Chacun pour soi. Dieu pour tous. Malheur aux plus faibles.
Voilà résumée en quelques mots la nouvelle ligne politique des États-Unis. Des États-Unis, pas seulement de Trump. Il n’est pas seul. La moitié des américains sont avec lui, si ce n’est plus. Et pas n’importe lesquels, puisqu’il est entouré des plus riches et des plus puissants d’entre eux.
« Chacun pour soi, Dieu pour tous et malheur aux plus faibles », à la limite, si ce n’était que ça, cela ne serait pas si grave. C’est déjà d’ailleurs un peu le cas, puisque c’est la logique du capitalisme néolibéral, « Dieu pour tous » en moins. Pour le néolibéralisme, l’argent n’a ni couleur, ni sexe, ni religion. La différence est là. Trump et sa bande de milliardaires, c’est plus que la loi du plus fort pour survivre dans la jungle, c’est une organisation de la jungle par des suprémacistes blancs, racistes, sexistes, homophobes, élitistes, antidémocratiques, autoritaristes, et pour tout dire, à l’arrivée, totalement déshumanisés.
On pourrait prendre Trump et ses potes milliardaires pour des prédateurs économiques qui rackettent tout ce qu’ils peuvent, alors qu’ils sont avant tout les militants d’une idéologie qui hiérarchise les humains. Toutes les vies ne se valent pas. Le comble est que Trump doit son élection aux classes populaires américaines. Des pauvres, qui votent pour le chef d’une équipe de milliardaires en espérant qu’il fasse une politique pour les pauvres plutôt que pour les milliardaires, on se dit qu’ils sont totalement idiots, ou bien naïfs ! Elles et ils sont surtout aveuglés par leur nationalisme, abreuvé à l’excès par Trump, auquel s’ajoute la religion.
La bande de Trump est composée de gens extrêmement dangereux pour l’Humanité. Leur vision du monde ne se cantonne pas à leur pré carré nord-américain, mais embrasse l’ensemble de la planète. Ce sont intrinsèquement des mondialistes. Ils prennent leurs jets privés pour parcourir le globe comme vous enfourchez votre bicyclette pour aller acheter votre baguette de pain. Ils portent dans leur ADN une part de l’histoire des États-Unis, celle d’une conquête de l’Ouest génocidaire des Indiens d'Amérique, doublée d’une richesse construite sur un crime contre l’humanité avec le travail gratuit des esclaves. Ils sont tellement sûrs d’être des surhommes qu’ils ont la prétention de dominer la nature grâce au progrès technologique. On les traite de climato-sceptiques, alors que l’on devrait plutôt les qualifier de climato-cyniques. Ils ont très bien compris l’équation destructrice « réchauffement climatique, effondrement du vivant, pollution chimique massive de l’eau, de l’air, de la terre, gaspillage insensé des ressources ». Simplement, au lieu d’envisager des solutions pour éviter une catastrophe écologique qui pourrait mener à la disparition de tout ou partie de l’espèce humaine, ils réfléchissent à comment en profiter pour devenir plus riches et plus puissants. Quand les activistes écologistes proclament « Il n’y a pas de Planète B !», Elon Musk, l’emblématique multimilliardaire de la nouvelle ère dans laquelle nous entrons, leur rétorque « Allons sur Mars ! ». Et y travaille.
Il faut bien mesurer la portée du « Dieu pour tous » pour le défi majeur auquel l’Humanité doit faire face. Quand les scientifiques sonnent le tocsin pour nous alerter sur la folie d’une hyper-consommation qui épuise les ressources de la planète au point de mettre tout le vivant en danger, nous compris, et nous appellent à la raison, les adeptes de religion voient dans cet apocalypse annoncée la confirmation de leur conviction religieuse ! Avec la certitude que Dieu saura reconnaître les siens, et qu’elles et ils sont donc personnellement à l’abri… Pourquoi changer de mode de vie, s’ils ne risquent rien ? la catastrophe écologique conséquence de l’activité humaine est la volonté de Dieu, pourquoi s’y opposer ? Quoiqu’il arrive, elle se réalisera et advienne que pourra ! Le « Dieu pour tous » est un chèque en blanc à l’irresponsabilité consumériste.
Oui, nous entrons dans une nouvelle ère. Pour s’en convaincre, il suffit de se retourner sur le premier quart de cet incroyable siècle qu’est le troisième millénaire. Grâce à la révolution numérique, une nouvelle dimension de l’Humanité est apparue, un espace virtuel dans lequel nous évoluons désormais. Le monde est devenu un village, où le moindre coup d’aile de papillon en un endroit vient en percuter d’autres partis d’ailleurs pour un effet en cascade éponyme. Le crépuscule du 20ème siècle prédisait la fin de l’Histoire et des idéologies, et résonnait d’une prophétie, « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». De fait, il a commencé dans les décombres de deux gratte-ciel de New-York, annonçant le retour de la guerre de civilisation portée par la religion. Fanatisme religieux et nationalisme vont de pair. L’Europe sait où ils mènent. À des bains de sang. Elle a beaucoup donné, pendant longtemps. Ne l’oublions jamais.
