bien pratique à la progression d’une gangrène raciste dans vos colonnes, celle du « racialisme » des Indigènes de la République. 

J’appartiens à une génération dont le premier engagement a été la « Marche contre le racisme et pour l’égalité » de 1983, dont c’est le fidèle intitulé. Ce que l’on a appelé « La Marche des Beurs » était un message des enfants d’immigrés à leurs parents et à la société française : nous, les bicots, métèques, basanés, négros nés et grandis en France, on est Français ! Les darons et les daronnes peuvent poursuivre leur mythe de retour au bled, nous, notre place est ici, dans ce qui est de fait notre pays : la France ! Et on l’aime. Pour ma part, j’ai poursuivi en devenant un des dirigeants de SOS Racisme, histoire de parachever l’affaire en banalisant la couleur de peau : noire ou mat, vous êtes autant français qu’un blanc. Ce n’est pas une question d’égalité de droits, mais de banalisation dans la représentation mentale de ce qu’est un(e) français(e). Formulé autrement, cela est revenu à briser l’association d’idée qui prévalait à l’époque qu’être français, c’était être un blanc. Et nous avons gagné ! Aujourd’hui, la famille française incarnée dans la publicité est métissée, avec des grand-parents bien blancs qui s’occupent de leurs petits-enfants qui ne sont ni noirs, ni blancs, puisqu’ils sont et noirs et blancs.

Hier, lutter contre le racisme, c’était lutter contre les discriminations dont étaient victimes les personnes qui n’étaient pas blanc-blancs. Aujourd’hui, avec la progression de la gangrène du « racialisme » des Indigènes de la République au sein de la gauche nihiliste et narcissique, la lutte contre le racisme est devenue la défense de ses semblables, les noirs défendent les noirs, les musulmans défendent les musulmans… Quand les blancs défendent les blancs, cela s’appelle du racisme parce qu’ils sont dominants, tant et si bien que si l’on raisonne par renversement, on peut affirmer que la lutte des victimes est de pouvoir devenir bourreaux, mais de façon légitime au nom de la réparation dû à l’esclavage et à la colonisation. C’est du grand n’importe quoi, pour peu que l’on questionne, ce que vous ne faites pas. Il y a toute une gymnastique dialectique des Indigènes de la République pour brouiller les pistes sur deux questions qui les mettent en porte-à-faux, le métissage, évidemment, et les valeurs dont ils sont porteurs, puisqu’ils prospèrent à gauche, alors qu’ils sont aussi racistes et fascistes que l’extrême-droite blanche du Bloc identitaire.

Pour éviter de se perdent dans les méandres des contradictions des indigénistes, il suffit de se poser la bonne question à partir d’une simple anecdote. Lors de « Nuits debout », il y a quelques années, un cortège improvisé de manifestants qui voulait radicaliser ce mouvement bien trop bisounours à leur goût, est passé devant le nouveau Palais de Justice, gardé par un seul policier en faction, bien noir de peau. Les manifestants se sont arrêtés pour copieusement l’insulter à coups de « vendu », « traître », « bounty » (noir dehors, blanc dedans). On sait ce qu’est ce fonctionnaire : le représentant d’une institution, la Police, qui en garde une autre, la Justice, les deux exerçant leurs prérogatives sous la tutelle d’une troisième institution, le Parlement, émanation du vote des citoyennes et citoyens lors d’élections législativesatives démocratiques, dont la transparence est garantie par la liberté de la presse. Question : ce Noir qualifié de « traître » et de « vendu » par les manifestants, il est traître à qui, traître à quoi ? La facilité consisterait à rétorquer « traitre à une communauté noire victime d’un racisme systémique de l’État que ce policier sert », mais dans ce cas, cela revient à assumer une approche exclusivement raciste de la question, sauf à préciser le ciment en termes de valeurs de ladite communauté noire. Si le Club de Médiapart a une réponse autre que raciste à la hauteur de la question ainsi posée, je suis archi preneur ! 

