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Historien de la musique - Producteur à Radio France (1985-2014) - Conférencier, auteur et dramaturge.

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Billet de blog 24 avril 2017

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Que tout change pour que rien ne change ?

Derrière Macron, les trois suivants se tiennent dans un mouchoir de poche. C’est bien le premier enseignement qui s’impose. Qui eut pensé un tel résultat il y a exactement trois mois ? On annonçait partout un duel Fillon-Le Pen. Un Hamon en orbite et Mélenchon dans les limbes, sous 10 %...

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Illustration 1


La crise politique est devant nous.

Macron 8.657.000 voix 24,01%

Le Pen 7.658.000 voix 21,30%

Fillon 7.213.000 voix 20,01%

Mélenchon 7.060.000 voix 19,58%

Hamon-Jadot 2.291.000 voix            6,36%

Le séisme est total. Mais nul n’a remarqué que l’attentat de jeudi 20 n’a visiblement pas eu les conséquences redoutées. Tant mieux.

Les deux partis de Gouvernement qui gouvernent depuis 35 ans ont explosé sous nos yeux.

Ce n’est que logique politique. Oui, le « dégagisme » est un mouvement de fond. En quelques mois, tour à tour ont été éliminés : Duflot, Sarkozy, Juppé, Hollande, Valls, Montebourg, Fillon, Hamon… Tous sont renvoyés aux oubliettes de la crise politique.

- Le parti de Fillon paye ses mensonges (jusqu’à inventer des attentats fictifs jeudi soir en direct…) et ses affaires. Mais aussi son projet de « guerre sociale » comme il le disait lui-même. La mobilisation de l’électorat de droite – qui souvent a voté pour son candidat en se bouchant le nez – ne doit surtout pas cacher l’échec de la purge terrifiante que ce parti politique vermoulu voulait administrer aux français. La droite va se déchirer dans les semaines à venir. Une partie de son électorat va définitivement s’orienter vers le F-Haine, comme les thèmes de fin de campagne filloniste l’annonçaient, sur papier glacé et glaçant, dénonçant l’immigration.

- Jadot n’a pas réussi son pari, lui qui annonçait, après la primaire d’EELV en décembre, qu’il visait les 10%. Sauf qu’à l’époque, il était seul. Et que c’est PS + EELV effondrés qui sont très loin d’atteindre ce seuil : ils devancent Dupont Aignan de 500.000 voix… Et la candidature Hamon a - au sens propre - fait battre le coeur de la gauche.

L’échec est historique, pour les deux forces minées par le catastrophique quinquennat qui s’achève sur les trahisons en cascades.

- Pourtant, la créature de Hollande et des milieux d’affaires arrive en tête : ce n’est qu’un écran de fumée que cache mal le vide d’un discours et d’une fête de victoire plus que déplacés – indécents. Un élément clé de la crise n’est absolument pas pris en compte : celui qui arrive en premier compte 2.800.000 voix de moins que Sarkozy en 2007 et 1.600.000 de moins que Hollande en 2012. Pas de quoi crier victoire, mais plutôt matière à réflexion sur les courants de fond à l’œuvre dans la société. Car enfin, ce score de Macron est plutôt faible, pour ne pas dire minable, au regard du poids médiatique mis dans la balance comme du nombre des ralliements de tous ordres venus lui faire la courte échelle. Avec tant d’argent et de zèle, il devrait caracoler loin devant. La réalité est bien que le vote Macron a réussi à amalgamer des sarkozystes aux vallsistes, de Madelin à Attali ou Mme Tibéri, de Cohn Bendit le radoteur au vieux cheval de retour Bayrou, des milieux d’affaires pro-européens aux électeurs paniqués à l’idée qu’un deuxième tour aurait pu mettre Fillon face à Le Pen. Une partie non négligeable du vote Macron s’est fait hier sur cette peur : ces voix-là auraient pu qualifier Mélenchon à la place de Le Pen !

- Donc le F N est qualifié. Mais pas en première place, ni avec la dynamique promue et promise par les médias depuis des mois et des mois. C’est 2.130.000 voix de plus qu’en 2002 et 1.200.000 de plus qu’en 2012. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Ce national-socialisme relooké est le danger le plus grand que connaisse la France depuis 1945. Leur slogan le dit clairement : « remettre la France en ordre », un ordre nouveau qui sent le rance plus que la France. Avec pour symbole une épée croquée en rose bleue. Le Front National a réussi a imposer sa vision politique ; ce qu’il appelait l’UMPS a pris forme en la personne de Macron.

