Ma guerre contre la guerre au terrorisme
(2006)
un livre de Terry Jones. Oui, lui-même : Monty Python's Flying Circus.
Très bonne idée de cadeau de fin d'année.
...
Extraits ...
Il y a quelque chose qui m’inquiète particulièrement, dans la « guerre au terrorisme » du président Bush : c’est la grammaire. Comment livre-t-on une guerre contre un substantif abstrait ? C’est un peu comme de bombarder le « meurtre ».
Imaginez un peu que Bush ait dit : « Nous allons bombarder le “meurtre” partout où il rôde. Nous allons pourchasser les meurtriers et les candidats au meurtre partout où ils se cachent et nous allons les traduire en justice. Nous allons aussi bombarder tous les pays qui abritent des assassins avérés ou des personnes susceptibles de le devenir. »
Un autre truc me tracasse au sujet de la « guerre au terrorisme » de Bush et Blair : quand et comment sauront-ils qu’ils ont gagné ?
Dans la plupart des guerres, on peut prétendre avoir gagné quand l’autre camp est exterminé, ou quand il capitule. Mais comment le « terrorisme » capitulerait-il ? C’est bien connu, dans les milieux linguistiques, qu’il n’est pas simple du tout, pour un substantif abstrait, de se rendre. D’ailleurs, c’est très difficile pour les substantifs abstraits d’accomplir quoi que ce soit de leur propre gré - et difficile, même pour les plus chevronnés des linguistes, de négocier avec eux. Il est ardu de trouver leurs caches, et vain de chercher à leur couper les vivres ou à intercepter leurs communications ; toute tentative pour les amener à capituler est vouée à l’échec. Qu’on le veuille ou non, les substantifs abstraits ne fonctionnent pas comme ça. J’ai bien peur que l’amère vérité sémantique soit que l’on ne peut gagner contre ce genre de mots - à moins, j’imagine, de les faire expulser du dictionnaire. Ça leur servirait de leçon !
Un voisin, professeur de sémiotique ontologique (actuellement occupé à chercher ce que son titre signifie) m’informe que la Seconde Guerre mondiale a été livrée contre un substantif abstrait : le « fascisme » - vous vous souvenez ? Mais je lui fais remarquer que ce substantif abstrait se cachait sournoisement derrière les très réels dirigeants de l’Allemagne nazie. En 1945, il nous suffisait de vaincre l’Allemagne nazie pour gagner. Dans la « guerre au terrorisme » du président Bush, il n’existe pas de solution de ce type. Il a beau claironner, tel le capitaine Haddock secouant un palmier : « Nous allons détruire le terrorisme. Et ne vous faites pas de souci, nous gagnerons ! », c’est à peu près aussi sensé que de dire : « Nous anéantirons l’insolence », ou : « Nous allons tourner l’ironie en ridicule. »
En fait, le mot même de « terrorisme » semble avoir changé de sens ces dernières années. Tout au long de l’histoire, le terrorisme a été un outil privilégié des gouvernements - on pense (ou peut-être pas) à la chevauchée d’Édouard III à travers la Normandie en 1359. Mais, dans son acception courante, le « terrorisme » ne peut être le fait d’un pays. Quand les États-Unis ont bombardé une usine pharmaceutique au Soudan en 1998, sur la foi d’un tuyau percé de la CIA prétendant qu’il s’agissait d’une fabrique d’armes chimiques, ce n’était pas un acte de terrorisme. C’était juste complètement stupide. La pénurie de médicaments qui s’est ensuivie a probablement tué des milliers de personnes, mais ce n’était pas un « acte de terrorisme » selon la signification courante du mot, parce que c’est le gouvernement américain en tant que tel qui l’a commis. En plus, il s’est excusé. Ceci est très important. Aucun terroriste qui se respecte ne présente jamais ses excuses. C’est du reste l’un des rares critères qui permettent de distinguer les gouvernements légitimes des terroristes.
Il était donc vraiment malaisé pour le président Bush de savoir qui bombarder après les attentats du World Trade Center. Si la responsabilité en avait incombé à un pays comme les Bermudes ou la Nouvelle-Zélande, alors ça aurait été simple : Bush aurait pu bombarder les Bahamas et l’Australie. Que les auteurs d’une catastrophe si abominable ne fussent pas une nation, voilà qui devait être vraiment irritant. Qui plus est, les terroristes - à la différence d’un pays - ne se tiennent pas tranquilles dans leur coin, à attendre qu’on vienne les bombarder. Ils ont cette détestable habitude de bouger, et parfois même de sauter les frontières. Décidément, tout cela n’est pas très américain - euh, sauf en ce qui concerne leur entraînement...
Pour couronner le tout, on n’a pas la moindre idée de leur identité. Enfin, je présume que la CIA et le FBI n’avaient aucune idée de qui étaient les terroristes du World Trade Center - sinon ils auraient commencé par les empêcher de monter dans les avions. C’est le propre des terroristes de rester anonymes tant qu’ils n’ont pas personnellement commis un acte de terrorisme. Jusque-là, il n’y a que des gens ordinaires, comme ce brave Tim McVeigh qui habite la porte à côté, ou ce sympathique M. Atta qui prend des cours de pilotage.
Bon, pourrait-on objecter, il y a ce pas-si-gentil-que-ça (quoique assez bon en propagande) Oussama Ben Laden : nous savons qu’il a commis des actes de terrorisme, et qu’il a l’intention de recommencer. Très bien. Au moins, nous connaissons un terroriste. Mais tuons-le et nous n’aurons toujours pas tué le terrorisme. En fait, nous ne lui aurons pas infligé le moindre mal. C’est l’ennui quand on déclare la guerre au terrorisme. En tant que substantif abstrait, il ne peut se résumer à des individus ou à des organisations. MM. Bush et Blair sont probablement les premiers chefs d’État à embarquer leurs pays dans une guerre sans savoir qui est l’ennemi.
( ... )
Et que signifie : « Nous ne devons pas céder au chantage des terroristes » ? C’est pourtant ce que nous avons fait, dès l’instant où les premières bombes sont tombées en Afghanistan. Les instigateurs du 11 Septembre, morts de rire, ont dû faire sauter les bouchons de leur champagne sans alcool ! Ils avaient réussi : les États-Unis attaquaient, une fois encore, un pays pauvre dont ils ignoraient jusqu’alors à peu près tout, soulevant dans tout le monde arabe une authentique vague de réactions écœurées, garantie de soutien aux fondamentalistes islamiques.
Les mots ont perdu de leur valeur, certains d’entre eux ont changé de sens et les linguistes, impuissants, en sont réduits à hocher la tête en se demandant si tout ça n’est pas, au bout du compte, un énorme gâchis grammatical. La première victime de la guerre, c’est la grammaire.
...
Ma guerre contre la guerre au terrorisme (2006), un livre de Terry Jones