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Historien de la musique - Producteur à Radio France (1985-2014) - Conférencier, auteur et dramaturge.

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Billet de blog 24 mars 2024

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Maurizio Pollini est décédé.

Plus qu'un pianiste, il était une sorte de référence éthique. Une éthique de la rigueur alliée à la poésie, sans concession. Avec une maîtrise impressionnante du clavier, de ses sortilèges, de ses couleurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Durant un demi-siècle, il fut un éclaireur. Évoquer Pollini, c’est se souvenir de sa complicité avec Claudio  Abbado, par leurs enregistrements comme par leur engagement citoyen qui les menaient ensemble à proposer des concerts dans les usines italiennes il y a déjà une bonne cinquantaine d’années. C’est aussi se souvenir de leurs concerts en commun, comme l’intégrale des concertos de Beethoven donnée avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin salle Pleyel, il y a… un quart de siècle.

Mais penser à Pollini, c’est aussi, pour chacun de nous, revivre les premiers moments de rencontre musicale par le truchement d’un enregistrement. Pour moi, ce fut ce disque Schubert avec l’impressionnant sommet de la Wanderer Fantasie et la profonde Sonate D 845, qu’il enregistra en 1973. C’était il y a plus de 50 ans…  

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Cet architecte du son - fils d’un grand architecte - me subjuguait dès les premières notes de la sonate par sa force et sa fluidité, par son sens du discours et sa science des couleurs magnifiant son instrument. Alors, ce fut le début d’une découverte passionnante, des trois mouvements de Petrouchka de Stravinsky à ses autres Schubert et d’abord à Chopin.   

Car son disque 33 tours des Etudes de Chopin, enregistré en 1972 et que je découvris juste après Schubert fut un autre choc, comme ensuite ses Préludes. Bien sûr, c’était un compositeur qu’il connaissait et jouait depuis l’enfance. A quinze ans, il subjuguait déjà, dit-on, avec ses interprétations de Chopin. Auparavant, un concert d’Arthur Rubinstein, entendu à la Scala de Milan, l’avait bouleversé. Il avait été « encore plus touché par le cantabile que par la virtuosité » du célébrissime pianiste jouant le 1er concerto. Chopin, c’est pour Pollini « le magicien du piano ». Ces mots, ces souvenirs, il me les racontait au micro de France Musique lorsque j’avais eu la très grande chance de le rencontrer, en juin 1996, pour « Soliste », mon émission quotidienne d’alors.

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Rencontrer Pollini ! Je me souviens de mon émotion lorsqu’à la porte B de la Maison de la radio, par une splendide après-midi de juin, je l’attendais, le coeur battant, intimidé. J’ai vu arriver un homme légèrement courbé, la cigarette au doigt. Il n’avait que 55 ans, mais il m’a paru plus vieux, fatigué. Dès qu’il se mettait à parler - dans un français absolument parfait, avec un merveilleux accent italien - il était d’une vivacité que trahissait d’avance son regard malicieux. Quel grand moment ce fut.

« Le plaisir est donné par deux choses fondamentales : l’énormité du répertoire pianistique. Dans le cas de Schumann, par exemple, c’est une mine. Il y a tellement de morceaux de Schumann qui sont peu joués ! D’un autre côté, il y a les extraordinaires possibilités de cet instrument sur le plan des timbres, un instrument que l’on pourrait dire neutre mais qui se transforme de façon miraculeuse selon le musicien. » Et Pollini d’ajouter : « Je travaille toute l’année, sauf un mois pendant l’été, pour des vacances. Je travaille tous les jours, le piano, la préparation de mes concerts et la lecture des partitions, parfois sans les textes mêmes. Par coeur, on peut tout à fait imaginer la musique et prendre les choix d’interprétation. »

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On sait moins qu’au début des années 1980, il s’est essayé à la direction d’orchestre. Il y a eu les représentations de La donna del lago de Rossini qu’il a dirigé au Festival de Pesaro - « un essai assez étrange » disait-il - et quelques concertos de Mozart, ce qu’il aimait beaucoup car il pouvait jouer à fond le caractère chambriste de ces oeuvres. Mais « j’ai quitté la direction d’orchestre car j’étais dans le moment du choix. » Donc, tout s’est recentré autour du piano : « ou bien je m’engageais entièrement, ou bien ça n’avait pas beaucoup de sens. J’ai préféré renoncer. »

Et si Maurizio Pollini a parfois joué de la musique de chambre avec le Quartetto Italiano ou Salvatore Accardo et son quatuor, s’il a accompagné occasionnellement Dietrich Fischer-Dieskau ou Mstislav Rostropovitch, c’est bien un chemin de soliste qu’il n’a cessé de sillonner. Que de souvenirs avec ses concerts donnés à la salle Pleyel en compagnie de l'orchestre de Paris et Daniel Barenboim ou de l'orchestre Philharmonique de Berlin et Claudio Abbado - mais aussi en soliste, lors de si nombreux récitals.

Pollini, 1er prix du Concours Chopin de Varsovie en 1960, ne saurait se résumer à Chopin, ni à Debussy, Prokofiev, Nono, Bartok, Schönberg, Boulez (dont il fut un proche et un ardent défenseur) ou à quiconque. Mais Beethoven…

Pollini-Beethoven ? Je me souviens de ses venues sur la scène de Pleyel pour une intégrale des sonates (qu’il  donna à Londres, Vienne et Paris), limpides, profondes, parfois comme dessinées au sclapel, exécutées comme un lion dévore sa proie. Insondables. Je garde un souvenir électrisant les trois dernières sonates lors d’une de ces soirées salle Pleyel. 

Illustration 4

La force, la puissance qu’il mettait dans son engagement se ressent au disque. Dans tous ses disques, pensés comme peu le font, jusqu’au dernier détail - d’un trait, de nuances, d’intention.

Certains disent que son jeu est intellectuel, plus intellectuel que sensible. Les récitals auxquels j’ai pu assister m’ont toujours donné un sentiment autre. C’est l’énergie, la concentration du musicien dégageant celle de la musique mais aussi une poésie personnelle, exigeante, qui s’en dégageaient.  

Le voir jouer était aussi un spectacle. Placé non loin de la scène, on pouvait l'entendre ici chanter, là souffler. Vivre la musique pleinement.

C’est d’ailleurs le cas avec son dernier enregistrement paru de deux sonates de… Beethoven. Pour ses 80 ans, il remettait sur le métier les 28è et 29è, après les avoir enregistrées en 1976 et 1977, dans la même salle Hercule à Munich. Entre les deux interprétations, près d’un demi siècle de « carrière », ou plutôt de cheminement personnel. 

Outre une prise de son moins sèche, légèrement (trop) réverbérée donnant encore plus de profondeur et de moelleux au somptueux Steinway, il y a une cohérence de vision. Mais peut-être plus de fluidité dans un discours devenu plus rond, toujours aussi incisif, mais avec davantage de velouté du piano, encore plus de profondeur d’introspection. Et toujours cette même fougue, insatiable : quel premier mouvement de l'opus 106 !

Alors, en apprenant son décès, tant de souvenirs reviennent, ceux d’un immense pianiste et aussi d'un homme simple, ouvert, à la curiosité en éveil, avec une voix touchante, que l'indispensable cigarette avait rendue un peu rauque. Indispensable Maurizio Pollini…

Illustration 5

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