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Billet de blog 27 août 2024

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Qu’est-ce qu’une stratégie politique ?

Dans ce chaos politique déclenché par le Président de la République en personne au soir du 9 juin, quelques minutes après les résultats annoncés des élections européennes qui ont vu la débâcle du macronisme (14%…), rien ne se passe comme prévu

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Tout avait mal commencé. Souvenons-nous. 

La campagne des législatives avait, pour la macronie, continué à sonner l’hallali contre LFI bien plus que contre l’extrême droite accusée d’avoir un programme « marxiste » (Bruno Le Maire dixit) au moment où Bardella ne cessait de donner des gages au patronat en rayant d’un mot les promesses sociales purement démagogiques des mois passés. A Sèvres, aux prises avec la candidature de la porte parole du Gouvernement Prisca Thévenot, nous en savons quelque chose : sa propagande électorale réduisait le NFP à « l’extrême gauche face à laquelle le PS a cédé », visant LFI, accusé d’être islamo-gauchiste, antisémite, que sais-je encore…

Après le premier tour, la stratégie de l’excès avait tourné. L’initiative politique était venue de Mélenchon qui, à 20h05, se prononçait pour le retrait de tous les candidats NFP arrivés en troisième position. L’appel au désistement fut si difficile dans les rangs des républicains proclamés que l’analyse des résultats est sans appel : si 90% des électeurs NFP se sont reportés sur les candidats macronistes, seuls 40% de cet électorat se déplaça pour voter NFP au second tour, permettant ainsi l’élection de 58 députés RN de plus ! Ainsi, 34 députés du seul parti Ensemble ont été élus grâce au retrait des candidats LFI.

Mais qu’importe, dès le soir des élections, après avoir appelé - du bout des lèvres, pas partout, loin de là - à voter, y compris pour le candidat LFI, après avoir été élus par les voix du NFP, les macronistes reprennent leur antienne puisque ce sont eux qui distribuent des bons de républicanisme : LFI serait hors du champ républicain . Pas question de les voir au Gouvernement ! C’est peu dire que la contradiction politique tient du pur grand écart et de la plus grande des malhonnêtetés démocratiques. Ce qui ne fait que reprendre, version XXL, la mouture de 2022.

Or rien ne s’était effectivement passé comme prévu. 27 sondages annonçaient la victoire écrasante du RN - voire une majorité absolue. Aucun ne prédisait la victoire du NFP dans son marc de café (quant on vous dit de ne pas croire à autre chose qu’à l’utilisation politique qu’ils font de leurs horoscopes). La député LFI Clémence Guetté avait beau évoquer cette perspective sur les plateaux télé, jamais cette hypothèse ne fut reprise ni même évoquée dans les colonnes des éditorialistes comme sur les chaînes d’info en continue.  

Quelle surprise le 7 juillet au soir ! Et que de visages déconfits au sein de la classe médiatique et politique. Pur moment de bonheur à savourer dans l’instant pour les tenants du NFP.

La stratégie politique du RN était en échec face au rejet républicain massif et sans appel. Celle du Président de la République ne se portait guère mieux. Alors, c’est à un jeu profondément anti-démocratique auquel Emmanuel Macron s’est livré, cherchant tous les moyens de petite politique pour contourner les résultats du 7 juillet. Le prétexte avancé est purement constitutionnaliste et non pas politique : sans majorité absolue à l’Assemblée, « personne n’a gagné » a osé le Président dans une formule sidérante de mépris pour le suffrage universel. Mais derrière ces mots, il y a une stratégie politique.

Il l’a dit : pas question de nommer un Premier Ministre qui reviendrait sur quoi que ce soit sur sa politique menée depuis 7 ans. Donc,  ce fut le choix de la tambouille politicienne, cherchant à trouver alliance avec LR et les socialistes anti-LFI (ils furent 49% lors du dernier congrès PS). Des noms ont circulé. Xavier Bertrand ? Bernard Cazeneuve ? Valérie Pécresse voire Karim Bouamrane… Pour quoi faire, avec quelle majorité possible ? Qu’importe : tous ont un dénominateur commun, être anti-LFI et portent le NFP aux gémonies.

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Pendant ce temps, le Gouvernement démissionnaire est dans une position intenable qui affaiblit grandement les institutions : des Ministres qui siègent et votent comme députés permettant la réélection de la Présidente de l’Assemblée Nationale (mais le Conseil Constitutionnel ne trouve rien à redire à ce que la Constitution interdit pourtant…) ; des notes de cadrage reconduisant les grandes lignes d’un budget 2025 dans les pas austéritaires des précédents ; des dizaines de décisions prises dans la pure logique de la politique macroniste désavouée… Comme si rien ne s’était passé dans les urnes. Ou plutôt en pied de nez au verdict des élections successives.

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Il est difficile de faire plus populiste et retors qu’eux… Ils sabordent tout ce qui fait fondement de la République, par des décisions illégitimes tout en continuant leur détricotage de l’État social. Car c’est là leur stratégie politique : le libéralisme à tout prix, au bénéfice des plus riches et le refus de céder la place. 

Car le risque est grand de voir les députés RN + LR + macronistes s’opposer au retour de l’ISF, à la mise en place d’un système fiscal bien plus juste et s’attaquant aux grandes fortunes (pour rappel, 90% des ménages ne verraient aucune augmentation d’impôts), à l’annulation de la réforme des retraites, à la revalorisation massive des services publics… Lors des prochaines échéances électorales, les électeurs pourraient s’en souvenir. Et le RN serait mis face à sa démagogie sociale.

