Un Président doit rassembler. Lui et les siens ne cessent de cliver. Sciemment.

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Le forcené et les marchés financiers
Pourquoi parler - avec une grande justesse - de « forcenés », comme le font, entre autres, Frédéric Lordon ou Jacques Chapoutot ?
Le terme renvoie à l’idée d’obstination « coûte que coûte » dans une voie que trois français sur quatre (et neuf actifs sur dix) rejettent. Mais cela n’explique pas le pourquoi de cette attitude profondément anti-démocratique.

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Cette année, la France va emprunter 270 milliards d’euros sur les marchés financiers, alors que notre dette publique dépasse, pour la 1ère fois, les 3.000 milliards d’euros. Il n’est pas nécessaire de revenir sur les liens très étroits entre le Président et le monde des affaires et de la finance. Ce n’est pas cela qui l’a conduit à s’exprimer comme il l’a fait le matin même du vote du 49.3, parlant de « risques financiers trop grands ». C’est un fait précis et trop passé sous les radars des médias comme de la plupart des politiques. Car ce fait met en cause le fonctionnement même de notre Union Européenne.
Le plan de relance européen, suite au COVID, a été fixé à 39,4 milliard d’euros pour la France et réactualisé à 37,4 du fait de la bonne reprise économique française en 2021. L’État a versé aux instances européennes 28,8 milliards d’euros en 2021 afin d’abonder ce plan. Il a reçu en échange deux versements de 5,1 milliards à l’été 2021, et de 7,4 milliards en mars 2022. Les versements sont conditionnés à certaines obligations trans-nationales, liées à la transition écologique (pour 37%) comme à d’autres objectifs précis, dont le numérique (20%) La somme globale est empruntée par l’Union Européenne sur les marchés financiers depuis 2021. L’U.E. prévoit de lever jusqu’à 150 milliards par an jusqu’en 2026 pour aider l’ensemble des pays européens. Ces emprunts doivent être remboursés sur 30 ans à partir de 2028.
Si la Commission n'a pas explicitement conditionné ses versements à la mise en oeuvre d'une réforme des retraites, Bruxelles n’a cessé de rappeler que ce chantier ferait l'objet d'un « suivi attentif ». De même, la réduction des allocations chômage était scrutée - c’est désormais effectif depuis décembre dernier.
Ainsi, la France doit encore recevoir 24,9 milliards d’euros au titre du PNRR (le Plan National de Relance et de Résilience). La loi passée, la somme totale va alors être débloquée, à commencer par un prochain décaissement de 12,7 milliards d’euros, après être passé sous les fourches caudines exigées par Bruxelles. C’est donc bien ce message là qui est adressé aux marchés financiers. Le rejet de la loi mettait en péril toute la crédibilité de la politique financière macroniste.Les raisons de la colère
A la violence inouïe du pouvoir, répond, dehors, partout en France, la levée d'une profonde colère sociale et politique - une colère qui explose. Jusqu’où ? Car voilà le troisième acte d’un déni total de démocratie. L’Histoire se fait sur le long terme. En profondeur, nul n’a oublié la première séquence : 2005, le vote NON à la Constitution Européenne - totalement bafoué, jamais respecté. Puis le 2è acte fut celui des Gilets Jaunes, réprimés avec une brutalité hors norme, écrasé par la logorrhée présidentielle d’un « grand débat » qui n’était qu’un monologue, les cahiers de doléances n’ayant jamais eu de suite, tout comme la Convention Climat citoyenne. Et nous voici au 3è acte. A force de ne jamais respecter ni prendre en compte les choix populaires, cela fini par se voir et générer une vraie violence sociale.
Leur responsabilité est totale.

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Quelles suites face au mépris et à l’autoritarisme macroniste qui piétinent les 80% de citoyens hostiles à leur contre-réforme ? Car c'est bien un parfum de profonde colère, voire de révolte, qui hante la France en ce dimanche de printemps. Alors que certains évoquent mai 68, d’autres plongent à leur façon dans l'imaginaire réactionnaire contre la Révolution Française, pour faire peur.
Cette nuit, la permanence d’Eric Ciotti a été caillassée. Et le pantin LR pro-RN (il avait annoncé, lors de la campagne présidentielle qu'en cas de 2è tour Macron-Le Pen, il voterait Le Pen) se plaint en sortant la grande référence contre-révolutionnaire : la Terreur hante ses nuits.
Le parti de l’ordre se met en rang, comme au moment des Gilets Jaunes. Tous parlent d’ « intérêt général » alors qu’ils ne cessent de le piétiner avec cette loi au forceps du 49.3. Tous en font porter la responsabilité à la gauche radicale, particulièrement à LFI.

