Le Sahara, de part son étendue, son histoire géologique, ses populations et ses richesses est une source inépuisable de récits et de fantasmes. Encore plus fort, le mot « Sahara » est tout simplement fascinant quand il désigne cette partie désertique bordant l’Atlantique juste au nord de la Mauritanie. Dans ce contexte, ce mot peut transformer tout débat, article, carte de la région et j’en passe en concours d’insultes et épreuve de pugilat en fonction de l’adjectif qualificatif que vous placeriez juste à sa suite : « Marocain » vaut adhésion au camp des méchants impérialistes marocains au cerveau lavé par des décennies de propagande makhzénienne, « Occidental » fait de vous un neutre qui ne veut pas se mouiller ou un ignorant, l’un n’excluant pas l’autre, « Occupé » déclenche, principalement chez les internautes marocains, une avalanche de « Vive le Roi » (je suis toujours désespérément à la recherche du lien) et d’hypothèses intéressantes quoique rarement étayées sur la passion nourrie par les généraux algériens envers le sexe tarifé avec des membres principalement féminins (société patriarcale oblige !) de votre famille.
Je vais donc opter pour le « Sahara Espagnol » comme une sorte d’hommage pour l’ancienne puissance colonisatrice. En effet, je suis très joueur.
Ces quelques lignes constituent ma réaction à l’article intitulé « Au Sahara occidental, la reprise de la guerre galvanise un peuple à cran » publié sur Mediapart le 27 octobre 2021.
Entre autres mais factuellement, il y est question d’un groupe d'Européens se faisant "guider" par le Polisario pour témoigner de la situation dans les camps de Tindouf et sur le "front". Ces guides, de sympathiques "guerilleros" du désert, parlent de leur combat vieux de 45 ans puis entre des cérémonies de thé (véridique, lisez l’article.) lancent à deux reprises quelques roquettes dans le désert. Il y a des répliques "côté ennemi" sans, à priori, que les témoins ne se sentent vraiment en danger ou, du moins, qu'ils ne jugent utiles de le préciser. Conclusion des témoins: la guerre a bel et bien repris n'en déplaise aux Marocains et à leur propagande... Elle est sympa cette guerre, non ? Qui fait vraiment de la propagande dans ce cas précis ?
Plus sérieusement et sur un ton moins moqueur, je tente dans ce qui suit d'exposer une vue marocaine sans vociférations ni insultes.
Le Maroc officiel utilise tous les moyens moraux et immoraux à sa disposition pour contrer les velléités séparatistes ou indépendantistes (camarade choisis ton camp !) du Polisario. C'est un fait, asséné avec froideur mais ne provoquant chez votre serviteur aucun sentiment excessif de fierté ou de honte. C’est un fait.
Y a-t-il un lien historique entre le Sahara et le Maroc via des liens d'allégeance datant de Mathusalem ? Oui.
Est-ce léger voire ridicule d'évoquer l'argument de "l'allégeance au Commandeur des Croyants" d'un point de vue européo-centriste ? Ho oui, je vous vois déjà vous moquer.
Cependant, le Maroc, un des pays les plus vieux du monde encore subsistant à l'ère moderne sur, peu ou prou, une zone géographique aux délimitations presque stable, s'est construit comme cela. Le Maroc existait avant la notion très 18e/19e siècle d'état nation européen que la colonisation a tenté d'exporter en Afrique et au Moyen Orient avec le succès qu’on connaît. Ce Maroc, depuis le tout début, depuis les Idrissides (dynastie arabe) au 8e siècle diront certains, ou depuis les Almoravides (dynastie sahraouie !!) au 11e siècle diront d'autres, est, pour simplifier, un groupement de leaders de tribus ou de régions ayant prêté allégeance à un souverain, celui ayant établi sa résidence à Fès, Marrakech, Meknès ou Rabat.
Bon, ça a évidemment et fort heureusement évolué depuis mais la légitimité historique de l'inclusion de Tanger, Marrakech ou Oujda dans le Maroc d'aujourd'hui réside dans cette définition très Moyen âge, désolé. Conséquence logique, si la Monarchie marocaine constitutionnellement garante de l'intégrité territoriale du Royaume lâche le Sahara, elle créerait un dangereux précédent, un incendie pouvant s'étendre dans toutes les régions du Royaume à commencer par le Rif aux velléités indépendantistes calmées mais pas mortes.
