Toujours dans le cadre de l’enquête que les Laruna m’ont demandé de raconter, afin de ne pas alourdir l’histoire du Marin gascon retrouvé, j’ai retiré les épisodes qui vont suivre.
I Les Petits-créolisés en compagnie d' Édouard Glissant et de Frantz Fanon
Ce clin d'œil s'adresse aussi à mes chers Petits-créolisés ainsi qu’à celle qui vient d'arriver dans le Tout-Monde.
Pour leur histoire de demain et d'après-demain !
Comme mes exposés ne furent pas toujours très clairs lorsque je m’exprimais, ils m’ont souvent dit que je les emmerdais avec ma philosophie !
J'ai beaucoup aimé cette liberté d'expression ! Et un jour que nous étions les trois à table chez eux, les deux connaissaient le plus vieil hominidé connu à ce jour, Toumaï. Impressionnant !
Ensuite, j'ai fais appel à Édouard Glissant afin qu'il nous explique que le métissage était une simple mécanique alors que la créolisation qui va bien au-delà, produisait, elle, de l’inattendu. Là, de nouveau, ils m'ont demandé d’arrêter avec ma philosophie !
J'ai alors arrêté de parler pour les laisser s'exprimer parler comme ils l'entendent !

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Puis j'ai osé une dérive de l'imaginaire d'Édouard en évoquant une supra-créolisation à venir. Je précise que grâce à la lecture libertaire et reclusienne d’Édouard Glissant, j’ai fini par faire sauter la calamine de mes Identités-Certaines qui embrumaient mon cerveau pour laisser la place à une Identité-Relation apaisée.
J’avais dévoré avec prudence Le Discours antillais sans imaginer qu’un jour des petits-enfants créolisés à souhait viendraient égayer mon Tout-Monde personnel ! Lors de cet apprentissage, j’avais noté l'essentiel du chapitre historique :
« Les Antilles sont le lieu d’une histoire faite de rupture dont le commencement est un arrachement brutal, la Traite. Notre conscience ne pouvait pas « sédimenter », (….), comme chez les peuples qui ont engendré une philosophie souvent totalitaire de l’histoire »
« L’histoire est un fantasme opératoire de l’Occident, contemporain précisément du temps où il était seul à « faire » l’histoire du monde. »
« Quand le colonel Delgrès se fit sauter avec ses trois cents hommes sur la poudrière du Fort Matouba en Guadeloupe (1802), pour ne pas se rendre aux six mille soldats français qui l’encerclaient, le bruit de cette explosion ne retentit pas immédiatement dans la conscience des Martiniquais et des Guadeloupéens. C’est que Delgrès fut vaincu une seconde fois par la ruse feutrée de l’idéologie dominante, qui parvint pour un temps à dénaturer le sens de son acte héroïque et à l’effacer de la mémoire populaire. »
L'étude des textes de Glissant a levé le voile sur un phénomène de créolisation que j'ignorais.
Ce postulat fondamental qui plonge la consanguinité nationaliste ou ethnique dans un étriqué de l'absurde se révéla lors de la découverte d'une île torturée par son passé puisqu'elle n'en possède pas (confère la cale du bateau négrier !).

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Alors comment peut-on enfermer Glissant dans un tombeau de glace afin de garder pour soi la légitimité de la transmission intellectuelle ?
Un samedi ordinaire, la médiathèque de Villepinte avait invité François Noudelmann pour la sortie de son livre : Le Toucher des philosophes.
À la fin de sa conférence, j’avais longuement échangé avec le philosophe mais j’ignorais à l'époque qu’il connaissait aussi bien le camarade Glissant.
C’est à la sortie de son livre : Édouard Glissant, L'identité généreuse qu'il s'est fait démonté.
En lisant ce flot de critiques, j’ai compris que l’icône Glissant était devenue « chasse gardée ».
Étonnant car il me semble qu’Édouard Glissant n’a pas toujours été prophète en son pays. Alors quitte à passer pour un hérétique qui n’a rien compris à la pensée archipélique de l’ailleurs, j’ai poursuivi mes études glissantiennes toutes personnelles sans me fier aux interprétations des uns et des autres.
J'avais choisi mon camp depuis que François Noudelmann m’avait dédicacé un de ses livres :
« Pour Marc en fraternité libertaire amicalement François ! »
En 2018, sortait L’entretien du Monde que je suis empressé d'acheter et de lire.
Ce magnifique retour sur images partagées signait la fin de la vaine polémique, grande spécialité des gardiens du temple qui sont aussi les héritiers des guerres de religion passées !
On me le l'a souvent répété : « Mais t'es qui toi pour parler de Frantz Fanon ou d’Édouard Glissant ? » et Eneko aurait ajouté : « Et en plus tu n’es même pas marron puisque tu es beige ! »
Frantz Fanon, parlons-en justement avec cette phrase qui est déjà une évidence : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, tendez l'oreille, on parle de vous . »
Fanon était un authentique révolutionnaire qui s’est dressé contre la bêtise colonialiste. Alors qu'il aurait pu se comporter comme un psychiatre reconnu malgré la couleur de sa peau, il lui aurait suffi de mettre un masque blanc pour se mouvoir dans cette France éternellement réactionnaire et raciste.
Non, il a préféré aller jusqu’aux bout de ses idées car c'était aussi un psychiatre révolutionnaire comme un de ses mentors, François Tosquelles. Tous les deux considéraient la psychiatrie comme étant l’exact reflet des conceptions politiques, économiques, philosophiques et religieuses des sociétés humaines.

