Il n’y a pas de crise politique
Il y a d’abord ce choix : parler à 13h à la télé, c’est s’adresser à la frange la plus âgée de la population, la moins concernée par la contre-réforme Macron et la plus favorable, étant le coeur de son électorat.
Le message est donc clair : le Président se pose en gardien de l’ordre, allant au bout de ses engagements libéraux et envoyant un signal de total mépris pour le reste de la société, à commencer par les grévistes et manifestants.
Et puis, il y a le contenu, déjà plus qu’esquissé la veille au matin, comme les médias s’en firent immédiatement l’écho.
Dans la soirée de mardi, recevant les parlementaires de sa minorité, le chef de l’État a eu des mots, dont tout tenant historique du parti de l’ordre (de Thiers à… Pécresse et tant d’autres) ne peut que se réjouir. Il assimile donc les manifestants à une « foule », agitant ainsi tout un imaginaire réactionnaire séculaire lié à la foule révolutionnaire, aux « classes laborieuses, classes dangereuses », visant ainsi à décrédibiliser tout un mouvement social.
Mais cela est allé plus loin, d’où ce titre à la Une du site du Monde, apparu hier soir à 22h16, avec explication… et corrigé à nouveau quelques heures plus tard. Fallait-il entendre « l’émeute » comme « les meutes » ? Quoiqu’il en soit, ce vocabulaire n’a rien d’un pacificateur. C’est celui d’un pyromane.

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Quelques rappels historiques ne sont pourtant pas inutiles.
Ce ne sont pas des bisounours qui ont obtenu les congés payés, les 40h, les conventions collectives, la Sécurité Sociale et les caisses de retraite par répartition, ni tant d’autres conquis sociaux. Ce sont de vastes mouvement de foule, mobilisés en 1936 dans les grèves, comme en 1944-1945 par la Résistance. Sans oublier 1968. A chaque conquête politique et sociale, la foule. Sans elle, rien.
Ainsi, assimiler la foule à l’émeute, c’est volontairement taire la réalité des mouvements révolutionnaires, ceux qui ont conduit la révolution de 89 à l’établissement de la République en 1792, ceux qui ont déclaré la Seconde République au balcon de l’Hotel de Ville de Paris en 1848, ceux qui ont amené la Troisième sur les fonts baptismaux du 4 septembre 1870.
Donc, le monarque a parlé. A 13h, pour son électorat le plus frileux et conservateur : c’est si évident, qu’en tout, il est « et de droite et de droite ».
Dans son discours d’un vide sidéral et à l’autosatisfaction débordante, adoubant à nouveau madame Borne-Thatcher de « toute sa confiance », Emmanuel Macron s’en est donc pris logiquement aux syndicats, accusés de ne pas avoir proposé de compromis.
« Déni et mensonge » réplique Laurent Berger pour la CFDT. Philippe Martinez va plus loin pour la CGT : « Son écoute des syndicats, il en a fait la démonstration vu la réponse qu’il nous a faite à notre demande d’entretien donc oui ça devient une caricature ce président de la République. Je vais le dire trivialement, cette interview c’était du foutage de gueule et c’est du mépris encore plus fort vis-à-vis des milliers de personnes qui manifestent ».
Olivier Faure déclare justement : « il a mis plus d’explosif sur un brasier déjà bien allumé. » Pour Jean-Luc Mélenchon, « cela fait beaucoup d’offenses en si peu de mots. Cet homme vit en dehors de toute réalité », taclant que « la foule est au peuple ce que le cri est à la voix ».
Il n’y a pas de risque autoritaire
Elle cite Jean-Jacques Rousseau ou Victor Hugo. Elle insiste sur « l'intérêt national de la France ». Elle cite le programme de Le Pen concernant les carrières longues et pénibles. C’est à elle, Laure Lavalette, que le RN avait confié le soin de présenter la motion de censure de l'extrême droite, ce lundi 20 mars. Elle dont le père était déjà engagé à l’extrême droite, membre du mouvement fasciste Ordre nouveau et du Front national. Elle, catholique traditionaliste, qui assiste chaque dimanche à la messe en latin et rejette Vatican II.
Pour ce qui est d’Aurore Bergé, elle surjouait la mauvaise foi politique, arguant qu'une telle motion de censure serait en réalité un « programme commun » qui amènerait Le Pen, Panot, Pradier et de Courson à former ensemble un Gouvernement. Le comble du ridicule. Et elle osait parler de « consensus » et de « compromis »... tout en évoquant l'immigration à la fin de son discours. Ceci après avoir fait une comparaison entre le RN (qui « gesticule et ne parle pas ») et le mime Marceau, ce qui était aussi lamentable qu’injurieux pour l’artiste. Sinistre façon d’évoquer le centenaire de sa naissance à Strasbourg, le 22 mars 1923. Faut-il lui rappeler que le mime, né Marcel Mangel, était un juif alsacien dont le père fut déporté et fut assassiné à Auschwitz ? Sans parler du mépris du travail acharné accompli quotidiennement par un artiste de scène de cette trempe, qui a choisi le silence en lien direct avec ce passé sinistre, faut-il redire que le mime s'engagea dès 1942 dans la Résistance, rejoignant le secteur FTP Dordogne où, précisément, Marceau devint son nom dans la Résistance, nom qui devint ensuite son nom de scène ? Faut-il lui rappeler qu'avec son cousin Georges Loinger il permit à une trentaine d enfants juifs de gagner la Suisse? Faut-il lui rappeler que Marcel Mangel s'engagea dans la Première Armée du général de Lattre et fit toute la campagne d’Allemagne ? Aurore Bergé a décidément tout faux, partout.
Quant à la Première Ministre, elle continuait à tout oser. Elle parlait de jeudi dernier, jour du funeste 49.3, en dénonçant « des chants et des hurlements » Des chants ? Un seul : la Marseillaise. Des hurlements ? Des huées (fréquentes à l’Assemblée) en refus de la violence du 49.3. Et bien sûr, elle accusait la Nupes, et particulièrement LFI, de « mépriser les institutions » - elle qui méprise son peuple. Et plus encore, d’« antiparlementarisme à l’oeuvre » - et là, nous touchons le fond de la langue orwellienne. Puis, dans cette logique de langage pervers, la voici qui dénonce la NUPES avec ces mots : « il n'y a pas pas de limite à la duplicité ». Et enfin, le plus savoureux (???) « Je suis convaincue que le dialogue social doit être la norme ». Miroir, mon beau miroir…
Heureusement, face à quelques poubelles qui brûlent, la nuit, le parti de l’ordre trouve, avec finesse, les mots justes : ce serait « le chaos ». Pourtant, nous en sommes encore vraiment loin - alors que tout ce qui se passe est uniquement lié à une seule responsabilité : les choix politiques autoritaires du pouvoir de Macron-le-thatcherien.
Leur déni n’y changera rien.
Il n’y a pas de violence policière
D’un côté, les mensonges du Préfet : « il n'y a pas d'interpellations injustifiées »
De l’autre, la réalité de la répression violente.
Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature déplorait, ce mardi, la manière dont sont gérées les manifestations des derniers jours : « Des centaines d’interpellations et de mesures de garde à vue ont été décidées depuis jeudi dernier. La très grande majorité de ces mesures n’a reçu aucune suite judiciaire (à Paris, après la manifestation de jeudi place de la Concorde, sur 292 gardes à vue de manifestants, seules 9 ont donné lieu à des poursuites pénales) », écrit-il.