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Il suffit d’ouvrir le poste - radio, télé - pour les entendre, partout. Et se souvenir, après les innombrables mensonges, des paroles orwelliennes, comme « la conflictualité précède le dialogue et la confrontation précède la négociation. » de l’ineffable Prisca Thévenot (6 mars) ou encore la sortie de Stanislas Guerini (9 mars) : « un Gouvernement vraiment dans le dialogue social »… avec lui-même.
Sans parler des déclarations relevant d’un amalgame à côté de la plaque d’Elisabeth Borne jeudi soir sur le plateau de TF1, où elle venait défendre l’indéfendable, son 49.3 : non, les députés RN n’ont pas chanté La Marseillaise avec LFI et des membres de la NUPES - ce qui est tout sauf le non respect de nos institutions - ou alors, supprimons le chant national, hymne officiel de notre République qui a plus que sa place à l’Assemblée.

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Le pouvoir a beau être droit dans ses bottes, il tremble, ultra minoritaire. Mais nous aurions tort d'oublier qu'en fin d'année 2022, Gérald Darmanin, a passé une commande de 38 millions d’euros pour équiper de plus de dix millions de grenades lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de fumigènes les gendarmes mobiles et les CRS. Dans le même temps, il avait décidé de créer sept nouveaux escadrons de gendarmes mobiles et quatre nouvelles compagnies de CRS. Le but affiché était clair : faire face à d’éventuels mouvements sociaux d’envergure sur fond de réforme des retraites (nous y sommes), de baisse du pouvoir d’achat et d’envolée des prix (idem). Dans cette perspective le gouvernement se préparait clairement à l’affrontement et à la répression. Il l'assume. Pire : il le prévoyait. Etonnez-vous de ce qui se passe…
Et comme « notre » Président n’est jamais avare de provocations, le voici qu’il remet une thune dans le bastringue avec le nouveau projet de loi sur l’immigration.

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Partout, absolument partout, les macronistes déroulent un tapis rouge à l’extrême droite. Qui, elle, est loin de rester inactive, qui multiplie les attaques et les violences, contre les permanences et les militants LFI, contre les étudiants hostiles à la contre-réforme des retraites, etc… Mais là, curieusement, les médias n’en parlent pas - préférant les belles photos de quelques poubelles qui brûlent avec le mot « chaos » répété en bandeau, repris de la bouche d’une Première Ministre qui s’y connait puisque c’est elle qui mène cette politique aussi autoritaire que ravageuse : « Certains veulent le chaos à l'Assemblée et dans la rue. » (le 16 mars)
L’ombre de la Révolution
Il est des télescopages signifiants. Car il y a quelques jours, France 3 proposait une énième émission « historique » de Stéphane Bern autour de la fuite à Varennes. Son titre ? « La folle cavale de Louis XVI »... Ainsi, la trahison d'un monarque qui s'apprêtait à rejoindre l'Empereur d’Autriche pour lutter contre la Révolution, qui trahissait son royaume, son pays, ses engagements, sa parole et son rang, se voit repeinte en « folle cavale » anecdotique et irresponsable.

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Or le Roi savait parfaitement ce qu’il faisait. Et la République Française est née en réaction à cette lâche fuite. Le plus nul des historiens connait la réalité de la haute trahison - sauf à tomber dans le déni total. Au moment où la Place de la Concorde revient, de façon brûlante, sur l’écran de notre Histoire contemporaine, cette réécriture révisionniste de l'Histoire n'a rien à faire sur des écrans, encore moins ceux du service public.

Mais tout cela est très symbolique et totalement raccord avec le travail de fond de l’extrême droite. Car dans la fournaise politique de notre printemps 2023, le travail et les enjeux idéologiques se dessinent on ne peut plus clairement.
Entre le travail souterrain, mais bien réel, des jeunes RN + LR + Zemmouriens et celui des apparatchiks lepenistes, se tisse leur toile idéologique avec une même constance. Un de leurs buts étant de réécrire l’Histoire, de 1789 à Pétain, de la République aux guerres coloniales.

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Heureusement, tous les médias ne cessent de pointer cela comme de parler des attaques de groupuscules d’extrême-droite contre les facs en grève ou les permanences LFI, de même qu’ils se sont largement fait l’écho de la récente condamnation du RN…
On le voit, le paysage est mouvant, colérique, violent, inquiétant et porteur d’espoirs à la fois. La vigueur du mouvement social et son attachement aux valeurs républicaines de démocratie et de solidarité en est l’expression phare. Car sans cesse revient l’antienne restée inaboutie depuis la Constitution du 6 messidor, an I (24 juin 1793) : quid de la République sociale ?
C’est, sans cesse, cette question taraudante qui fait retour dans notre actualité. De 1848 à 1945, de 1870 à 1968. Et en notre printemps 2023.
(Écrit les 18 et 19 mars 2023, 152è anniversaire de la Commune de Paris)

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