S'ensuivit le plus grave cataclysme financier depuis la Grande crise de 1929, au point qu’il a fallu une intervention politique massive des nations les plus riches pour sauver le système bancaire international d’un effondrement généralisé. Nous avons alors découvert que l’économie mondiale était un casino géré par des flibustiers, qui jouaient avec l’argent de gogos qui respectent les lois et paient leurs impôts, pour enrichir des affranchis pour qui la seule règle est qu’il n’y a pas de règles tant qu’il y a du profit. Puis, cerise sur le gâteau, la première pandémie mondiale qui confine toute l’Humanité. Première, parce qu’au train où vont les choses, il y en aura d’autres. Entre les virus, bactéries, champignons, autres microbes et parasites inconnus de notre médecine que libèrent le permafrost qui se réchauffe et la déforestation des forêts primaires que l’on abat à tour de bras, ce n’est qu’une question de temps. Il est à craindre qu’à côté, le Covid et ses millions de morts fasse figure d’agréable souvenir…
Avec Trump, on a l’impression que ce déroulé des crises successives qui marquent l’entrée dans le 21ème siècle et constituent la toile de fond des jours présents, se condensent tous ensemble brutalement pour devenir un film en accéléré, qui nous sidère. Chaque matin, nous sommes nombreux à nous lever en se demandant ce que Trump a bien pu faire pendant que nous dormions. Et ce sur tous les continents. C’est incroyable. Ce pour une simple raison, avec lui, tout est possible. Par exemple, transformer Gaza en une nouvelle « French Riviera », il faut bien reconnaître que personne n’y avait jamais pensé. Aucun président des États-Unis n’avait émis jusqu’alors la moindre visée sur le Groenland, ni même menacé le Danemark de quoique ce soit. À la limite, reprendre le canal de Panama par la force peut s’inscrire dans une certaine tradition militaire interventionniste dans ce que les USA considèrent comme leur basse-cour, couplé à une volonté d’en éjecter le grand rival chinois. Il n’en demeure pas moins que les bras nous en tombent. Avec Trump, tout est possible, même déclarer l’inverse de ce qu’il a dit la veille, au point que la presse mondiale se doit de le suivre pas à pas, minute par minute.
Le paradoxe est que le côté hiératique et versatile du personnage est peut-être notre planche de salut. Une partie de son entourage pour qui le chaos est le projet, puisque c’est à cela que revient le « Chacun pour soi, Dieu pour tous et malheur aux plus faibles », est bien plus dangereuse, car beaucoup plus structurée intellectuellement. Elon Musk en est une figure proue. Sous les yeux du monde entier, avec une petite équipe de blanc-bec, il a mené le premier coup d’état informatique de l’Histoire de l’Humanité, non pas pour prendre le pouvoir dudit État, il l’avait déjà, mais pour le démanteler ! C’est pensé, exécuté, et assumé.
Le truc, c’est qu’il y a l’idéologie que l’on applique jusqu’à l’absurde, la photo du « Enola Gay », le bombardier qui a largué la bombe atomique sur Hiroshima, a été effacée des archives militaires américaine parce que supposé homosexuel, et la réalité qui s’applique. La bourse de New-York qui avait débouché le champagne lors de l’élection de Trump, toute alléchée qu’elle était par ses promesses de dérégulation, est passée aux anxiolytiques à cause des entraves qu’il veut mettre au libre-échange, notamment avec ses barrières douanières contre le Canada et le Mexique. Appliquées réellement et durablement, le retour de bâton serait alors terrible pour l’économie Américaine. Trump part dans tous les sens, mais ne peut pas prendre ses désirs pour des réalités. La justice vient de le lui rappeler en l’obligeant à réintégrer des fonctionnaires qu’il avait virés, quand ce n’est pas de son propre chef qu’il a dû en rappeler d’autres qu’il avait pourtant fait jeter comme des malpropres, là aussi rappelé à une réalité simple, l’État fédéral qu’il dirige ne peut pas fonctionner sans agents. Ne présageons de rien, l’action crée sa réaction, on verra bien ce qui se passera outre-Atlantique.
Pour ce qui est de l’Europe et des quatre ans à venir, dans le flot des pas de tango de Donald, elle a au moins deux certitudes. Elle n’a plus de parapluie nucléaire face à la menace russe. Et ses armées qui dépendent des États-Unis pour l'entretien de leurs équipements et leur approvisionnement en munitions ne sont pas sûres de l’obtenir automatiquement, sauf à les payer au prix fort, comme c’est le cas de l’Ukraine aujourd’hui. Si personne ne peut prédire que nous allons vers la guerre les armes à la main, ce que nous n’excluons pas au point de nous réarmer massivement à coups de centaines de milliards d’euros, nous, européens, devons être conscients que nous sommes déjà en guerre. Elle nous a été déclarée par Trump et Poutine, réunis comme les deux faces d’une même pièce. C’est une guerre qui se gagne dans les têtes, sur le terrain des valeurs, du projet de société que nous voulons. Face au « Chacun pour soi, Dieu pour tous et malheur aux plus faibles », pour ce qui est des valeurs, la réponse tient en trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité. Pour ce qui est du projet de société, démocratie, humanisme et écologie, ça le ferait bien.
Une guerre qui se déroule sous les crânes est une guerre mondiale. Les cerveaux se confrontent dans toutes les sociétés, à commencer par la société américaine, littéralement coupée en deux. Sur le terrain des valeurs, les européennes et européens sont en première ligne et tiennent le front. À travers le monde, toutes les femmes et les hommes humanistes épris de liberté et de justice comptent sur nous. Elles et ils n’ont guère le choix. Il n’y a pas de deuxième ligne. Autrement dit, c’est une lutte à mort. De cela aussi, il faut être bien conscient.
Malik Lounès