Marc Bablet
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Billet de blog 17 octobre 2018

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Education prioritaire : le rapport de la cour des comptes (1)

Dans ce billet et les deux suivants, je vais commenter ce rapport qui me semble important compte tenu de la précision de ses analyses et d’une méthode de travail sérieuse même si elle est incomplète. Ici on fera, en réaction à l’écho du rapport dans la presse, de premières remarques globales, ensuite on discutera les analyses conduites, enfin les orientations proposées.

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Quand un rapport comme celui là paraît, il est toujours intéressant de voir les écarts qui sont patents entre ce qu’en restitue la presse - on sait que les journalistes même spécialisés peinent à lire tout ce qu’ils reçoivent- et ce que dit le rapport étudié dans son détail. Si l’on en croit la presse, à l’exception notable du café pédagogique, qui propose une véritable lecture critique en complexité, on voit assez largement des titrages qui simplifient à l’excès et des commentaires qui le plus souvent ne donnent pas de recul historique au lecteur faute d’une connaissance approfondie du sujet de l’éducation prioritaire. Il suffit d’utiliser un bon moteur de recherche pour voir ce que je dis. Je préfère ne pas cibler tel ou tel car on peut comprendre que chacun ait ses contraintes, même si on peut le regretter pour l’éducation prioritaire qui mérite mieux.

On ne peut que se réjouir que la cour des comptes établisse un rapport approfondi sur l’éducation prioritaire et la considère comme une politique publique indispensable qu’il y a lieu de conforter et d’améliorer encore. Elle s’inscrit ainsi dans le fil des rapports qui ont ponctué cette politique depuis 1981. Comme les précédents rapports (rapports des inspections générales de 1992, 1997, 2006 et rapport de la MAP de 2014) elle analyse les données disponibles, construit des informations supplémentaires et propose des orientations. Les finalités du rapport sont précisées page 12 : «établir un bilan d’ensemble du rapport entre le coût et l’efficacité d’une politique publique ancienne aux effets modestes, identifier les voies et moyens susceptibles d’en améliorer le rendement, au moment où les pouvoirs publics ont décidé de la relancer ». Les données rassemblées font le tour de la question d’une manière souvent originale en prenant en compte des thèmes qui n’ont pas toujours été soulignés précédemment mais qu’il est bien utile de mettre en exergue : c’est notamment le cas du remplacement en éducation prioritaire dont il est reconnu qu’il s’y fait moins bien qu’ailleurs et que c’est là une des raisons des écarts de résultats observés car ce mal remplacement atténue l’effet des mesures, positives par ailleurs, comme la réduction du nombre d’élèves par classe ou la politique du maître supplémentaire. Si le remplacement était de meilleure qualité, les résultats seraient meilleurs. Voici typiquement un point qui n’est malheureusement pas remarqué par la presse alors que ce facteur explicatif est très intéressant.

La méthode suivie par la cour pour établir son rapport n’est pas sans rappeler celle de la MAP en 2013-2014 pour élaborer la refondation avec un comité de suivi, des visites de terrain et l’association d’experts aux travaux conduits. Cela est particulièrement appréciable et permet que le propos tenu soit, bien davantage que dans d’autres rapports, en phase avec les réalités et avec les débats professionnels que l’on peut raisonnablement ouvrir sur le sujet. C’est sans doute ce qui permet que les évolutions proposées puissent faire l’objet d’une discussion rationnelle même si elles ne manqueront pas d’être exploitées dans le sens que le ministre a décidé de donner à son action sans attendre ce rapport ni celui de Pierre Mathiot et Ariane Azéma.

Il est donc très important de lire le rapport dans son détail car les titres et intertitres ne sont pas toujours conformes à la prudence des propos développés dans le corps du texte et on voit que, comme souvent hélas, le retentissement médiatique se contente des messages les plus simples. Ainsi dès l’introduction la formule de l’intertitre page 10 « Des diagnostics réservés sur les effets de l’éducation prioritaire » est contrebalancée par un propos page 12 qui modère la responsabilité de la politique dans les résultats observés : « Si diverses raisons peuvent expliquer la modestie de ces résultats, le poids des facteurs exogènes susceptibles de contrarier les effets positifs de la politique publique ne doit pas être négligé. La dégradation de l’environnement économique et social des territoires en difficulté en fait partie comme l’ont mis en évidence les indicateurs de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) ainsi que les précédentes publications de la Cour. » Le rapport montre ainsi volontiers qu’il est difficile d’évaluer l’éducation prioritaire tant il est désormais difficile de trouver des établissements ressemblant à ceux de l’EP qui ne seraient pas pris en compte dans cette politique (dans le langage des statisticiens, il n’y a pas de contrefactuel possible). C’est notamment vrai pour les REP+. Le rapport précise également page 14 que « l’inertie propre au système éducatif interdit de tirer des conclusions définitives sur les effets de dispositifs avant plusieurs années ». Ce qui est une manière de dire que le rapport ne porte pas sur la refondation de l’éducation prioritaire et ses orientations mais principalement sur la période antérieure ce que les commentateurs ne remarquent pas.

Ce rapport reconnaît, en outre, dès l’introduction, une chose importante qui n’a pas toujours été clairement perçue par les observateurs de l’éducation prioritaire : que la concentration dans un même territoire d’élèves de milieux populaires est un facteur aggravant des inégalités qui justifie à lui seul le maintien d’une politique spécifique : ce n’est pas la présence d’élèves en difficulté mais leur concentration dans les mêmes écoles et collèges qui justifie la politique qui est centrée sur ces écoles et collèges là. Il valide en outre le principe d’une prise en compte différenciée et graduée des territoires en fonction de cette concentration de difficultés sociales et scolaires, même s’il propose de modifier les voies et moyens de la mettre en œuvre en plaidant pour une allocation de moyens plus progressive. 

On peut craindre que cette  politique d’allocation plus progressive qui est de nature à convenir au ministre actuel, résume la politique d’éducation prioritaire à une question d’allocation de moyens et que d’autre part elle ne permette pas de fortement soutenir les écoles et établissements les plus marqués par la concentration des situations sociales les plus défavorables. On peut craindre aussi qu’elle réduise le pilotage fort dont peut bénéficier une liste bien identifiée et délimitée de réseaux (depuis juin 2017, ce pilotage national fort reconnu par la cour des comptes s'est bien amenuisé pour des raisons exclusivement politiques). Cette question est liée à celle de la stigmatisation par le label « éducation prioritaire » dont la cour pense qu’il contribue à l’évitement de certains enfants. Cela est d’autant moins convaincant qu’il apparaît que les parents ne savent pas, le plus souvent, que l’école ou établissement de leurs enfants est en éducation prioritaire (comme cela apparaît page 9 dans le sondage proposé par la cour alors que les parents répondants sont probablement des parents plus favorisés que la moyenne des parents des écoles et collèges concernés) et qu’il est clair que ce sont les quartiers qui sont considérés comme stigmatisés plus que les établissements scolaires qui y sont implantés même s’il peut arriver que certaines écoles ou certains établissements connaissent des phénomènes de réputation spécifiques. C'est en tout cas l'avis des enseignants dans le même sondage page 26 que ce n'est pas le classement en éducation prioritaire qui explique le manque d'attractivité mais le fait que le quartier est défavorisé et le manque de mixité sociale.

Une fois que l’on s’est réjoui d’avancées intéressantes pour la politique éducative conduite dans les quartiers populaires et de la reconnaissance appuyée au travail de la refondation de 2014 qui est plusieurs fois citée positivement, on ne peut manquer de s’appuyer sur l’ensemble de la réflexion proposée pour aller plus avant dans l’analyse de la situation actuelle de l’éducation prioritaire et dans les propositions pour son amélioration.

On peut discuter ce rapport au regard des analyses conduites, puis au regard des propositions qu’il établit pour « en améliorer le rendement » (on ne peut pas ne pas noter cette formule « entrepreneuriale »). L’ensemble n’est, comme tout texte éducatif, pas dénué de choix idéologiques discutables qui ne disent pas toujours leur nom et qu’il est utile de débusquer. Certains peuvent notamment être proposés comme des allant de soi, sous un aspect descriptif parfois ambigu, ainsi : page 10 « Elle a été construite et pilotée au niveau national, pour s’appliquer uniformément sur l’ensemble du territoire, même si sa mise en œuvre déconcentrée a atténué en partie les effets de ce centralisme très poussé, notamment en matière de gestion des personnels.» La formulation peut laisser entendre que le « centralisme très poussé » serait une mauvaise chose et que la déconcentration est préférable (l’idée que l’on applique une politique « uniformément » est connotée négativement tant nous vivons un temps des adaptations locales et de l’individualisation comme allant de soi). C’est un a priori pour le moins discutable car on ne voit pas ce qui garantit que la déconcentration serait plus favorable aux plus défavorisés. Le rapport des inspections générales de 2016 sur le pilotage dit d’ailleurs le contraire en appelant de ses vœux le renforcement du pilotage aux différents niveaux pour véritablement atteindre les objectifs posés. Mais cette formulation peut aussi bien laisser entendre le contraire : et dire qu’il est dommage que le pilotage central ait été entravé par la gestion différenciée des recteurs.  Si on peut être favorable à une déconcentration qui responsabilise les acteurs locaux, on peut discuter une déconcentration qui leur laisserait des marges de manœuvre telles qu’elles leur permettraient de minimiser les investissements pour les plus défavorisés. Il nous semble que c’est bien le rôle de L’État central de contribuer par un pilotage fort à la réduction des inégalités car les égoïsmes et les rapports de force locaux n’y sont pas favorables le plus souvent. En outre, les territoires de la République sont inégaux et appellent des redistributions que seul L’État peut réaliser de manière satisfaisante (on peut en particulier penser là aux efforts importants déjà conduits et à conduire encore pour faire de la Guyane et de Mayotte des territoires à part entière de la République).

On peut aussi discuter le fait que ce rapport ne donne pas de place à la question pédagogique, à la question des pratiques professionnelles enseignantes. On comprend que ce ne soit pas le métier de la cour mais peut-on raisonnablement parler d’éducation sans parler de pratiques professionnelles répondant aux besoins de groupes d’élèves souvent homogènes défavorisés que l’on trouve majoritairement dans  l’éducation prioritaire puisque la mixité sociale et scolaire y manque le plus souvent. L’hommage au référentiel de l’éducation prioritaire et l’appel au renforcement de la formation des enseignants laisse penser néanmoins que les auteurs ont eu à cœur de prendre en compte ce levier central sans pour autant prétendre officiellement le mentionner pour une question de délimitation de compétences. Quel dommage néanmoins que cette question dont on sait qu’elle est prégnante pour les élèves de milieux populaires ne soit pas travaillée. On aurait envie de renvoyer tous ceux qui n’en comprennent pas l’importance primordiale à une lecture qui leur permettra de le comprendre : « le rapport à l’école des élèves de milieux populaires » de Jacques Bernardin.

La cour décide, pour des raisons parfaitement explicables de difficulté à trouver des données, de laisser de coté les apports des collectivités territoriales alors qu’il est très probable que l’engagement de celles-ci en soutien aux écoles et collèges et aux personnels enseignants, mais aussi par leur investissement dans la question de la prise en charge péri scolaire des enfants, a un effet non négligeable sur les différences que l’on peut observer dans les résultats de l’éducation prioritaire selon les communes. Mais on ne peut pas ne pas parler également de l’importance de la qualité des locaux : l’état des écoles des quartiers nord de Marseille a par exemple été rappelé par les enseignants comme franchement défavorable à un enseignement de qualité et le rapport d’Olivier Klein sur le bâti scolaire rappelle l’importance de cette perspective.

Enfin il convient de rappeler que toutes les études montrent qu’il y a une grande hétérogénéité de résultats au sein des REP+ comme au sein des REP comme au sein des établissements hors EP même si la relation entre résultats scolaires et situation sociale reste prégnante. Il est particulièrement intéressant de comprendre comment cela marche là où cela marche en milieu populaire. C’est un point qui mériterait d’être davantage travaillé, comme cela l’avait été avec le rapport des inspections générales de 1997 dit « Moisan-Simon » car cette méthode ne se contente pas de dire d’un dispositif « ça marche » ou « ça ne marche pas ». Elle permet de montrer quelles sont les différentes composantes pédagogiques, scolaires et non scolaires de la réussite scolaire en milieu populaire. C’est aussi ce que montre le rapport des inspections générales sur ce qu’apporte la connaissance de la valeur ajoutée des lycées en réussite. En se privant d’une analyse circonstanciée des réussites, on ne se met pas assez en situation d’expliquer comment vraiment réussir la lutte contre les déterminismes sociaux. Or, des réussites il y en a et de belles pour lesquelles on peut remercier les professionnels de l’enseignement engagés pour ces « territoires vivants de la République ».

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