Mais commençons par cette révélation !
Un jour, j'ai réalisé l'ascension du pic d’Ori qui culmine à 2017 mètres d'altitude.
Cette montagne d’Euzkadi est considérée comme notre mont Sinaï ou notre Djebel Moussa pour rester neutre dans ces dérisoires combats de l'irraisonné !
Parvenu au sommet, j’ai croisé un berger qui était assis sur le rocher qui se trouve à côté de la colonne qui indique le point culminant de l'Ori.
J'avais envie de lui chanter un psaume du style : « Tu es mon berger ô Seigneur …» mais avant que je me lance, la nuit est tombée en instantanée.
Puis le voile noir fut déchiré par un éclair style Zorro suivi d'un horrible fracas. J'étais pris dans un orage d’une violence inouïe.
Le berger s’était alors volatilisé pour laisser la place à des abeilles agressives qui volaient au-dessus de ma tête et cliquetaient en frappant la roche comme des lucioles déjantées !
J'ai cru que j'allais être foudroyé ! Alors comme un Aguirre tout à sa colère de Dieu, j'ai chargé le sac à dos et fui cet enfer dantesque en prenant le risque de basculer dans le vide ou de glisser car je n'y voyais toujours rien. Mais comme je n'avais pas le choix, j'ai abordé prudemment la descente, traversé en "chaussons" la brèche effilée d’Alupiña toujours sous des trombes d'eau avant de plonger dans la descente infernale du Zazpigaina.

L'orage ayant enfin fini par m'ignorer, je suis arrivé sain et sauf aux Kayolars d’Ibarondoa. Un véritable miracle !
Ce jour-là, j’ai décidé de plus jamais mettre ma vie en danger en haute montagne, préférant privilégier la randonnée harmoniste reclusienne, ce qui ne veut pas dire que je n'irai plus marcher dans les Pyrénées. Non, mais je ne veux plus me faire peur en me retrouvant dans des situations où tu ne maîtrises plus rien.
Et de randonnée en randonnée, la poésie a tué la dimension physique depuis ce fameux miracle où j’avais confondu le berger avec ma bonne étoile !
Finalement le seul berger envoyé par les étoiles qui guidait mes inconnues, fut Max Demau, l'ancien d'Ici Ondres !!!
Cet encyclopédiste du méconnu, je l'avais croisé à Paris dans l'ancien repaire relooké de mes camarades Tatave et Roland.
Max m'avait de suite impressionné par sa capacité à concentrer autant de qualités humaines.
Mais là où il m'avait soufflé c'est lorsqu'il m'avait fait découvrir les poètes de l'irrationnel ou du décalé comme Antonin Artaud par exemple que même ma sœur Fafou connaissait parfaitement alors qu'avant la sortie des Chroniques Rouge & Noir où sa photo était en première page, je n'en avais jamais entendu parlé.
Et lorsque j'ai retrouvé l'étoile hébergée en Seine et Marne, voilà ce qu'il m'avait annoncé :
"Marc, la lecture de L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique, d'Élisée Reclus fut une révélation."
Quand je vous dis que c'est un mec bien Max. Et puis il est libre Max, la preuve :
" Je suis tombé dessus par hasard, dans une librairie du côté de la gare du Nord. J'ai été bluffé par la limpidité des idées et de leur mise en forme. Du grand style et un hymne à la Vie avec un grand V.
[...] Et puis, bien sûr, d'autres livres de ce géopoéticien, cet intellectuel nomade écossais dont je te rebats les oreilles depuis quelques mails. Bref, un Kenneth White, un Élisée Reclus…"
Cet inconnu Kenneth White, je l'avais mis de côté pour l'étudier à tête reposée car je sais que Max ne s'intéresse qu'à du lourd dans des matières considérées comme inintéressantes par les fameuses cordées réactionnaires au possible de Charlotte, qui cherchent par tous les moyens y compris la guerre à retarder la baisse tendancielle inexorable du taux de profit.
Et un podcast d'une nuit rêvée avec Kenneth White sur France Culture plus tard m'a permis de retrouver son cadeau !

