Marcel n’est plus. La nouvelle m’attriste profondément. Il avait 91 ans. Je ne l’avais pas revu depuis quelques années déjà, après un déjeuner chez lui.
C'était un musicologue cultivé, très cultivé, passionné, attentif aux autres, précis dans ses mots au micro comme à l’écrit. Avec un humour ravageur et une voix de radio, avec son rythme particulier, qui des années 70 aux années 90, apporta tant de connaissances aux auditeurs de France Musique.
Chez Marcel, il y avait des livres, beaucoup, mais pas seulement sur la musique. De la littérature, des livres d’art partout, dans toutes ses facettes - il a d’ailleurs écrit de passionnants ouvrages sur Paul Klee ou Michel-Ange. Et il y avait des objets venus du monde entier, particulièrement d’Afrique.

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C’est d’abord par ses livres indispensables, au style si personnel et affuté, que j’ai appris à le connaître. Pour commencer, ce fut sa biographie de Moussorgsky dans la collection Solfèges au Éditions du Seuil, publiée dès 1962, mais découverte bien plus tard. Son éclectisme se retrouvait dans ses choix éditoriaux. Il fut l’un des premiers à s’intéresser à Vivaldi avec sérieux (1) et son Haydn, la mesure de son siècle, paru en 1995 chez Fayard, est indispensable. Et puis, il y a Ravel : son Maurice Ravel, publié en 1986 chez Fayard fit date (2), là aussi une référence obligée. Sans oublier ses Stravinsky ou Beethoven, il y eut aussi ce magistral Giacomo Puccini (Fayard, 2005) qui est « assez pinaillant pour remettre quelques pendules à l’heure », comme il me l’écrivait en dédicace.

Puis il y eut de multiples rencontres. Je me souviens de son accueil bienveillant lorsque j’ai débuté à France Musique en 1990 - ce qui n’était pas le cas de tout le monde. Marcel animait alors les après-midi de la chaîne, responsable des programmes de France Musique depuis 1978. Dans ce cadre, la première fois que je suis intervenu, ce fut autour de la partition de La nouvelle Babylone, que Chostakovitch avait composée pour la musique du film de Koznitzev et Trauberg en 1929. Il me lance, je présente l’œuvre, la musique commence et le micro une fois coupé, il me dit : « c’était passionnant, mais quand tu fais un micro de sept minutes (!) préviens auparavant les auditeurs que tu vas prendre le temps d’une présentation fouillée. » Je n’ai jamais oublié.
Sa liberté de parole fait qu’à l’arrivée de Claude Samuel à la tête de la Direction de la Musique de Radio France, celui qui était alors Président de la Société des Producteurs de la chaîne s’exprima de façon très vive et contradictoire dans une pleine page du magazine Diapason, en regard d’une autre signée Claude Samuel. Deux visons - incompatibles puisque Marcel fut remercié. Quelle perte pour la radio. Et voilà qu’à l’occasion de son décès, je retrouve un article de Télérama du 29 janvier 1992 où le regretté Gilles Macassar (décédé en 2022) écrivait : « France Musique, sans la rigueur ni la verve de Marcel Marnat, c’est une certaine dignité de Radio France qui se trouve amoindrie. »

Je me souviens de nombreuses conversations avec lui au fil des ans. Et de ce moment si particulier, en 1995, au Salon du Livre. Pour mon émission en direct et en public sur le stand de Radio Bleue, j’avais invité Marcel avec Manuel Rosenthal (alors âgé de 90 ans - il est décédé en 2003) pour son livre « Ravel, souvenir de Manuel Rosenthal recueillis par Marcel Marnat. » Rosenthal évoquait un Ravel qu’il avait connu depuis 1925, parlant de ses derniers souvenirs de lui à l’Exposition Internationale de 1937. L’un comme l’autre insistaient sur l’engagement d’un Ravel militant qui, après la guerre, était hanté par l’horreur de 14-18 et la crainte de son retour, comme La valse l’exprime si fortement.
Je garde un souvenir fort de cette heure d’émission comme du déjeuner à trois qui s’en suivit, avec anecdotes et rires, l’humour ravageur et la vivacité de Rosenthal comme de Marcel, souvenirs ineffaçables de ces moments chaleureux. Il y en eut d’autres.

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(1) Ici, il parle de Vivaldi : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/2225214001/marcel-marnat-antonio-vivaldi
(2) - L’article de janvier 1987 évoque la parution du livre, à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Ravel : https://www.lemonde.fr/archives/article/1987/01/03/maurice-ravel-par-marcel-marnat-un-homme-a-l-ombre-de-son-oeuvre_4028855_1819218.html
- Il évoque avec sa modestie coutumière, jamais feinte, l’origine de cette biographie dans cet entretien en deux parties, il y a sept ans. Écoutez la flamme de Marcel qui s’allume dès qu’il évoque son cher Ravel. Il avait 84 ans :