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Fanon avait souffert du mépris larvé de ces " psys bien comme il faut " , qui débitaient de grosses âneries à propos des colonisés. En septembre 1957, il écrivait : « […] La torture en Algérie n’est pas un accident, ou une erreur, ou une faute. Le colonialisme ne se comprend pas sans la possibilité de torturer, de violer ou de massacrer. La torture est une modalité des relations occupant-occupé. »
Et pour conclure ce débat avec mes petits créolisés, j'ai ajouté la fameuse remarque d'Édouard : « On ne prend pas au sérieux un nègre qui pense ! »
II La découverte de Saint-Pierre de la Martinique
J'arrivais à Saint-Pierre avec un sacré handicap puisque je ne connaissais pas bien Nicolas de Myre. Et pourtant je suis reparti la valise chargée de cadeaux comme celui-ci :.
- Ce livre sur Fanon est un trésor graphique mis en valeur par un texte remarquable.

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On y croise Sartre, Simone de Beauvoir, Claude Lanzmann, tous ces personnages qui ne m'étaient pas forcément sympathiques.
François Tosquelles, bien sûr, la merveilleuse Alice Cherki mais aussi Abane Ramdane, François Maspero, Marcel Mainville, Daniel Guérin en 1957, Jacques Charby, Marie-Jeanne Manuellan !
Rien que ça ...sans oublier Mohamed Harbi dont j'avais lu les œuvres. Et le plaisir de l'écouter dans l'émission de France culture " A voie nue ", lorsqu'il fut interviewé par Didier Leschi.
Et lorsque je suis arrivé à la fin des 230 pages de bonheur, les larmes me sont venues aux yeux tellement c'était puissant !
- Autre trésor PEYI AN NOU, dessinée et racontée par Jessica Oublié et Marie-Ange Rousseau

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Une histoire méconnue, inconnue, oubliée : la déportation déguisée sous couvert d'un organisme officiel ou mafieux de type gaulliste comme cette époque en a tant généré, le Bumidom !
160 000 personnes déportées encore pour la grandeur de la France.
Tu parles : on commence avec le Code noir pour l'accumulation primitive du capital et " crève le bien-meuble " et on poursuit avec le Bumidom afin que le capitaliste instaure à vie l'accumulation historique du vol historique et du détournement de la valeur !
Poursuivons mes études caraïbéennes ...
III Dérives philosophiques au tour du Carbet
Lors de ce séjour, je reçus un dernier cadeau immatériel lorsque nous avons enfin réussi à trouver le Sénat carbétien.
Mon guide-pays Fred avait diligenté son enquête en créole et la rue qui connaissait ces " Messieurs ! " avait répondu.
Le lendemain, nous avions fini par trouver ces personnages de l'immensité dans leur temple du différenciée !
S'en était suivie, une formidable rencontre de l'éphémère autour d'un Ti-punch que je n'oublierai pas de si tôt !
Un échange historique à Bâton Rouge ininterrompu qui portait à la fois sur les batailles napoléoniennes en Espagne mais aussi sur Frantz Fanon, son frère Joby, Édouard Glissant.
Ce fut d'une intensité assez exceptionnelle comme il m'est rarement arrivé d'en vivre.
Et en rentrant, je me suis empressé de prévenir Julian, le Gamin du Carbet pour lui signifier que cette rencontre avec ses oncles s'était enfin réalisée.
Par la suite, Julian m'avait offert Texaco de Patrick Chamoiseau qu'il avait dédicacé ainsi : " Pour un " ami " une partie de l'histoire d'un " an bel peyi ". Et de fil en aiguille, cet inattendu s'est décliné ainsi avec ce drôle de rebond.
Entre Saint Pierre et Le Carbet, nous avions traversé un champ de totems plus majestueux les uns que les autres.
C'est Patrick Chamoiseau qui est à l'origine de ce merveilleux ensemble artistique.
Le poète écrivain, philosophe de la créolité avait voulu rendre une mémoire de l'imaginaire de la ville qui fut entièrement détruite lors de l’éruption de mai 1902.
Et comme il a l’habitude de dire : « On aime ou on n’aime pas ? ». Moi, j’aime beaucoup parce le talent des sculpteurs me fascine.
Un peu plus loin se cachait le jardin dédié à Aimé Césaire. Autant je connaissais l'homme politique autant j'ignorais l'immense poète qu'il fût. Dans son fameux traité Discours sur le colonialisme, Césaire avait même eu l’outrecuidance d’écrire ce que pensent encore les affreux qui ont colonisé la bêtise en France : « La régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l'ordre providentielle de l'humanité » avant de poser la question : « Hitler ? Rosenberg ? ». Perdu ! « Non, Renan ! »
Et lorsque je vois tous les crétins de la non pensée d’aujourd’hui s'exprimer, je me dis qu’interdire ou pire, brûler des livres est l'acte fondateur du fasciste d'hier et celui du fasciste de demain puisque mettre à l'index une œuvre d'art n'est que l'allumette qui perpétuera la terreur intellectuelle.
Mais ce ne sont pas les petits hommes vociférateurs du fascisme actuel qui arrêteront ce processus humanitaire naturel de créolisation avec leur foi de Mésozoïques attardés à deux balles !
Et pour clore ce tour de l'interrogation en Carbétie, nous avons été sur les terres du philosophe-agriculteur-apiculteur, un cousin de Julian, décidément !
Un grand moment de découverte paysagère conclue par la dégustation de ses fameuses écrevisses.
Merci pour tous ces cadeaux reçus et à bientôt dans ce nouveau coin du Tout-Monde !
IV La créolisation de la randonnée
Nous la devons à Alain, le beau-frère de Fred qui a sculpté sa trace sur des mornes au-dessus du Carbet.
La créolisation s'est faite d'abord en Martinique puis en Francilie avec les Imprévus de la célèbre Pom-Pom-Girl, Sandra, les Harmonistes et les Acéristes, sans oublier Jean Claude, l’indispensable œnologue de tout groupe de randonnée sérieux !

