La Calisto de Fransesco Cavalli - Livret de Giovanni Faustini, Venise, 1651. (Théâtre de l’Archevéché d’Aix en Provence - Le 1é juillet 2025)

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La Calisto est la troisième œuvre de Fransesco Cavalli présentée au Théâtre de l’Archevêché depuis 2013. Ce quinzième opéra du vénitien d’adoption (il en composa plus de trente) est un bijou qui ne demande qu’à briller de tous ses feux, ce que réussit avec maestria la luxueuse production aixoise dont les choix sont aussi originaux que convaincants.
Mêlant drame et bouffonnerie proche de la comedia dell’arte, l’histoire est faite de travestissements, quiproquos, baisers volés, tromperies, amours contrariés et violences. Jupiter ayant décidé de venir ensemencer la terre, le voici en arrêt devant deux yeux et une silhouette. Calisto est sa proie. Pour l’obtenir, il se métamorphose en Diane - sa fille - et invite scéance tenante Calisto à lui rendre hommage en des embrassades torrides. La nymphe trompée et séduite se change en femme ardente et lorsqu’elle croise à nouveau Diane, la vraie, elle se jette à son cou dans un irrépressible élan saphique.

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La déesse est choquée, outrée et la chasse. Calisto est totalement désemparée - on le serait à moins. Quant à Endymion, amoureux de Diane, il se désespère de la froideur supposée de celle-ci - avant de filer avec elle un parfait amour caché. Junon, fidèle à sa jalousie dévorante, a eu vent des frasques de son mari. Et lorsque Calisto se confie à elle pour lui demander d’intercéder auprès de Diane en lui racontant son aventure, Junon comprend qu’elle est face à sa rivale. Sa vengeance est terrible ; sur la scène, dans un moment particulièrement dramatique, Calisto est violentée et tondue. Il n’est que Jupiter, sous ses véritables atours, pour enlever Calisto à la malédiction de sa femme. Et voici la belle transformée en constellation céleste.

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Diane et Calisto

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Junon et Calisto humiliée
Trente ans après la miraculeuse production d'Herbert Wernicke et René Jacobs (heureusement disponible en DVD), Jetske Mijnssen, la metteuse en scène néerlandaise, a choisi de transposer le monde baroque néo-platonicien des complices Faustini et Cavalli, qui s’inspiraient des Les Métamorphoses Ovide, dans l’univers des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Et cette interprétation s’avère cohérente et fonctionne sans forçage… jusqu’à l’image finale. Pour Jetske Mijnssen, Jupiter, c’est Valmont, Junon c’est Merteuil et la Calisto, une Tourvel qui se découvre Cécile de Volanges.

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Les costumes pastels de Hannah Clark sont de toute beauté. Les danses de Dustin Klein chorégraphiées avec esprit et beaucoup d’humour. La scénographie de Julia Katharina Berndt et son décor brun lambrissé sont d’une rare élégance. Bien qu’il soit unique, un carrousel en son centre, particulièrement bien utilisé, permet de multiplier les scènettes et les atmosphères. Le Prologue donne le ton, y reconstituant une pompe funèbre versaillaise où un instant, Junon transforme la scène de déploration en imitation de Mater dolorosa. Le majestueux cercueil noir n’est autre que celui de Jupiter comme le spectateur le découvre après les trois grandes heures de l’opéra, lorsqu’il est tué par Calisto.

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Il s’agit là d’un forçage assumé et Jetske Mijnssen s’en explique dans le programme : « J’ai souvent l’envie de doter mes personnages d’une fin différente, de leur rendre leur propre voix, de les rendre maîtres de leur destin. » Au risque donc de bousculer le message philosophique d’une œuvre en se l’appropriant. Car ce spectacle fait basculer une morale néo-platonicienne regardant vers un infini dépassant la condition humaine (Calisto étant transfigurée en constellation de la Grande Ourse) en une leçon de féminisme vengeur d’un libertin, un Empio punito pour reprendre le titre du premier Don Giovanni de l’histoire, celui qu’Alessandro Melani créa en 1669. Après tout, Jupiter est un prédateur sexuel. Comme Semele et tant d’autres, Calisto fit les frais de ce Don Juan fier de son machisme. Pourtant, ce forçage-là pourrait se légitimer par le livret lui-même puisque Jupiter ne cesse de regretter, avec son fils et complice Mercure, d’avoir accordé à ses « créatures », le libre arbitre.
Reste un autre problème par rapport au livret d’origine. Car cette transposition d’un siècle baroque à celui des Lumières aplanit totalement les trois niveaux « sociaux » existant entre les personnages. Ici, par l’accoutrement aristocratique recherché, rien ne différencie plus les quatre dieux des personnages humains (Calisto, Lymphée) et des personnages frustres (Pan, le satyre, Sylvain). Or ces mélanges sont à l’origine d’un burlesque qui n’est plus très lisible dans cette mise en scène.
Un autre questionnement vient des choix musicaux. Certes, la direction de Sébastien Daucé mettait en valeur une rare variété de climats avec un vrai sens dramatique. Il donnait une cohérence d’ensemble à un spectacle dans lequel il avait choisi d’intégrer de multiples musiques extraites d’autres œuvres de Cavalli ainsi que des partitions de Farina, Legrenzi, Marini, Rossi ou Valentini, notamment en remplacement des ballets manquants. Mais de nombreuses coupures avaient été faites dans la partition d’origine, particulièrement celles concernant le rôle de Diane. Pourtant, la plus grande réserve vient du choix d’un instrumentarium luxuriant. Le lieu imposa au chef un orchestre fourni de 33 musiciens là où il y en avait 6 à la création. Cela donnait parfois le sentiment d’un orchestre baroque wagnérisé, bien que les musiciens de l’Ensemble Correspondance se révèlent excellents de bout en bout, le moment où sur scène apparaissait deux violons et un théorbe pour accompagner l’air comique d’Endymion était emblématique. On attendait la subtilité de l’intime alors que l’orchestre au grand complet venait rompre immédiatement cette option. Quel dommage !