À ce stade de la lecture de ce qu’il faut bien qualifier d’interpellation pour secouer le cocotier, une interrogation doit probablement émerger dans votre cerveau : vu ce que tu nous écris, qu’est-ce que tu fous chez nous ? Si on pue tant que ça, casse-toi ! Je dois préciser que j’ai fragmenté en trois blocs votre « vous » : les journalistes responsables du Club dont je mets la ligne éditoriale en cause. Les « historiques », du moins celles et ceux que je perçois comme tels, journalistes que j’apprécie depuis longtemps, et leurs successeurs. Et enfin, l’ensemble de la rédaction : puisque vous êtes un média de journalistes indépendant des forces de l’argent, chaque membre est co-responsable de l’ensemble.  

Le terrain ainsi balisé, il est temps de passer à la question qui tue : que veut être Mediapart dans le paysage politico-médiatique français? 

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». À contrario de la célèbre phrase de Mark Twain, quand on pense qu’il est impossible de changer le monde, alors on brandit le poing en ânnonant  « Résistance, résistance ! » pour dire que l’on a perdu. On verse alors dans le nihilisme, porte ouverte à tous les excès, et le lyrisme de la révolte pour que sa défaite courut d’avance soit belle. À l’arrivée, on en veut à la Terre entière de ne pas être comme vous pour le bien de l’Humanité, du moins tel que vous le concevez. Ce classique de l’extrême-gauche, le mariage du nihilisme révolutionnaire et du narcissisme militant, conquiert petit à petit les Insoumis. Les ex-socialistes et ex-communistes qui ne peuvent pas souscrire à la logorrhée racialiste indigèniste et à la complaisance coupable à l’égard des autres fachos que sont les Islamistes, quittent le navire, faute d’avoir les moyens en interne de stopper la dérive. Quand je militais avec Mélenchon, à l’époque où il était encore un socialiste laïque et républicain, il avait coutume de nous citer à tout bout champs une phrase de Mao : « Le poisson pourri par la tête ». C’est effectivement le cas chez les Insoumis. En se donnant des accents à la Victor Hugo, la tête des Insoumis, la sienne, pérore à l’infini sur à peu près tout et n’importe quoi, le plus souvent par le biais de textes qui sont des pavés aussi longs que abscons, sans qu’en émerge un projet global clair, ou juste intelligible. 

« Résistance, résistance » pour préserver les acquis des luttes ouvrières des 19ème et 20ème siècle, c’est sympa, encore faut-il intégrer dans son logiciel politique les paramètres du 21ème siècle : la mondialisation, pas seulement économique mais globale avec la révolution numérique, et la crise écologique avec ce que l’on pourrait qualifier « d’Arc des urgences vitales » : la lutte contre le réchauffement climatique, contre l’effondrement dramatique du vivant, contre la pollution massive de l’air, de l’eau, de la terre, couplée au gaspillage insensé des ressources.

Dans son dernier programme présidentiel, Mélenchon ne voit pas l’écologie comme la pierre angulaire d’un projet politique alternatif au néolibéralisme et au nationalisme, mais comme un instrument de politique économique qui permet de créer de l’emploi non-délocalisable afin d’alimenter la croissance du PIB, et faciliter ainsi un meilleur partage entre le Capital et le Travail des richesses créées. C’est censé être un projet de progrès et de justice social, mais face aux nouveaux enjeux écologique de la période, c’est surtout complètement à côté de la plaque ! 

L’écologie n’est pas une qualification politique en soi, qui se suffirait à elle-même. Il y a une écologie conservatrice et réactionnaire, mais aussi une écologie libérale qui pense régler le problème par les marchés et la technologie, ou une écologie d’avant-garde révolutionnaire prête à la dictature verte pour forcer aux changement de paradigme économique face à l’urgence qui se dessine. Ce ne sont que quelques exemples. 

À bas bruit, et pour autant de plus en plus perceptible, dans des cercles intellectuels, scientifiques, artistiques, sociétaux, mais aussi au sein de l’écologie politique, émerge une écologie de rupture avec le productivismes et hyper-consumérisme, qui s’appuie sur deux piliers, la démocratie et l’humanisme. Ce dernier recouvre à la fois tout ce qui relève de la solidarité, mais aussi des droits fondamentaux, l’accès à l’éducation, à la santé, à un toit, à la culture, au sport, et évidemment, nouveauté du siècle, au numérique, mais va bien au-delà avec l’adhésion à deux règles basiques qui, si elles étaient réellement appliquées aujourd’hui, changeraient la face du monde : vouloir pour autrui ce que l’on souhaite pour soi-même, et ne pas faire à autrui ce que l’on ne voudrait pas subir soi-même. 

