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Billet de blog 31 mars 2022

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« Papa, va-t-on se cailler les miches l'hiver prochain ? »

Peut-on éviter de se cailler les miches l’hiver prochain et les suivants ? Techniquement, oui, mais probablement non, car, hélas, nous avons un gros problème : nous-même.

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Mes chers enfants, nous allons morfler aux stations d’essence, mais aussi dans nos supermarchés, comme dans la plupart de nos enseignes préférées de sport, de jardinage ou de produits culturels. Le pétrole et ses dérivés sont partout ; dans notre nourriture, nos habits, notre mobilier, nos maisons, et j’en passe. Peut-on éviter de se cailler les miches l’hiver prochain et les suivants ? Techniquement, oui, mais probablement non, car, hélas, nous avons un gros problème : nous-même.

Au début des années 90, une terrible crise financière a durement frappé l’Asie du Sud-Est, laissant des dizaines de millions de travailleurs pauvres sur le carreau. L’un d’eux, ex-ingénieur agronome malaisien venu tenter sa chance en ville, qui habitait un quartier de Kuala Lumpur à la limite du bidonville, s’est retrouvé sans-emploi, comme la plupart de ses voisins. Dans l’incapacité de nourrir ses enfants, il est revenu à ses premiers amours, et a développé toute une série d’ingénieux systèmes pour cultiver des fruits et des légumes dans son taudis. C’est ainsi qu’il a fait pousser des courges dans des sacs de toiles de jute suspendus au plafond, des plans de tomates dans des bouteilles en plastique et plein d’autres trucs du même acabit. Histoire de pouvoir cuisiner, il a mis au point un petit méthaniseur domestique alimenté avec les déchets organiques de sa micro-ferme à domicile. Il a fait profiter ses voisins de ses innovations, d’autant plus facilement que la plupart d’entre eux étaient des ex-ruraux dotés de savoir-faire en la matière, tant et si bien qu’il y eu suffisamment de déchets organiques pour concevoir un deuxième méthaniseur de plus grande ampleur au bénéfice de tout le quartier, permettant ainsi aux habitants de recharger quasi-gratuitement des bouteilles de gaz.

C’était il y a trente ans, bricolé avec des bouts de ficelle. Aujourd’hui, en France, n’importe quel ménage habitant une maison peut installer un méthaniseur dans son jardin. Combien y pensent ? Très peu. Pourquoi ? La puissance publique n’en parle jamais. Il en va de même d’autres systèmes qui permettent de réguler la température d’une habitation, tel que celui du puits canadien qui joue de la différence de température entre sous-sol et surface, suivant le même principe que la géothermie. Celle-ci est utilisée, par exemple, pour chauffer un des bâtiments les plus imposants de Paris, la Maison de la Radio construite dans les années 60. Voilà une source d’énergie écologique sous nos pieds renouvelable à l’infini, qui ne coûte pas grand chose à produire, dont on ne trouve aucune trace dans la communication gouvernementale. Vous ajoutez une éolienne domestique qui ne perturbera pas la traite des vaches, ne tuera aucune chauve-souris et ne défigurera pas le paysage, en clair tout ce que l’on reproche aux éoliennes industrielles au point d’en oublier les avantages pour un particulier, vous couplez l’affaire avec des panneaux solaires et le delta dont vous avez besoin fourni par EdF est tellement réduit que votre facture sera proche de zéro. Si votre maison est bien isolée et que vous gérez votre consommation, ou s’il s’agit d’une construction neuve vous permettant d’optimiser toutes les technologies dès la conception, vous pourrez même revendre un surplus au réseau de transport électrique et gagner de l’argent au lieu de payer des factures. Cette approche pour arriver à du bâtit dit à énergie positive n’est pas réservée aux maisons individuelles. À travers le monde, les plus talentueux des architectes et urbanistes travaillent à construire des bâtiments et des quartiers entiers qui ne consomment pas d’énergie, mais en produisent. On peut même pousser le bouchon en appliquant cette approche de mix énergétique renouvelable aux installations industrielles grandes consommatrices d’électricité. Il n’y a pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour comprendre que développé à grande échelle, c’est tout le paradigme de la production et de la distribution d’électricité qui en serait profondément modifié, en permettant de se passer de nouvelles centrales électriques au profit d’une multitude de petites unités décentralisée. 

