Pygmalion, acte de ballet de Jean-Philippe Rameau sur un livret de Sylvain Ballot de Sauvot (1745) - Basilique de Beaune, vendredi 18 juillet 2026
Trois Pygmalion sinon rien ? En l’espace de quelques mois, trois concerts prestigieux offraient trois occasions d’entendre une œuvre si prisée dans la seconde moitié du XVIIIè siècle, qui renferme parmi les plus belles pages ramistes. Camille Delaforge l’a donné avec Il Caravaggio au Festival de Pontoise à l’automne dernier avec le vibrionnant Mathias Vidal, Reinoud Van Mechelen chantait le rôle titre tout en dirigeant son ensemble A nocte Temporis au Château de Versailles en décembre. A Beaune, c’est donc l’Ensemble Masques qui proposait sa version, dans le cadre d’une tournée et dans une mise en espace de Thomas Condemine ici réduite au strict minimum, mais avec un vrai sens dramatique.
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L’histoire est simple et machiste en diable : Céphise, amoureuse du sculpteur Pygmalion, constate amèrement sa froideur. Celui-ci est tombé amoureux de sa statue qui, grâce aux dieux, sous ses yeux, prend vie.
L’œuvre est courte, moins d’une heure de musique. Elle nécessite un complément de programme. Alors que Camille Delaforge avait choisi le Pigmalion oublié d’Antoine Bailleux et que Reinoud Van Mechelen plongeait dans l’inconnue Zémide d’Antoine Iso, Olivier Fortin, à la tête de son Ensemble Masques, préféra donner la suite d’orchestre d’Hippolyte et Aricie. Mais sa direction, précise depuis son clavecin discret, manquait d’esprit et de raffinement, de couleurs et de folie (Rigaudon). L’air des furies est bien sage, la ritournelle bien fade. Emmenés par le premier violon de Sophie Gent, avec deux flûtes élégantes, deux hautbois incisifs et un basson indispensable, les musiciens s’y montraient pourtant en situation - mais l’ouverture de Pygmalion manquait de mordant.
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Tout changeait avec les voix, à commencer par celle de Cyril Auvity qui fêtait magistralement ses vingt-cinq années de présence à Beaune. Rameau est son compagnon depuis longtemps (Il suffit de repenser à son miraculeux enregistrement consacré au personnage d’Orphée) et ce rôle de Pygmalion en particulier. Il y est absolument solaire, inspiré, bouleversant. Ses airs, qui font la gloire de cette partition, ont résonné avec une intensité dramatique rare, des aigus déchirants (« Fatal amour »). Car la voix de Cyril Auvity connait une pleine maturité, avec une déclamation parfaite, une ligne de chant d’une pureté et d’une ampleur vocale sans égal - et ce timbre soyeux, d’une douceur unique, si difficile à caractériser en mots, mais immédiatement reconnaissable. Sa présence scénique, ses geste d’une théâtralité attachante firent de cette soirée un grand moment d’un Festival qui n’en manque pas.
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Hannah Ely, Olivier Fortin, Cyril Auvity, Judith Van Wanroij, Marie-Frédérique Girod
Mais Cyril Auvity n’était pas seul à faire briller la musique de Rameau. Sa statue s’éveillait à la vie par l’interprétation touchante, fraiche et lumineuse de la soprano anglaise Hannah Ely, une voix à suivre. Le rôle de Céphise, l’amoureuse éconduite, était porté par une autre soprano, Marie-Frédérique Girod aux allures de tragédienne grecque, aux accents déchirants d’une douleur jalouse et interdite. Quant à L’Amour de la toujours radieuse Judith Van Wanroij, on ne peut que regretter que son rôle soit trop bref, tant son chant est un délice. Alors, « L’amour triomphe, annoncez sa victoire ! » Rassurons-nous ? Voilà donc un homme qui modèle et réduit la femme à son image. Pas sûr que cela soit très #metoo…
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Cyril Auvity, Pygmalion - Hannah Ely, La Statue
Judith van Wanroij, L’Amour - Marie-Frédérique Girod, Céphise
Chœur et Ensemble Masques - Olivier Fortin, clavecin et direction
Mise en espace : Thomas Condemine