Il y a toujours la jurisprudence Laurent Wauquiez. Éphémère patron des Républicains, il est à ce jour le meilleur exemple, la quintessence même, le pur jus de la démonstration qu’il n’y a pas de corrélation évidente entre faire des longues études, les réussir avec brio (il a majoré Normale Sup et l’ENA), et être intelligent. Et donc, la proposition antithétique de cette affirmation est qu’on peut être très intelligent et ne pas avoir fait d’études. Cela peut sembler frappé du coin du bon sens, mais ça va mieux en le disant. La preuve en est en ce moment. Beaucoup disent, si Macron fait ce qu’il fait, c’est qu’il n’a pas le choix : il n’est pas bête. Il n’enfermerait pas tout un pays à deux reprises, s’il pouvait faire autrement. De l’autre côté, en haut, c’est pareil, on se dit si les Français et les Françaises ont refusé massivement la réforme des retraites l’an dernier par exemple, c’est parce qu’ils ne l’avaient pas comprise : c’est parce qu’ils sont bêtes. Et d’ailleurs, Gilles Le Gendre député La République en marche et ex-président du groupe à l’Assemblée nationale, l’avait dit. Ils ont été « trop subtils, trop intelligents », pour nous pauvres incultes, citoyens non-éduqués, incapables de comprendre les remous du monde et les nécessaires réformes pour les accompagner. Car c’est complexe, voyez-vous. Nous, on croit qu’il suffit de mettre des moyens humains et financiers dans l’hôpital public depuis des années, alors qu’en fait non, c’est un simple problème d’organisation. Comme l’a encore répété Emmanuel Macron aux soignants de l’hôpital Rothschild, il y a encore quelques semaines, concernant les unités Covid. Avec 5 800 lits de réanimation disponible pour un pays de 66 millions de personnes, après la suppression de 69 000 lits d’hospitalisation en 15 ans (qu’ils justifient par la généralisation de la médecine ambulatoire), c’est un simple problème de gestion administrative qui fait qu’on confine tout le monde. Et comme ces gens-là sont docteurs ès gestion, ça devrait aller. Faut leur faire confiance, ils ont fait de longues études… Coluche disait : « Les hommes politiques, j'vais vous faire un aveu, ne sont pas bêtes. Vous vous rendez compte de la gravité ? Ils sont intelligents. Ça veut dire que tout ce qu'ils font, ils le font exprès. Ils y réfléchissent, ils y pensent. Parce que, vous comprenez, si c'était des cons, ça irait tout seul. On dirait : « Bon, beh, c'est des cons. » Nan, nan, nan, nan. Les présidents et les dirigeants des pays qui ont laissé crever l'Afrique, l'Amérique du Sud et bientôt les Indes, c'est des gens qui le font exprès. » Pourtant, l’on peut tout de même avoir une certitude, c’est que la bêtise demeure le virus le mieux réparti au sein de l’espèce humaine. On en est tous dotée à la naissance. Et même les politiques. Surtout les politiques.
« Ils sont brillants, mais pas forcément intelligents »
Albert Dupontel, dont le film Adieu les cons m’a inspiré ce titre, a déclaré dans une récente interview donnée à la chaîne YouTube Thinkerview : « Ils sont brillants, mais pas forcément intelligents ». Je n’aurais pas trouvé meilleure formule (c’est d’ailleurs pour cela que je lui emprunte). De petits élèves vifs au lycée, ils sont ensuite transformés en bête à concours en prépa, où trop réfléchir peut s’avérer un obstacle (je le sais, j’ai des copains qui y sont allés, malheureusement, je n’ai pas eu cette malchance). Puis, ils passent leur vie dans les arrondissements centraux de Paris dans les grandes écoles où les plus brillants esprits se rencontrent. Enfin, ils se dispersent selon leurs affinités, entre les divers postes de commandement du petit-peuple qu’il faut mener, défendre et diriger, et tout cela même contre son gré. Finalement, ils passent tous à côté des structures essentielles qui composent la vie et qui ne sont pas enseignées sur les bancs de l’école, si prestigieuse soit-elle. La débrouille, l’entraide, la solidarité, la coopération, le geste désintéressé, la réflexion et l’invention de modèles nouveaux. Eux apprennent, la compétition, la compétition, le don seulement en échange de contredon, la compétition, la conservation du monde, l'économisme pour seul horizon des relations humaines. C’est ce à quoi ils mettent leur brillance au service de. Jamais leurs longues études ne sont mises à contribution de nouveaux modèles économiques capable de dépasser celui qui met en péril l’humanité. Jamais les caps qu’ils se fixent varient du triptyque croissance-réduction de la dette-privatisation des politiques publiques. Pourquoi le changer ce modèle, il a fait ses preuves après tout. On aura bientôt la 5G et la reconnaissance faciale.