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Et la situation ne fait qu’empirer… Ce matin, à Rennes, un marin pêcheur de 22 ans a eu le nez cassé sans raison d’après ses dires.
Alors que « plutôt qu’en gardien des libertés individuelles, le parquet s’érige en courroie de transmission des exigences gouvernementales » comme le formule Raphaël Kempf, avocat de manifestants traduits en comparution immédiate, sans raison pour 90% des cas.
Et maintenant ?
A longueur de médias, on entend parler de crise de régime. C’est juste. Et cela fait trois campagnes électorales que la candidature Mélenchon porte la nécessité de passer à une VIè République. Il en est plus que temps et c’est bien une des fondamentales différences avec les programmes d’extrême droite, qui eux se complaisent dans une Vè République qu’ils souhaitent encore bien plus autoritaire.
Mais un rapprochement historique s’impose, car je n’ai pas encore entendu l’évocation précise des facteurs qui ont conduit à l’installation de notre République actuelle, la Vè. Or de 1947 à 1958, trois forces politiques structuraient la République de 1946, la IVè, accusée de tous les maux d’instabilité.
* Il y avait les communistes représentant 1/4 de l’électorat. Le PCF fut exclu de toutes configuration gouvernementale après l’éviction de ses ministres en mars 1947 et durant toutes ces années de guerre froide, avec l’idée, comme le disait Guy Mollet, le dirigeant socialiste d’alors, que « les communistes ne sont pas à gauche. Il sont à l’Est ».
* Il y avait le MRP gaulliste, refusant toute coalition éventuelle.
* Les autres partis, de la droite traditionnelle aux socialistes, étaient donc voués à des alliances aussi éphémères que douteuses. D’où l’instabilité dans ce double contexte de guerre froide et de guerres de décolonisation (Indochine puis Algérie).
En 2022, nous sommes clairement, toutes choses égales, dans une même configuration politique triangulaire - mais les trois forces ne sont plus les mêmes. LFI et la NUPES n’ont rien de commun avec le macronisme moribond. Le RN non plus (encore que, par ses votes, le parti lepeniste ne cesse de mêler ses voix à celles de LR et des partis présidentiels…)
D’où cette crise de régime vécue aujourd’hui sur fond de guerre en Europe. Une crise d’autant plus en lien avec ce paysage de la fin de IVè République que ce sont des personnalités pivots de celle-ci qui imposèrent que le 49.3 existe dans la Constitution de la Vè, afin de limiter l’instabilité éventuelle.
Ces trois courants structurants actuels, si différents dans leur programme et actions, sont la toile de fond de notre crise profonde. Aux dires du Président, il n'existerait pas de majorité alternative. Mais qu’en sait-il ? C’est le peuple, les citoyens qui peuvent répondre à la question, sûrement pas un homme - seul.
C’est le vote d’un peuple qui crie de ne pas être écouté, respecté, entendu. Et qui devient cette foule qui crie « démocratie » - pouvoir au peuple. « Quand l’injustice devient loi, la résistance est un devoir » résumait hier un manifestant sur le piquet de grève du dépôt de carburant de Fos sur Mer.
Demain, soyons des millions à résister !

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