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Billet de blog 10 décembre 2020

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Quand le fantasme fait loi

La loi scélérate contre les musulmans a été énoncée. Loi sur le séparatisme ? De quoi parlent-ils ? « L’ennemi de la République, c’est une idéologie politique qui s’appelle l’islamisme radical », dixit Jean Castex. L’Afd, parti d’extrême droite allemand, applaudit. Qui est vraiment l'ennemi de la République ?

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On passera sur la provocation d’un texte présenté le jour du 115ème anniversaire de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, consacrant le principe de laïcité en République française, pour se focaliser sur le pourquoi de ce projet de loi. Il est tout de même à noter qu’il y a un siècle le projet de loi entérinait la séparation du religieux et de l’État, et qu’aujourd’hui, le politique légifère contre un supposé séparatisme religieux.

A l’origine de cet énième projet de loi censé lutter contre une idéologie mortifère qui gangrènerait la société française, on trouve cette justification. « Il doit répondre à ce qui est devenu l'une des inquiétudes majeures des Français, d'un attentat à l'autre, jusqu'à la décapitation de l'enseignant Samuel Paty mi-octobre qui a conforté l'exécutif dans la nécessité de donner un tour de vis. "Après cela, c'est tout de même difficile de faire comme s'il n'y avait pas de problème", résume un ministre de poids. », écrit l’Agence France Presse (AFP). Selon un sondage Via Voice, commandé par La République en marche soit dit en passant, 88% des sondés se disent préoccupés par la montée de l’islamisme radical. Et donc naturellement, le gouvernement vient répondre aux inquiétudes légitimes des Français, exprimées dans un sondage commandé par leur soin. Il faudrait tout d’abord définir « montée », « islamisme » et « et islamisme radical » pour que cette assertion commence à avoir un début de sens. Sur quoi s’appuie cette tendance à la hausse de l’islamisme radical ? Et qu’est-ce que l’islamisme radical ? Un intégrisme religieux ? Toutes les religions possèdent leurs intégristes. Comme toute idéologie. Et enfin, il faudrait se demander si le gouvernement est là pour pourvoir à toutes les préoccupations passagères, contextuelles et morbides des Français et des Françaises. Car personnellement, je suis assez préoccupé de la montée de l’intolérance quant aux vêtements portés par les filles à l’entrée des lycées (cf. ce sondage lunaire de Marianne sur les crop tops et autres). Amusant de noter tout de même que dans ce cas-là, contraindre les filles à « s’habiller de façon républicaine » comme a dit Jean-Michel Blanquer, ce qu’il faudrait aussi définir, ne pose pas de problème d’idéologie totalitaire, fasciste etc.   

Accumulation ne fait pas démonstration

Quand on avance des faits aussi graves que ceux posés dans l’origine du projet de loi séparatisme, il faut des preuves. De la même manière que Gérald Darmanin a été infoutu de présenter un quelconque exemple de policiers « jetés en pâture sur les réseaux sociaux » qui n’ait soit été déjà condamné par la justice, ce qui montre l’inanité de l’article 24 du projet de loi sécurité globale, ou n’ait aucun rapport avec le sujet comme avec l’instrumentalisation du meurtre du couple de policier de Magnanville, il en est de même pour la loi sur le séparatisme. Rien de bien concret, de réellement pertinent, aucune donnée chiffrée ou qualitative ne vient corroborer à ces élucubrations. « « Des éléments nous montrent qu’une contre-société s’installe progressivement à bas bruit », insiste aujourd’hui l’entourage du premier ministre pour justifier de l’urgence législative, reconnaissant toutefois que sur un certain nombre de points, concernant notamment les « certificats de virginité », la polygamie et les mariages forcés, « il est difficile d’exposer les choses de façon très précise » », relate l’article de Mediapart après la conférence de presse du gouvernement. Quels éléments ? Le problème réside précisément là. Ils n’ont rien pour étayer un tant soit peu ce supposé séparatisme. Car l’accumulation de faits divers ne fait pas démonstration, et n’aboutit pas à la conclusion de la fomentation d’une contre-société. Des horaires aménagés de piscine par là, un bar PMU de Sevran qui n’accepterait pas les femmes par ci (fausse nouvelle démontée par ailleurs), un imam qui ferait des prêches radicaux ici, des agents publics hommes qui ne serreraient pas la main aux femmes etc.