Comme personne ne m'attend pour la rentrée littéraire (j'en ai eu encore la preuve en regardant les livres sélectionnés dans la très belle librairie de Nay), j'ai décidé de suspendre la publication de mes prochains billets annonciateurs du dernier livre de la saga des Laruna, car cet écossais comme un petit pois venait de bouleverser mon ordonnancement prioritaire déstructuré y compris en randonnée.
Et j'allais profiter d'une première géopoétique révélée en Béarn pour m’expliquer cette incroyable découverte.
Départ de Salies dans une brume déjà automnale. Étonnant ce paysage anticonformiste après les dernières vagues de chaleur.
Mais avant de me pencher sur le texte de Kenneth White comme j'avais toute la journée randonneuse devant moi puisque les petits-créolisés étudiaient leurs racines basques chez Fanchon, en compagnie de Blanche leur grand-mère "herriko" vert et rouge, je réfléchissais à cet évident jeu des différences.
D'un côté, la randonnée harmoniste reclusienne englobe tous les points classiques d'expression corporelle que développe un groupe d'individus.
Une banale troupe de théâtre ambulant improvisant des jeux de rôle tout au long du parcours.
De l'autre, l'individu marche seul même au sein de ce même groupe.
Il m'est arrivé de marcher avec des Mangeurs de vent mais reconnaissons-le, le plus souvent avec des Laboureurs (comme la bande du Trinquet et leurs attachés greffés).
Facile mon allusion à Boris Cyrulnik, car je viens de finir ce matin son livre Le laboureur et les mangeurs de vent que Jean Pierre m'avait conseillé.
Alors la géopoétique marchée qu'es aco ?
Une nouvelle lubie ? Que nenni !
Juste la représentation d'une évidence que le monsieur Jourdain que j'étais, a conceptualisé pour marcher à l'intelligence depuis que je constate que la santé va s'altérer jusqu'à ma disparition naturelle du Tout-Monde !
Mais redonnons la parole à mon mentor ès géopolitique whitienne :
" Bonjour Marc, oui, je t'ai déjà parlé de Kenneth White, cet Écossais atypique, créateur du concept de géopoétique, [...] épris de philosophie, d'histoire, d'anthropologie, dont on peut séparer (artificiellement) l'œuvre en deux : d'un côté des livres denses avec énormément de références (Rimbaud, Nietzsche, etc., et même Élisée Reclus), de l'autre des récits plus abordables et sensibles (mes préférés).
Dans la première catégorie, on retrouve La figure du dehors, Le plateau de L'Albatros, entre autres.
Dans la seconde, La route bleue, Les cygnes sauvages, Lettres de Gourgounel.
Voilà Marc, un premier aperçu de l'œuvre de ce lascar attachant. A bientôt. Max "
Et lors de cette randonnée sans autre intérêt que de marcher en paix et de photographier du banal et de la simplicité, je me suis arrêté plusieurs fois pour laisser l'écossais m'expliquer.

Au premier arrêt, je me suis posé sur un rocher bienvenu. Comme l'orage annoncé était aux abonnés absent, j'ai bu une gorgée d'eau avant de déplier mon papier où j'avais écrit une première approche de Kenneth :
« Le grand champ de la géopoétique. Une théorie ? Oui. N’ayons pas peur de ce mot, qui a été écarté ces derniers temps pour laisser place à un fourmillement de bidules et de bricolages. Sans théorie, on tourne en rond, on entasse des commentaires et des opinions, on s’enferme dans l’imaginaire et le fantasme, on se perd dans le spectaculaire, on se noie dans le détail, on étouffe dans un quotidien de plus en plus opaque. »
Ça commençait fort, mais avant de recharger le sac à dos, j'ai poursuivi :
[...] j’en suis arrivé à l’idée que c’est la Terre même, cette planète étrange et belle, assez rare apparemment dans l’espace galactique, sur laquelle nous essayons tous, mal la plupart du temps, de vivre.
D’où le « géo » dans ce néologisme.
Par « poétique », j'entends une dynamique fondamentale de la pensée. C'est ainsi qu'il peut y avoir à mon sens, non seulement une poétique de la littérature, mais une poétique de la philosophie, une poétique des sciences et, éventuellement, pourquoi pas, une poétique de la politique.
Et une poétique de l'anarchie, c'est possible Kenneth ?
On verra ça plus tard, reprenons :
" [...] Le géopoéticien se situe d’emblée dans l’énorme.
[...] la géopoétique ouvre un espace de culture, de pensée, de vie. En un mot, un monde.
[...] Un monde, bien compris, émerge du contact entre l’esprit et la Terre. Quand le contact est sensible, intelligent, subtil, on a un monde au sens plein de ce mot, quand le contact est stupide et brutal, on n’a plus de monde, plus de culture, seulement, et de plus en plus, une accumulation d’immonde.
[...] La géopoétique est en effet une théorie-pratique qui peut donner un fondement et des perspectives à toutes sortes de pratiques (scientifiques, artistiques, etc.) qui tentent de sortir aujourd'hui de disciplines trop étroites, mais qui n’ont pas encore trouvé une assise et donc une dynamique durable."
Merci Kenneth, c'était limpide !
Alors je suis reparti, avant de m'arrêter un peu plus loin devant une belle cascade.