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Pourtant Sébastien Daucé faisait clairement ressentir à quel point cet opéra est à la charnière du monde du parlar cantando et de celui du bel canto en gestation, soutenu par un plateau vocal de premier ordre. Le premier air de Calisto en était la marque dès le début du spectacle avec l’apparition enchanteresse de Lauranne Oliva, au timbre pur, à la voix ductile, à la présence parfois fragile voulue par la mise en scène. Son interprétation fut un exemple de délicatesse vocale dans une ligne de chant rayonnante ou dramatique.
L’autre moment phare de la soirée fut le grand air de Junon après la terrible humiliation de Calisto. La mezzo Anna Bonitatibus, dans son évocation de la femme blessée, y distilla un moment mélancolique d’une poésie rare alors que sa voix passait de l’imprécation au murmure, sur le souffle. Magique.
Jupiter avait quant à lui plusieurs cordes à son arc par la voix d’ Alex Rosen. Basse profonde et sonore, d’une forte présence scénique, le choix de l’avoir déguisé en Diane le faisait passer d’un registre à l’autre, de la majesté à la bouffonerie, de la voix de poitrine à la voix de tête. Inénarrable !
La Diane de Giuseppina Bridelli passait de l’incompréhension offusquée lors des assauts de Calisto à la délicatesse amoureuse dans ses échanges avec Endymion. Sa grâce la mettait légèrement en retrait face aux puissantes personnalités des autres protagonistes, à commencer par son amoureux, rôle que le contre-ténor rayonnant de Paul-Antoine Bénos-Djian*, Endymion touchant, drôle, pathétique à la voix d’une pure beauté solaire.

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Endymion et Diane
Chaque personnage avait la fluidité d’un italien parfait. L’autre contre-ténor de la soirée,Théo Imart, à la voix rayonnante, campait un Satyre alerte, au timbre très différent, légèrement pincé. Dans le rôle travesti de Lymphée, le ténor Zachary Wilder rivalisait de drôlerie et de touchante tendresse dans sa recherche désespéré d’un époux. Autre ténor, le Pan de David Portillo est pensé agressif plus que comique alors que le Mercure du baryton Dominic Sedgwick est un délicat complice du dieu des dieu, quand la basse José Coca Loza prête à Sylvain un timbre profond et noir.

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Il est clair qu’une unité se dégage des trois opéras présentés cette année au Festival d’Aix : la transposition systématique de l’action tout comme le mécanisme du flashback ainsi que l’insistance sur des questionnements très contemporains. Alors se profile toujours cette question en forme de critique pernicieuse : traduttore, traditor ? A quoi répond le « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse… » Avec La Calisto, elle était somptueuse.

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Lauranne Oliva, Calisto - Alex Rosen*, Jupiter - Giuseppina Bridelli, Diane
Paul-Antoine Bénos-Djian*, Endymion - Anna Bonitatibus, Junon, l’Éternité
Zachary Wilder*, Lymphée - David Portillo, La Nature, Pan, Furie
Dominic Sedgwick, Mercure - Théo Imart*, le Destin, Satyre, une Furie
José Coca Loza, Sylvain, une Furie - Fanny Estiot, Daniel Lawless, serviteurs
Ensemble Correspondances - Sébastien Daucé, direction
Jetske Mijnssen, mise en scène - Julia Katharina Berndt, scénographie
Hannah Clark, costumes - Matthew Richardson, lumières
Dustin Klein, chorégraphie - Kathrin Brunner, dramaturgie
Floriana Pezzolo, répétitrice de langue

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