Ce projet écologique de rupture en gestation, fondé sur la démocratie et l’humanisme, remet au centre de sa problématique politique la question qui agitait le socialisme utopique d’avant le marxisme : celle du bonheur. La finalité du projet politique de gauche n’est plus une meilleure répartition des richesses créées entre le Capital et le Travail afin que les classes laborieuses puissent consommer plus, mais celle d’une société heureuse, qui a comme priorité le bonheur de ses membres et l’harmonie entre eux, mais aussi avec le reste du vivant, sous toutes ses formes. Le Club de Médiapart pourrait être un forum d’idées et d’échanges pour dessiner ce que pourrait être un projet fédérateur fondé sur la démocratie, l’humanisme et l’écologie, en privilégiant le débat d’idée sur l’affirmation identitaire, le respect plutôt que l’anathème, l’ouverture sur le sectarisme, la bienveillance plutôt que la violence, et en définitif, l’amour sur la haine. Autant vous dire qu’avec les choix éditoriaux actuels du Club, vous partez de loin pour remplir cette fonction de vraie production de pensée politique par le débat d’idée dans l’espace politico-médiatique..

En devenant une sorte de « Pravda » des Insoumis dont le logiciel est resté coincé au 20ème siècle, Médiapart court, à terme, un grand danger. Les citoyennes et les citoyens de tous horizons qui ont besoin d’un cadre d’échange et de débat d’idée ouvert, respectueux des avis divergents, soucieux d’avancer collectivement pour construire une offre politique réellement alternative au néolibéralisme et au nationalisme, le feront ailleurs. 

Plus Médiapart se résumera à être une chambre d’écho d’une gauche tout à crier son indignation d’autant plus fort qu’elle se moque des solutions, tout en flinguant systématiquement celles et ceux qui ne se joignent pas à sa meute, plus vous en dépendrez financièrement. Et plus vous serez son jouet à son usage exclusif. Gare à vous, car cette gauche sectaire, il en faut peu pour l’énerver… Ainsi, le dernier de mes papiers qui a eu l’honneur d’être retenu par le Club l’an dernier, « Législative 2024, la nouvelle donne », m’a valu une volée de bois vert d’Insoumis, aux critiques tellement infondés qu’elles ont déclenché en réaction des commentaires de lecteurs pour me défendre. Je l’ai relu, et je n’ai rien écrit qui vaille de me fouetter tel qu’ils l’ont fait, mon seul tort étant de ne pas être sur leur ligne et d’avoir quand même l’honneur d’être en Une !

Le propre d’un ami n’est pas de vous caresser dans le sens du poil, mais de vous dire vos quatre vérités quand vous vous égarez. La différence avec un ennemi, c’est l’intention. Les choses douloureuses à entendre ne sont pas exprimées pour vous faire mal, mais pour votre bien. C’est le sens de ma démarche avec cette rude apostrophe. Elle n’appelle pas particulièrement de réponse, car in fine, ce n’est pas un débat entre Médiapart et moi, mais un débat entre vous et vous, celles et ceux qui fabriquent au quotidien ce média unique dans le paysage politico-médiatique français. C’est votre indépendance financière et votre avenir qui sont en jeu, pas les miens.

Si ce que je vous écris présentement vous en touche un, ou une, sans faire bouger l’autre, je fermerais mon blog Médiapart, et continuerai à cultiver tranquillement  le mien qui marche plutôt bien, « La Bise de Malik ». Je partirais en disant tout simplement « Merci pour ce moment et bon vent » à l’ensemble de la rédaction pour avoir valorisé nombre de mes papiers. Merci aussi à Edwy Plenel pour avoir mis en Une le premier d’entre eux « Algérie février 2020, récit d’un pays mouvementé » avec le clin d'œil adressé par mon cousin Rachid, son camarade de militantisme à la fac d’Alger. Merci surtout et enfin à Guillaume Chaudet-Foglia pour m’avoir offert des abonnements quand j’étais dans le besoin, afin que je puisse continuer à publier dans le Club. 

À l’inverse, s’il y a réaction, on verra de quelle nature et on avisera. Bien à vous tous.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.