Nous sommes le 14 mars 2024. Depuis 24 heures, je suis, par bribes, le sujet phare des médias et du Gouvernement français. A en croire les journalistes, analystes, spécialistes…, une étudiante juive de Sciences-Po a été empêchée de pénétrer dans un amphi de son école accueillant une conférence pro palestinienne. Elle aurait été empêchée parce que « juive » et aurait essuyé des insultes antisémites. Attal se déplace en personne sur les lieux, la Ministre de l’enseignement supérieur dénonce, Macron parle de « propos inqualifiables ».
Ma première réaction, moi, l’islamo-gauchiste propalestinien est l’horreur. Le pire pour la cause palestinienne est le déshonneur de l’antisémitisme. Sur une manifestation de milliers de personnes contre le massacre toujours en cours à Gaza, il suffit d’un seul abruti et d’un slogan « douteux » pour discréditer le tout. Donc, je creuse un peu.
Toujours ce 14 mars 2024, à midi, ci-dessous une liste des éléments à ma disposition :
- L’incident a été rapporté par l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF). Une organisation étudiante communautaire à en croire son nom dont la communication depuis le 7 octobre 2023 est exclusivement dédiée au démontage des arguments des voix appelant à l’arrêt des hostilités en Israël Palestine. Dans cette communication, il y a une part importante d’appel à la sanctuarisation du sionisme en cultivant l’amalgame entre sionisme et judéité. Enfin, elle est à l’origine d’appels à dénoncer et empêcher des colloques et conférences de voix critiques envers l’Etat d’Israël notamment à Sciences-Po. Pour les sources de ce que j’affirme, j’invite le lecteur à faire un tour sur les réseaux sociaux et les comptes de l’UEJF.
- La victime, interrogée par le Parisien du 13 mars 2024, affirme avoir été refoulée à l’entrée de l’Amphi. On lui aurait asséné un « toi tu rentres pas, on te connaît ». Elle aurait ensuite était informée par un témoin de la scène que quelqu’un derrière son dos aurait dit « Elle, c’est une sioniste ».
- La version d’un porte-parole des organisateurs, interrogé FranceInfo, a confirmé le refoulement de la présumée victime. Selon lui, son hobby est de s’infiltrer dans des manifestations palestiniennes, prendre les participants en photo, publier les clichés sur les réseaux sociaux et initier des campagnes d’intimidation et de harcèlement numériques.
- Une enquête interne est en cours à Sciences-Po.
Manifestement, nous sommes sur deux versions contradictoires, un « parole contre parole », aucune vidéo ou enregistrement ne vient étayer l’une des deux versions. Cependant, les médias ont clairement désigné la victime, le bourreau et, surtout, le coupable ultime : le wokisme qui gangrène les universités et les écoles françaises. Encore mieux : le Président de la République lui-même, après le Premier Ministre et la Ministre de l'Enseignement Supérieur, s’invite dans le « shit storm » et dénonce.
D’où ma deuxième réaction : la colère ! ou le « Sire on en a gros ! »
Il est tout d’abord nécessaire de rappeler une évidence.
Les propalestiniens dénoncent des faits. Une guerre meurtrière est menée contre un peuple et a déjà fait plus de 30,000 victimes dont une effrayante majorité de civils. Les survivants sont cantonnés à Rafah, sont menacés par une offensive imminente et meurent petit à petit de faim et de manque de soins. Israël bloque les camions d’aide humanitaire en provenance d’Égypte. Des voix au sein du Gouvernement israélien appellent à la recolonisation de Gaza une fois ce bout de terre débarrassé de ses habitants. Pendant que le monde regarde Gaza, les colons israéliens en Cisjordanie dégradent les cultures, chassent les Palestiniens de leurs champs et maisons, intimident et tuent en toute impunité. Les colonies israéliennes en Cisjordanie continuent de pousser. Avant l’attaque abjecte du Hamas du 7 octobre, le blocus de Gaza et le maintien de sa population sous perfusion minimale en vivres était déjà en cours. En Cisjordanie et à Jérusalem-Est, territoires occupés selon l’ONU et le Droit International, la population palestinienne vit sous régime d’occupation militaire tandis que la population juive vit sous le régime de Droit Civil israélien ce qui acte, factuellement et juridiquement, un état de fait d’Apartheid… La liste, déjà indigeste, peut continuer.