Au delà de l'intérêt de la Monarchie, le Maroc officiel a toujours assumé son désaccord avec le sacro-saint principe de l'Organisation de l'Unité Africaine (ancêtre de l'Union Africaine) : la fameuse immuabilité des frontières héritées de la colonisation. Quand le Maroc redevient indépendant en 1956, il recouvre les territoires du Maroc Espagnol au nord et du Protectorat français au centre. En 1960, il arrive à arracher à Franco (merci l'ONU !) le protectorat espagnol au Maroc aujourd’hui revendiqué à demi-mots par le Polisario. Pause : ce protectorat espagnol, reconnu aujourd’hui unanimement par la communauté internationale comme partie du Maroc était situé juste au sud du Protectorat français et administré par l’Espagne dans une même entité territoriale le regroupant avec le « Sahara Espagnol ».
On continue avec l’étape suivante: ledit Sahara Espagnol où, oui, tout Marocain honnête devrait le concéder, le pouvoir marocain s'est exercé avec une efficacité et une continuité intermittentes et souvent discutables avant de tomber dans les mains des Espagnols durant le 19e siècle, donc avant le Traité de Fès établissant les Protectorats et Territoires cités précédemment et définissant le Maroc moderne aux yeux mais surtout « par » les puissances coloniales. Ce fameux Sahara auquel l’Espagne franquiste s’est accroché jusqu’en 1975 a été l’objet d’une « OPA » pacifiste marocaine, la fameuse Marche Verte du 6 novembre (Franco, déjà sur la fin, décède le 20 novembre) qui a « parachevé l’indépendance du Maroc » aux yeux de beaucoup de Marocains et aux yeux de Feu Hassan II qui, conséquence directe, a renforcé son règne jusque là bousculé par des manifestations populaires violentes et, surtout, deux tentatives de coup d’état.
Je ne peux prétendre à l’honnêteté intellectuelle en niant le factuel. Oui, le Pouvoir marocain a emprisonné arbitrairement, a violenté, a torturé à de multiples reprises. Cependant, la violence du Pouvoir marocain n'induit pas la légitimité d'un éventuel Sahara Espagnol indépendant. Parallèlement, la comparaison Palestine / Sahara Espagnol et donc Israël / Maroc de l'auteur me sidère. Il n'y a pas de ségrégation ethnique ou religieuse envers les Sahraouis. Aucun Marocain, civil ou officiel, ne regarde le Sahraoui comme "l’autre". Des familles établies depuis des décennies voire des siècles dans la délimitation "polisarienne" du Maroc revendiquent fièrement leurs origines sahraouies. Au Sahara, le seul critère qui peut vous rendre une cible de violence systémique du Pouvoir est l'intensité de votre critique envers ledit "Pouvoir". Et là, tous les Marocains, Sahraouis compris, sont égaux. Enfin, le parallèle entre drapeau palestinien et celui de la RASD qui est utilisé comme un signe (léger, certes) de la similarité entre les deux peuples révèle surtout l’attachement au mot « Arabe » dans « République Arabe Sahraouie Démocratique ». Ces couleurs représentent les couleurs panarabes issues des quatre « grandes » dynasties ayant régné sur tous les Arabes ou entrepris de le faire (Hachémite, Omeyyade, Abbasside et Fatimide). Pour m’amuser j’ai caché ci-dessous le drapeau de la RASD parmi ceux de pays arabes : Jordanie, Soudan, Palestine, Emirats Arabes Unis et Koweit et je n'ai pas mis de légende.

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Pour conclure, mon but n'est pas de lancer des insultes ou de dénier à quiconque la liberté de son opinion. Cependant, je ne peux m'empêcher de croire que la vision de ces "humanitaires" qui s'entichent de "l'héroïque Polisario" est, au mieux, déséspéremment naïve et, au pire, inconsciemment colonialiste. Le mot est lâché, pardon. Cette vision émane, plus précisément, d'une méconnaissance de l'histoire de cette région, d'un mépris de l'histoire marocaine et du Maroc et du traumatisme induit par son découpage entre France et Espagne, d'une vision nombriliste et européo-centrée de ce qui constitue un peuple, un pays, un état...
Mais bon, il en faut de tout pour faire un monde.