L’ignorance, c’est le savoir

Islamisation de la France, invasion migratoire, grand remplacement etc. Si l’instauration de la Charia représentait une menace concrète en France, je serais le premier à me battre. « Et si on arrêtait de parler des chiffres et qu'on s'attachait au ressenti des Français. […] On s'en fiche des chiffres, y'a un sentiment dans le pays. », disait Julien Pasquet « journaliste » à CNews en août 2020 sur la question d’un ensauvagement de la société. Et s’il est évident que les compilations de chiffres, qui ne sont que des données construites à partir d’un réel observable, ne saurait être entièrement satisfaisante pour traduire un fait social, on ne peut balayer d’un revers de la main des études holistiques en la matière. Renaud Camus, théoricien (c’est un bien grand mot) du concept de « grand remplacement », l’avait également signifié au démographe Hervé le Bras en ces termes en juin 2017 dans l’émission Répliques de France Culture animée par Alain Finkielkraut : le ressenti prime, les chiffres n’existent pas. Ce à quoi lui avait répondu Hervé Le Bras : « Ce n’est pas en vous promenant dans la rue que vous pouvez avoir l’idée de ce qui se passe dans 550 000 kilomètres carré et pour 65 millions d’habitants. Vous n’avez aucun moyen de le savoir, tous les biais sont là, c’est l’histoire de l’homme qui arrive en Angleterre qui voit une Anglaise rousse et qui dit à sa femme au téléphone toutes les Anglaises sont rousses. Les statistiques sont très utiles quand on veut avoir l’idée de la situation d’un grand pays ».

 « Un vêtement comme un autre »

Question laïcité, puisqu’il a été un temps question d’introduire le mot dans l’énoncé du projet de loi, il va vraiment falloir un jour que nos (très) chers gouvernants finissent de lire cette loi de 1905 et les débats parlementaires qui l’ont précédée, afin de mieux appréhender ce concept, pourtant relativement simple sur le fond. Comme cette phrase d’Aristide Briand, rapporteur du projet à la loi à l’Assemblée nationale, qui répondait au député Charles Chabert (radical-socialiste) sur une éventuelle interdiction du vêtement religieux, dont la transposition à l’actualité ne saurait être fortuite : « Quant au prestige dont jouit la religion dans nos campagnes, je crois qu’il serait téméraire de l’attribuer uniquement à la forme du vêtement que portent les prêtres. L’influence de l’Eglise tient à d’autres causes, moins faciles à détruire ; sinon, il y a longtemps que la libre pensée aurait déjà triomphé du dogme […] La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme un autre, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non. C’est la seule solution qui nous ait paru conforme au principe même de la séparation, et c’est celle que je prie la Chambre de vouloir bien adopter. » Pour le voile islamique, comme pour les listes électorales dites communautaires que des élus Républicains voulaient interdire alors qu'elles n'existent quasiment pas, l'aveuglement raciste prend le pas sur la rationalité. Plutôt que de nourrir la stigmatisation, l'essentialisation et l'oppression d'une partie de sa population, la République ferait mieux d'incarner l'un de ses idéaux : la fraternité qui permet la coexistence pacifique de gens différents. Et tant pis si des communautés diverses se constituent en son sein, ça n'est jamais qu'un mouvement anthropologique relativement naturel que de s'associer à ses semblables. 

PS : pour lire un journal qui, s'il verse parfois dans le fantasme, au moins l'assume, il y a Mouais, le mensuel dubitatif, auquel on peut encore s'abonner pour 22 euros par an avant fin décembre. https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais

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