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Billet de blog 17 janvier 2025

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Conversation au miroir

À l’aube de l’intelligence artificielle, les modèles de langage étendu (MLE) redéfinissent le dialogue humain-machine, mais à un coût écologique considérable. Leur infrastructure énergivore génère une empreinte carbone comparable à celle des industries polluantes. Cette révolution numérique soulève un dilemme : comment concilier leur potentiel avec leur impact environnemental croissant ?

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Illustration 1
Riou Calanques © Manuel Joao Ramos

Je me suis regardé dans le miroir et j’ai demandé : « Miroir, miroir, dis-moi, que signifie écrire comme moi ? » Permettez-moi de m’expliquer : « J’ai utilisé le Chat. » La tentation de lui « demander » de penser à ma place est le point de départ de la plus grande pandémie globale que l’humanité ait jamais connue. Et c’est précisément ce que je viens de faire : j’ai tapé dans la barre de commande : « Rédige une chronique pour Mediapart, un peu cryptique, avec une touche d’humour à la fin. Écris en français de France, pas du Québec, dans le style d’un obscur anthropologue nommé Manuel João Ramos. »

Si l’algorithme de ce « modèle de langage étendu » (MLE, l’appellation technique de ce qui nous est vendu comme de « l’intelligence artificielle » à des fins marketing) parvient à reproduire le « style Manuel João Ramos », alors je dois de sincères excuses à mes deux ou trois lecteurs inconscients : le résultat obtenu en quelques secondes laisse à penser que mon écriture est banale et soporifique.

Le texte généré est indéniablement compétent, grammaticalement correct (heureusement !) et l’argumentaire relativement clair bien que sinueux. Je lui ai ensuite « demandé » d’analyser son propre texte : apparemment, mon miroir fantôme a produit un texte dans un « style marqué par une réflexion philosophique, poétique et mystérieuse, empreinte d’un langage profond et riche en symbolisme », développant des idées telles que : « Dans notre quête pour comprendre ce qui est vraiment essentiel, ne risquons-nous pas de perdre tout ce qui compte ? »

En explorant « contradictions et incertitudes » dans une « langue poétique et rythmée », le texte dégage une « musicalité particulière » qui culmine par une touche d’humour ironique. En résumé : « le ton est dense et multifacette, mais une légèreté finale apporte une perspective humoristique à la gravité de la réflexion précédente. »

Si on lui « demande » de produire une version surréaliste de sa propre interprétation, après dix déclinaisons absurdes, on obtient potentiellement une réponse comme : « Le fleuve n’existe pas, le soleil s’est éteint, mais on le sent encore. Le marché vend du silence et des nuages qui tombent vers le haut. La monnaie est faite de temps perdu, et le rire naît de l’absence. Les ombres dansent avec des choses qui n’ont jamais été, tandis que l’abîme se dévore lui-même. Nous rions tous de ce qui n’a jamais eu lieu, cherchant le vide dans une rue qui n’existe plus. Le cycle est la fin d’une ligne qui n’a jamais commencé. »

En lui demandant de continuer en appliquant des principes pataphysiques et une contrainte oulipienne (comme la répétition de voyelles), voici un exemple :

Vent où les ombres s’enlacent,

le rire lent, se répète, chancelle.

Soleil sans écho, sans vie, démesuré,

nuages, nombrils du ciel, s’effacent.

Équation non euclidienne avec répétition de voyelles :

𝑉 + (𝑉2) = (𝑁)1+(𝑁−2)

Où :

𝑉 = Voyelle du vent, ce qui traîne.

𝑁 = Nuage dans un point de courbure excessive.

D’ici cinq ans, il sera probablement impossible de distinguer une écriture humaine d’un texte généré par MLE. Sommes-nous à l’aube d’un apocalyptique effondrement culturel ou du triomphe d’un monde post-humain ? Je n’en ai évidemment aucune idée, et le « Chat » non plus, pour l’instant. Ce que je sais, c’est qu’à chaque fois que j’utilise ce prompt, je consomme environ 0,5 kWh, contre 0,003 kWh pour une recherche simple sur un navigateur.

Une interaction avec le « Chat » génère 0,02 kg de CO2, bien plus qu’une interaction sur un navigateur : 0,002 kg. Si on multiplie par des milliards ces interactions, à mesure que les MLE remplacent les navigateurs, l’empreinte environnementale des infrastructures numériques rivalise déjà avec celle des voitures thermiques : dix à vingt interactions suffisent à produire autant de CO2 qu’un kilomètre en voiture à essence (0,12 kg).

En France, le gouvernement vante le développement du pays comme un « hub d’interconnexion global de données », une position stratégique au cœur de l’Europe. Ce discours passe pourtant sous silence l’impact environnemental de ces infrastructures. Les nouveaux centres de données, avec leur consommation d’énergie colossale, menacent l’équilibre énergétique national, mobilisant des ressources prévues pour d’autres usages. Et pour pallier ce gouffre énergétique, on envisage de tapisser toutes les terres agricoles de panneaux solaires, au détriment de la sécurité et la souveraineté alimentaires.

Compte tenu du fait que le surréalisme écologique est particulièrement inventif dans la zone protégée du Parc National des Calanques, qui cohabite avec les boues rouges industrielles, les rejets d’eaux non traitées et l’incessant trafic maritime, je ne serais pas surpris qu’un jour, l’emblématique et hyper-touristique île de Riou soit choisie pour l’installation d’une centrale nucléaire destinée à alimenter un grand centre de données reliant l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.

Nous n'avons qu'à nous regarder dans le miroir : notre reflet est monstrueux.

(Note : ce texte n’a pas été corrigé par ChatGPT)

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