C’est donc dans ce contexte, sans illusion mais combatifs, que les dirigeants du NFP se rendirent à l’Élysée, avec Lucie Castets à sa tête, ce vendredi 23 août. La stratégie du NFP est simple : faire nommer une Première Ministre choisie après 15 jours de débats. Alors, en juillet, la stratégie des médias main-stream fut très politique : « regardez, ils ne sont même pas capables de se mettre d’accord ! ». Eh bien si, la preuve. Or voilà maintenant plus de cinquante jours qu’Emmanuel Macron tergiverse et refuse de prendre en compte les résultats du 7 juillet. Mais là, on entend « peu » de remarques.

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Puis, samedi, coup de théâtre politique. Ou plutôt, coup stratégique particulièrement pensé et efficace. Puisque partout il se dit que c’est la présence de ministres LFI qui bloquerait la nomination de Lucie Castets, et bien soit. Jean-Luc Mélenchon, prenant aux mots les adversaires politiques du NFP (et certains au sein de la branche la plus molle et hollandaise de l’alliance), lançait un pavé dans la marre :

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Successivement, en trois jours, les universités d’été d’EELV, du PCF et de LFI faisaient un accueil triomphal à la candidate pour Matignon. A Valence, les militants de LFI scandent, joyeux : « Lucie Castets à Matignon, sinon Macron destitution ! » Et le « coup » politique de LFI trouve sa totale justification en faisant tomber les masques : c’est bien du programme que macronistes et consorts ne veulent pas.

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Pourtant, il y a un autre élément dans cette stratégie, c’est bien de replacer Mélenchon au cœur du jeu politique, face à l’offensive tous azimuts contre l’ancien candidat à la Présidentielle. Pour les droites et une partie du PS, il faudrait « en finir » avec le créateur de la France Insoumise et donc avec LFI. Articles, prises de parole, tribune : les entreprises de déstabilisation sont nombreuses. Que d’énergie médiatique et politique afin d’en finir avec le paria - et son mouvement. Glucksmann y tient son rôle et voici que dans la journée d’hier, c’est rien moins que le secrétaire national du PS qui dégaine lourdement. Et ce matin même, dans un timing étudié, cet appel de socialistes pro Delga et autres… Tout ceci dévoile ce qui se trame : une partie importante du PS refuse le NFP et l’alliance avec LFI. En reprenant leur jeu favori depuis 2012 : tous contre Mélenchon. Parlant de « gauche infréquentable », allant jusqu’à remettre deux thunes dans le bastringue d’une primaire populaire qui a si bien montré sa nullité et nocivité en 2022.

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Ces politiciens, Glucksmann en tête, croient pouvoir surfer sur le résultat des élections européennes. Oubliant la dure réalité des votes. Car en comparant aux européennes précédents de 2019, le bloc PS + Écologiste à perdu 440.000 voix, là où LFI en a gagné 1 million… (Cela n’empêcha pas Raphael Glucksmann de claironner une formidable tirade à l’Université d’été du PS, jeudi 29 août, à rebours de la vérité : « …on a été capable de faire reculer à la fois les murs du macronisme et les murs du populisme de gauche . Nous avons réussi à montrer qu’on pouvait remporter des victoires politiques… ») Bien sûr, la macronie se joint amplement à ces tentatives de diabolisation, répétées depuis des mois et des mois. 

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Or Mélenchon vient de prouver une fois de plus l’efficacité de la stratégie des Insoumis : « Nous ne serons jamais du côté du problème, nous serons toujours du côté de la solution ». Si loin des caricatures d'hégémonie que l'on nous prête, LFI l'a prouvé avec un sens politique affuté et particulièrement responsable, « en jetant la rancune à la rivière », en 2022 (formation de la NUPES) et 2024 (formation éclair du NFP, abandon de 100 circonscriptions au PS pour les législatives puis retrait de tous les candidats arrivés 3è afin de faire barrage républicain à l'extrême droite). C’est peu dire que la situation politique et la force des extrêmes droites l’imposent. Mais visiblement, pas pour tout le monde à gauche…

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Ainsi, la clarification est en marche : LFI, bête à abattre, est bien le prétexte qui cache la réalité. La macronie et ses alliés de droite ne veulent surtout pas voir le programme du NFP avoir la moindre chance de s’appliquer. En toute logique de la stratégie macroniste, dans le strict refus du verdict des urnes, l’annonce du locataire de l’Élysée, ce lundi 26 août au soir, a tout pour scandaliser, mais n’a rien pour surprendre. Décidément, le chaos, c’est lui 

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Et cette stratégie correspond en tous points à une trumpisation accélérée de la politique française. Par les actes donc et par les mots, outranciers accusant le NFP d’être d’ extrême gauche. Il suffit de lire son programme ou celui de LFI pour constater à quel point cela est au delà de la caricature. Or, c’est bien là le pendant de ce qui se passe dans l’actuelle campagne américaine, où Donald Trump accuse Kamala Harris d’être… socialiste et d’ extrême gauche. Il ne restait plus qu’à resserrer l’amalgame comme le fit Eric Ciotti hier, au sortir de l’Élysée.

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« Déni de démocratie » dit Olivier Faure pour les socialistes, « dérive illibérale » dit Marine Tondelier pour les Écologistes. Bref, comme le dit LFI, « Macron met en grave danger la démocratie. »

Du jamais vu. Tout ceci ouvre une nouvelle page de l’Histoire française.

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Et pendant ce temps...

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