Autour de moi que de l'eau ! Étonnant en cette période de sécheresse !
Encore plus loin comme le vieux pont de bois était écroulé, je suis passé à guet.
La suite de ma première géopoétisée fut bien plus classique avec ces voletées de fin d'été de papillons et de libellules.
Et les Pyrénées étaient toujours en grève à cause du temps orageux.

Une fois que j'avais fini de lire Kenneth, je me suis dit qu'un poète qui avait posé son sac en Ardèche, à Trébeurden chez les chapeaux ronds et à Pau chez Gisèle et Éric, il fallait que j'aille plus loin dans la rencontre.
Alors je suis reparti heureux même en ttanquant car je venais de comprendre que Max m'avait offert de nouvelles pistes avec le poète écossais.
C'est drôle mais cette réflexion avait fini par me faire oublier mon genou.
Il fallait à présent que je lise du Kenneth White exactement comme je l'avais fait avec Élisée Reclus.
Quant à sa géopoétique, il était naturel que je l'intègre à mon harmonisme reclusien.
En prenant le temps de clore au ralenti cette belle boucle de Salies, je venais de comprendre que de belles perspectives marchées et réfléchies m'attendaient.
Adieu Anie, Ori, Txindoki, vous êtes déjà relégués dans une mémoire du formidable, et bienvenue à tous les inconnus de la simplicité certainement pas de la banalité.

Avec mes compagnons habituels de l'intelligence Élisée et Pierre n'en déplaisent à tous les Foutriquets de la médiocrité à rentabilité maximale, ajoutons-y Kenneth White, et le déplacement dans le temps fini et l'espace infini allait à nouveau se renouveler !
Et ça c'est formidable ! Merci à Max, mon professeur de géopoétique et à ma camarade et amie Cathy qui m'a envoyé ce complément d'information sur Kenneth White.
Article de la rédaction de Lannion du journal Le Trégor, publié le 16 Janvier 2022.
" Depuis 40 ans à Trébeurden, Kenneth White se concentre sur son travail de réflexion et d’écriture dans le penty de la fermette, Gwenved, où il réside avec sa femme Marie-Claude.
Un écrivain libre
Le « nomade intellectuel » n’accepte pas d’être enfermé dans une culture, une pensée ou une croyance. Je travaille douze heures par jour pour tenter de jeter les bases d’une culture vive et fondée, une vraie démocratie. Je travaille à une nouvelle manière d’exister sur la terre.
En 1989, après des années de recherches, Kenneth White a fondé l’Institut international de géopoétique (symbiose non figée entre poésie, pensées et sciences).
« On n’a jamais vécu richement mais librement, et c’est plus important que tout. »
Gwenved est un lieu d’existence dense et intense. Il y a rassemblé un millier de livres, qu’il lit ou relit. « On a besoin d’influence pour se développer. »
Cartes géographiques, documents et souvenirs de voyages tapissent les murs. Je voudrais faire de cette maison une Maison d’écrivain. J’aimerais que ça devienne un lieu d’inspiration, qu’on puisse visiter. Un lieu de vie et de pensée. "
Avec en prime pour conclure ce billet une archive INA
https://www.youtube.com/watch?v=1NtDU5UXrpQ