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Ce furent de formidables Reclusiennes créolisées !
Rien qu’en regardant les photos on comprend que le bonheur a traversé ces journées.
Je n'ai retenu que cette Reclusienne créolisée sur les falaises du Vexin, car la chasse allait bientôt reprendre ses droits.
Pour le premier décollage, Mikel avait sorti le ravitaillement mais Alain lui avait dit de ranger la bouteille !
Je fus même surpris de voir Éric déguster ce divin breuvage à une heure aussi matinale !
Bien plus tard, au moment où Jean Claude et Nico s’occupaient à déboucher des bouteilles de blanc pour l’apéritif, on a vu arriver trois 4x4 qui avançaient en se dandinant dans les chemins défoncées des champs.
Parvenus à notre hauteur, Fredo les avait appelés pour qu’ils viennent trinquer avec nous !
Chasseurs ? Non ! Bourgeois ? Oui ! Ça j’en étais sûr car ils transpiraient la classe sociale honnie soit qui marc y pense mal !
Faisant fi de nos supposées différences sociales, nous avions échangé lorsqu'ils étaient descendus de leurs carrosses. Comme ils venaient de l’Essonne, ils traversaient l'Île de France comme leurs ancêtres des Grandes Compagnies moyenâgeuses.
Et des Jacques modernes avaient réussi à les arrêter. Mais le plus étonnant survint lorsque un des nobliaux peu habitué à ce type de rencontre improvisée sortit : « D’habitude, les randonneurs nous jettent des pierres et là c’est sympa que vous nous invitez à boire un coup ! »

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Dans ces éphémères de bonheur, rien ne vaut la sentence libératrice d'Édouard Glissant qui illustre à merveille la Relation :
« Je peux changer en échangeant avec l'autre, sans me perdre pourtant ni me dénaturer. »
Comme le camarade Jordi connaissait aussi parfaitement la Martinique, ce billet me fait dire que l’Harmonisme reclusien et la Créolisation frisent avec l’intelligence situationnelle de l’ailleurs et de l’autre.
On peut me regarder avec des yeux décalés lorsque je dis ça, je l’admets et comme je l’ai malheureusement souvent mal exprimé, alors j'ai préféré l’écrire.
Quant à Jordi, c’est aussi le randonneur reclusien par excellence qui possède un zeste de créolisation que je ne peux évoquer ici car cela sortirait du cadre de ce billet.

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La photo prise par Laure est assez exceptionnelle, non pas parce que Jean-Claude détaille les qualités du vin qu'il va servir aux camarades-copains mais parce que l'aventure continuait en Francilie au moment où nous venions de migrer dans un territoire communiste du Tout-Monde, Tarnos !