Pendant ce temps, que font les voix qui soutiennent indéfectiblement Israël ? Je retiens deux axes principaux de communication mais je suis ouvert aux suggestions : elles accusent systématiquement d’antisémitisme toute voix contradictoire. Parallèlement, elles cultivent l’amalgame entre le sionisme et la judéité. Et… ça marche ! Pour le moment…
Le danger derrière cette stratégie est réel. La situation humanitaire et juridique en Israël Palestine est objectivement documentée, filmée, rapportée… L’élan de solidarité et de révolte qu’elle inspire est naturel et irrémédiable. Confondre, sciemment, cet élan salutaire avec de l’antisémitisme et multiplier les accusations infondées ne le coupera pas. Il risque, cependant, de banaliser l’antisémitisme chez certains à force de le considérer comme condition nécessaire à la solidarité humanitaire avec les Palestiniens. Bref, nous risquons de nous retrouver avec une génération d’antisémites complètement décomplexés.
La hausse des actes avérés d’antisémitisme est en hausse. Il faut absolument lutter contre ce phénomène. La priorité, à mes yeux, est d’arrêter l’amalgame juif / israélien / sioniste messianique. Cet amalgame existe de manière résiduelle chez des voix critiques envers Israël, il ne faut pas le nier. Cependant, il est aussi utilisé sous une forme d’injonction des pro-Israël (dans sa guerre actuelle) à l’encontre des Juifs en général sous la menace de l’accusation de « traîtrise à son identité ». Dans ce cas, sans obligation aucune, les voix juives clairement critiques envers la guerre de Netanyahu et sa clique, existent, sont salutaires et me redonnent foi en l’Humanité.
Ensuite, expliquer n’est nullement excuser. Une clé pour comprendre la montée de l’antisémitisme est, justement, sa corrélation avec la situation en Israël Palestine. Une résolution juste et pacifique du conflit épuisera, graduellement, un carburant essentiel à ce racisme.
S’agissant du sionisme. Je vais sauter dans le champ de mines à pieds joints. Historiquement, et actuellement aussi, le sionisme est polymorphe. Il brasse un spectre allant des gens qui appellent à un établissement des Juifs en Palestine mandataire historique sans forcément exercer une souveraineté étatique à des énergumènes plongés dans un délire messianique et souhaitant éradiquer tous les non-juifs entre le Nil et l’Euphrate. Entre ces deux extrêmes, il existe évidemment plusieurs nuances. La matrice commune, à mes yeux, entre les différentes formes du sionisme est son acceptation de l’antisémitisme et la considération de ce racisme comme un phénomène « naturel » et « éternel ». Le postulat de départ est que le Juif sera toujours menacé dans son pays d’origine (principalement européen à l’époque de la genèse du sionisme au 19èmesiècle) d’où, la nécessité pour les Juifs de se mettre en sécurité dans leur propre pays à créer en Palestine mandataire. Theodore Hertzl, le père du sionisme, était exactement sur cette ligne et appelait même à une alliance objective avec les dirigeants européens antisémites souhaitant expulser « leurs » juifs ; cela, évidemment, plus de cinquante ans avant l’avènement du nazisme. Par conséquence, je suis naturellement opposé intellectuellement au sionisme par rejet viscéral de l’antisémitisme.
Aujourd’hui, le sionisme messianique règne au sein du Gouvernement israélien. Les appels au génocide, la déshumanisation des Palestiniens, la négation de leur identité voire de leur existence, le « Djihad » des colonies en Cisjordanie… Tout ces éléments sont en train de faire muer la démocratie israélienne en une théocratie messianique sourdes aux conseils des alliés historiques et aux résolutions de l’ONU (source de la légitimé de son existence-même par le vote de l’AG en 1947), ne reconnaissant aucune frontière légale, gérant l’étendue de son territoire par la force et au gré des « opportunités ». Finalement, une mue que je n’espère nullement mais dont l’aboutissement serait une sorte de Daesh habillé en costard et doté de l’arme nucléaire.
D’où mon appel, inutile et inaudible certes, à ces politiques au pouvoir, Président compris, qui au lieu d’analyser les faits, de chercher les causes racines et d’œuvrer à des solutions surfent sur des polémiques indignes de leurs fonctions avec pour seules boussoles la communication pour la communication et une reconduction au pouvoir qui ne viendra pas tellement ils ont prémâché le travail pour l’extrême droite : remettez-vous à niveau sur le sujet du conflit israélo-palestinien et de la diplomatie en général, révisez votre droit international et votre histoire et reposez-vous sur un corps diplomatique que vous êtes en train de détruire, gagnez en objectivité et, d’ici là, arrêtez vos tristes gesticulations.