Quand le gouvernement s’exprime sur les énergies renouvelables, il concentre son propos sur les éoliennes et les panneaux solaires pour mieux en souligner le caractère aléatoire, en omettant soigneusement celles qui ne le sont pas, comme la géothermie déjà citée, ou les hydroliennes, qui permettent de produire de l’électricité à partir des courants marins ou fluviaux. Cela relève de la manipulation de l’opinion, avec pour clair objectif d’imposer ce qu’il considère comme la solution miracle, le nucléaire. Pourquoi mentir par omission pour imposer une solution vertueuse ? Pourquoi ne pas faire confiance à l’intelligence de ses administrés, si vraiment ce que vous proposez est frappé au coin du sens ? Vu le bilan de la filière nucléaire ces vingt dernières années, on comprend qu’il y ait besoin de tordre le bâton pour nous faire passer une vessie crevée pour une lanterne magique. Selon le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire auditionné par le Sénat en 2017, la filière nucléaire, c’est 50 ans de falsification des documents de certification de pièces défectueuses pour pouvoir les installer malgré tout, y compris quand il s’agissait de pièces essentielles à la sûreté. Il a fallu réexaminer 2 millions de pages de documents douteux. Il y a aussi les déboires bien connus de la nouvelle génération de réacteurs dit EPR, avec deux chantiers qui resteront dans les annales des fiascos industriels, doublés de deux gouffres financiers qui se chiffrent en milliards d’euros. Si le premier exemplaire construit en Finlande vient d’entrer en service, l’addition continue de grimper à coup de centaines de millions d’euro pour le second en France, sans que l’on soit sûr qu’il pourra un jour entrer en service, tant les malfaçons fleurissent en pagaille à chaque étape du chantier. 

« La différence entre un train et un polytechnicien c’est qu’un train, lorsqu’il déraille, il s’arrête », or, le nucléaire est le pré-carré des polytechniciens au sein de la techno-structure, ou « État profond ». Ils manœuvrent depuis quelques années pour que la France se lance dans la construction d’au moins 6 nouveaux EPR. Il faut croire que les polytechniciens qui déraillent ont une certaine force d’entraînement, puisque le Président de la République candidat à sa réélection propose d’en construire 14 pour une mise en service à l’horizon de 2045. À cela, il ajoute une nouvelle voie, la construction de mini-réacteurs nucléaires au quatre coins du territoire. À l’heure où la crainte en Europe est qu’un missile russe ne touche le réacteur d’une centrale nucléaire ukrainienne, ses piscines de stockage de matériaux hautement radioactifs, ou bien son système d’alimentation électrique permettant son refroidissement, sans lequel une centrale se transforme en bombe nucléaire. En truffer la France est-elle vraiment une bonne idée ? 

Pour Kenza qui flippe pour sa facture de gaz, le gouvernement a bloqué son prix jusqu’à la fin de l’année, sans que l’on sache vraiment qui paiera la différence, le consommateur à terme, ou le contribuable. Pour Lola qui voit ses revenus commerciaux s’évaporer lors de ses pleins d’essence, le mieux serait d’acquérir un vélo électrique, sinon de prier pour un retour rapide du pétrole et du gaz iranien sur le marché mondial, afin de compenser la perte de la production russe. À toutes les deux, ainsi qu’à votre petit frère, mon conseil de père serait de vous engager en politique pour rénover notre démocratie. On glose dans les médias sur la crise de la démocratie représentative, alors qu’il saute aux yeux qu’il s’agit surtout d’une crise de la représentativité de la démocratie représentative. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen a réuni plus de 20% des électeurs sur son nom, et plus de 33% au second tour. Aux législatives qui ont suivi et par la grâce du mode de scrutin majoritaire, son parti politique n’a obtenu que 1,39% de la représentation nationale. Cherchez l’erreur… Parallèlement, l’actuel président de la république n’a réuni que 12% du corps électoral, mais concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir, puisque le parlement qui normalement devrait contrôler l’exécutif est réduit à un théâtre d’ombre qui sert de chambre d’enregistrement. Le risque est grand de voir votre génération et les suivantes durablement plombées par des choix aberrants faute de vrais grands débats contradictoires, pas seulement le temps d’une élection, mais tout le long d’une mandature. Pour de multiples raisons, l’élection présidentielle qui aurait dû être un grand moment démocratique est d’ores et déjà tronquée, mais ce n’est peut-être pas plié pour les législatives. Le président sortant est promis à une réélection dans un fauteuil tant il domine de la tête et des épaules la scène politique, mais ses pieds sont d’argile. Vu le contexte imprévisible de crise dans lequel nous sommes, nous pourrions avoir une campagne électorale législative qui déraillerait positivement, au point de déboucher sur un plan massif d’équipement de l’habitat social en énergies renouvelables, couplé à un véritable accompagnement des propriétaires privés pour mettre en place le mix énergétique le mieux adapté à leur patrimoine, histoire d’alléger la facture énergétique des particuliers, et donc du pays, dans les prochains mois, sans attendre 2045. Après tout, rien n’interdit de rêver, et cela permet de se réchauffer l’esprit à la flamme de l’espoir.

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