Toute politique est complexe… si elle consiste à conserver l’ordre établi
Sauf à se dire que peut-être, on se trompe en pensant qu’ils se trompent. Peut-être que tout fonctionne à merveille finalement. Un chômage à deux chiffres, qui permet de démanteler le droit du travail, des services publics asphyxiés pour rendre acceptable les privatisations, et une dette publique qui augmente pour justifier toutes les coupes dans des services jugés non-essentiels. Non pas qu’il y aurait un plan machiavélique pensé, et à dessein de ce projet mortifère. Mais que sans doute, il y a un intérêt à laisser s’affamer la bête. Que remettre de l’argent dans l’hôpital aujourd’hui, malgré l’immense nécessité à le faire, c’est revenir sur quarante ans d’entreprise de destruction à petit feu d'un service public coûteux et qu’il ne faudrait pas tout effacer avec quelques dizaines de milliards. J’imagine bien que ça doit être complexe là-haut. Cette complexité du monde naît de la multiplicité des rapports de force. Aujourd’hui, un gouvernement dit démocratique, en Europe par exemple, pour toute action politique qu’il souhaite entreprendre, a à faire face à la hiérarchie des normes européennes et internationales de plus en plus prégnantes sur son droit national, aux conflits géopolitiques de haute et basse intensité, à la demande populaire (en plus divisée en droite et gauche) source de légitimité, aux remous internes au pouvoir, à l’administration résistante, à tout de même quelques principes et idéaux à suivre qui subsistent confits çà et là, et surtout, surtout, qui préside à tout cela : préserver le pouvoir. Et là, il n’y a plus de droite ou de gauche, nous l’avons vu récemment avec les révélations de France Inter (qui avaient en fait déjà été documentées par Mediapart il y a quelques années) sur le maquillage des comptes de campagne de Jacques Chirac par le Conseil constitutionnel, présidé en 1995 par Roland Dumas, ex-ministre mitterrandien. Ce dernier avait tout mis en œuvre pour ne pas invalider l’élection, après l’accession au trône de Chirac. Évidemment, toute politique publique qui accouche de ce bazar, composée, pensée et rédigée par quelques personnes in fine, ne saurait qu’être complexe. Néanmoins, tout n’est pas si complexe. Car au-dessus de tout cela, demeure une binarité, à dépasser certes un jour : des dominants et des dominés, des intérêts et des intéressés. La lutte des classes quoi.
Common decency ou common knowledge
Orwell nommait la common decency, le bon sens populaire, la décence commune littéralement, qui postule que les gens ordinaires, les Monsieur et Madame Tout le monde, les prolos, le peuple, les gens de peu posséderaient un sens moral inné qui conduirait leur vie. Mais je ne suis jamais très à l’aise avec ce concept, non théorisé par ailleurs. Car il départage de manière trop binaire les prolos bienséants, et les élites décadentes. En revanche, je déplacerais le concept sur un autre plan que celui de la morale, celui de la politique. Je pense qu’il y a un common political knowledge. Un sens politique commun. L’exemple de la Convention citoyenne pour le climat en est l’une des marques les plus visibles. Tirez au sort 150 citoyens, enfermez-les 9 mois dans une pièce, secouez (leurs neurones), et vous obtenez un programme écologique en adéquation avec les défis à relever. Et si vous faisiez confiance à l’intelligence collective ? Celle-ci a fait ses preuves, et continuera de les faire. Car on sait une chose, c’est que si on ne sait pas, en se mettant à plusieurs, on finit par savoir. Alors que vous, vous semblez toujours savoir, mais rien ne fonctionne jamais. Laissez les rênes, vous verrez, on s’en sortira mieux sans votre bêtise parasitaire. Je me souviens d’une interview que j’avais menée avec Xavier Ragot, directeur de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), au début du confinement, où l’on discutait, entre autres, de l’annulation des dettes. Il me disait que c’était un monde qu’il n’arrivait même pas à imaginer. C’est peut-être ça la plus grande limite de leur pensée. Qu’elle soit limitée justement, incapable de penser l’altérité.
« J'ai des diplômes sur mon CV, c'est con, je présente bien
Mais j'les emmerde, décapsule une bière à l'entretien
Rien à foutre, j'irai squatter un banc au parc
Écrirai un poème sur la volonté d's'tirer autre part
Heureux dans la tourmente, ça t'fait marrer ou pas ?
Moi si, mais suis-je taré ou pas
J'dirais qu'c'est vous les fous, avec vos promotions
Vos grosses Berlines en ville pour compenser vos sécheresses d'émotions »
Lucio Bukowski - Transitoriis Quaere Aeterna
PS : pour essayer qu'on devienne tous moins cons, on a créé un journal satirique il y a un an, où l'on exprime nos doutes quant à la société actuelle. Ca s'appelle Mouais, le Mensuel dubitatif, et ça coûte 22 euros par an. https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais