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Historien de la musique - Producteur à Radio France (1985-2014) - Conférencier, auteur et dramaturge.

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Billet de blog 10 juin 2024

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La triple victoire de l’extrême droite

40% de suffrages exprimés pour les extrêmes droites, reflet de trois victoires.

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Le coup de tonnerre des élections européennes est inouï.

- Ce sont 48% des électeurs qui se désintéressent du scrutin. Donc de nos institutions démocratiques.

- Ce sont 40% des votants qui ont choisi un bulletin d’extrême droite.

- C’est un parti présidentiel qui s’est totalement effondré. Comme le PS aux européennes de 2014, dans les mêmes proportions. Sauf que le Président d’alors n’avait rien fait - ou plutôt, si : il avait continué dans sa politique tournant le dos à la gauche et entrainant le pays dans un cycle infernal dont le vote d’hier est héritier. Hollande avait choisi la loi travail en force, la répression autoritaire et violente des manifestations et le projet de déchéance de nationalité.

Face à sa déroute, le camp d’Emmanuel Macron a choisi le chaos. En 1969, après un référendum qui lui était défavorable, Charles de Gaulle avait démissionné. Macron ne choisit pas de partir suite à son échec total mais préfère congédier l’Assemblée Nationale. Avec quelles conséquences ?

Ainsi, les extrêmes droites ont gagné une triple victoire.

- Ce sont les résultats qui le crient : 31% pour la liste du gendre Le Pen, plus 5,5% pour la nièce Le Pen, plus les résultats des autres petites listes d’extrême droite = 40%. En France, 40% des votants se retrouvent dans le camp des nostalgiques de Pétain, qui préparent depuis 80 ans leur revanche politique de façon méthodique.

- Marine Le Pen avait annoncé qu’elle demanderait la dissolution en cas de réussite cinglante de son parti. Macron l’a fait en devançant l’intervention prévue en ce sens. Prise de court ? Non : exaucée.

- La troisième victoire se lit déjà dans ce que seront les résultats des élections législatives : le RN en force, voire (ce qui est le plus probable) avec une majorité absolue.

Le monde n’aime pas les Cassandre, ce n’est pas nouveau. Mais regardons en face la situation.

- Les macronistes viennent d’exploser en vol. Macron avait dit, au soir de sa réélection « votre vote m’engage » (sans les votes des gauches, il n’aurait pas été élu) pour immédiatement se lancer dans une course effrénée à l’extrême droitisation de son camp. Après leur politique anti-écologique face au bouleversement climatique, après leur contre-réforme des retraites, leur attaques incessantes et ravageuses contre tous les services publics, la loi immigration de Darmanin, la chasse aux chômeurs et aux pauvres, la criminalisation des syndicalistes, la reprise des thèmes et mots même de l’extrême droite (éco-terroriste, islamo-gauchiste, etc…), toutes les digues sont ouvertes. Le tapis rouge est déroulé à une extrême droite qui se voit offrir la victoire du 7 juillet sur un plateau d’argent par le Président des riches.

- Les LR sont en phase avancée de décomposition. Fracturés, désorientés par une course à l’extrême droite qui est devenue leur raison d’être. 

- Les écologistes sont sonnés, réduits à l’impuissance politique. Dos au mur face à ces accusations d’une prétendue « écologie punitive » ressassée en boucle par l’extrême droite, LR et macronistes.

- Les communistes sont réduits, depuis des années, à l’état de groupuscule, au même niveau que le parti animaliste et les très droitiers chasseurs.

- Les socialistes sont fracturés, avec comme seule ambition affichée de faire sans LFI. Oubliant la réalité des scores de la Présidentielle (élection où la participation est la plus forte et donc représentative), reniant leur engagement et la valeur de leur signature au bas d’un programme de législature, celui de la NUPES.

- Ces trois partis peuvent crier « union », mais lorsqu’en 2021 LFI leur avait proposé de travailler à un nouveau Front Populaire, leur réponse avait été le mépris : déjà, c’était « tout sauf LFI ». Ce sont eux qui, PCF en tête, suivis d’EELV et du PS, ont choisi, bien avant les émeutes de juin dernier ou le 7 octobre et ses conséquences terrifiantes, de claquer la porte de la NUPES - comme si leur engagement, leur parole donnée en 2022 n’avaient aucune valeur.

Voilà le tableau. Et maintenant, « Union ». Mais sur quelle base ? Cette base existe et justement se nomme programme de la NUPES. En trois semaines, d’ici le premier tour de ces élections précipitées, aucune possibilité de penser une autre voie. C’est aussi le piège macroniste : parier sur la désunion afin d’engranger derrière lui, dans le cadre d’un « arc républicain » d’où il exclut le RN et… LFI. Le piège politique est clairement identifié. 

Il ne peut y avoir d’union politique sans programme politique clair. C’est ainsi que ce sont construits les 22% de LFI aux Présidentielles de 2022. C’est ainsi qu’il faudrait agir, ensemble. Mais les échéances le permettent-elles ? Car les listes de candidats doivent être déposées en Préfecture pour dimanche soir !

Et qu’on ne vienne pas objecter que telle personnalité politique devrait se retirer pour espérer gagner. Mélenchon non grata ? Ce n’est pas le sujet. Il s’agit de programme, clair - d’urgence, pas de personnalité.

Soyons lucides : Macron ne joue pas avec le feu. Macron est ce feu qu’il met aux poudres accumulées par sa politique depuis 2017. Il a ouvert les vannes et son vrai pari, suicidaire pour la République, est bien de composer le 7 juillet à 20 heures avec une majorité d’extrême droite.

Car c’est bien cela la véritable perspective qui se dessine : le scrutin à deux tours ne fait que donner la prime au parti qui a le vent en poupe. Et nous savons - comme Macron - lequel se sent pousser des ailes et se trouve dans une réelle dynamique. Imagine-t-on ici les électeurs macronistes voter, au 2è tour, pour des députés insoumis, là des électeurs insoumis voter pour des macronistes ? Sans parler des autres cas de figure internes aux gauches. 

Macron fait ce pari fou du chaos républicain : une cohabitation avec une majorité RN pendant les années qui nous séparent des présidentielles 2027. Avec l’idée que les français comprendront alors que « le RN, c’est pas bien ». L’Histoire nous oblige pourtant : en 1933, le centre et les droites allemandes disaient que les nazis feraient vite la preuve de leur incompétence. On connait la suite…

L’un des enjeux majeurs du scrutin sera la question de la guerre en Ukraine et de la militarisation de l’économie française. Macron et Glucksmann sont à fond pour, Glucksmann ayant d’ailleurs prôné cette option guerrière bien avant Macron lui-même, jusqu’à en faire le premier point de sa profession de foi pour ces élections européennes. Le RN est contre et au moment du choix, continuera à engranger sur cette base, clivante au possible.

De fait, le but est clair pour les classes dirigeantes : plutôt le RN qu’une révolution citoyenne et un vrai changement radical de politique sociale, écologique, démocratique. Avec l’aide des médias, ils ont installé l’immigré et le pauvre en bouc-émissaire. Bolloré et son empire autour de Cnews en sont le symbole. La guerre idéologique semble gagnée. A nous de déjouer cette machine infernale dans laquelle le macronisme, depuis ses débuts, nous a enfermé. 

Trop tard ? Résistons maintenant, parlons, argumentons. Alors oui, votons les 30 juin et 7 juillet. Mais sur des bases claires, à défaut de quoi le RN fascisant sera assurément majoritaire. Ce sera sa troisième victoire, pour le pire.

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