- Il s’en est fallu de 600.000 voix pour que Jean-Luc Mélenchon ne soit placé devant l’héritière Le Pen. C’était impensable il y a quelques semaines et cela tient à la formidable campagne menée partout, au plus près des gens. Sur le terrain, par centaines de milliers, nous sommes allés chercher les voix une par une, discutant, argumentant autour d’un programme, sans caricature mais avec un élan et une jeunesse permettant clairement d’affirmer : le meilleur de cette campagne électorale, ce qui a redonné sens au mot Politique – loin des compromissions et des affaires, si loin du flou et de la libérale d’une Europe de la rigueur comme horizon. Frôler les 20% est une immense victoire ! Et un immense levier pour l’avenir. Car regardons lucidement la situation en face. Jamais aucun sondage sérieux ne nous a placé en tête ou en second. Il faut se souvenir d’où nous partons et du paysage catastrophique qu’a laissé Hollande et ses 5 années. Se souvenir du temps long aussi. Car jamais depuis 1969 un candidat vraiment à gauche n’a réussi plus de 15,35% des voix . Ce fut le score décevant du PCF de Georges Marchais au premier tour, avec 4.456.000 voix.. En 1969, Jacques Duclos faisait 21,27% avec 4.800.000 voix. En 2007, le PCF, avec M G Buffet, faisait 1,93%...  En 2012, Jean-Luc Mélenchon faisait 11,1% avec 3.984.000 voix. Gardons les chiffres et l’histoire en tête, afin de mieux mesurer le chemin parcouru vers nos 7.060.000 voix : + 80% ! Malgré la haineuse campagne caricaturale des deux dernières semaines, du sommet de l’Etat aux officines des réseaux sociaux. Nous sommes l’événement politique positif de ce premier tour – c’est bien pour cela que les commentaires l’occultent d’ailleurs : trop explosif. 

Et maintenant ?

- Fillon, puis Hamon, ont, hier soir, immédiatement appelé à voter Macron. 

Pour le premier, c’est l’antithèse de sa campagne sur le plan des valeurs (immigration, sécurité, références historiques…) mais pas du tout sur le plan du programme économique : celui de Macron est à peine plus soft. Les deux ont reçu la bénédiction de Gattaz et du Medef.

Pour le second, il s’agit purement et simplement de manger son chapeau. Après avoir vaincu Valls, voici Hamon se ralliant à la créature du Hollandisme ! Le chef de l’Etat est vraiment un grand stratège : va lui succéder celui dont il disait « Macron, c’est moi », celui qui fut son conseiller particulier dès 2012 avant d’être son Ministre des Finances, propulsé ensuite sous tous les feux des projecteurs médiatiques comme l’incontournable challenger de Le Pen. Le milieux d’affaires n’ont qu’à se réjouir – ce qu’il font dès aujourd’hui comme le montrent les 4% pris par le CAC 40.

- Qu’est-ce qui nous rapproche de Macron ? L’écologie, l’Europe, la conception de la démocratie, la politique de Paix, l’ubérisation de la société, la réduction drastique du budget de l’état et du nombre de fonctionnaires, la politique de santé, la fiscalité… Tout nous oppose. Et l’on devrait appeler à voter Macron sans discuter, réfléchir entre nous auparavant ?

- Depuis la déclaration de Mélenchon ce dimanche à 22 heures, nous voilà assignés : « Vote Macron et tais toi ! »Les loups sont lâchés – encore une fois au seul mépris des mots dits et en total refus de toute prise en compte de la réalité politique nouvelle, comme de toute honnêteté intellectuelle. Les pires raccourcis se retrouvent dans les médias traditionnels comme sur les réseaux sociaux. Là s’y exprime une haine qui n’est peut-être pas à même de donner envie de glisser un bulletin en faveur de ceux qui jettent l’anathème sur un homme et un mouvement forts de 20% des suffrages !

Peut-on seulement réfléchir un instant autrement que sous la contrainte du pistolet sur la tempe, sous couvert d’un hypothétique Front Républicain ? C’est bien parce que la France Insoumise est l’événement politique de ce premier tour que l’on nous somme de répondre à l’injonction ici et maintenant. Les belles âmes socialistes et macronistes s’indignent, s’offusquent et insultent. En oubliant par exemple qu’en 2002, Lionel Jospin a pris quelques jours avant de s’exprimer… Alors reprenons.

- Non, la déception de Mélenchon n’est pas celle d’un immense ego blessé. Dire cela évacue totalement le politique – même si l’homme qui ne s’est pas ménagé a de bonnes raisons d’être déçu. Car c’est bien la colère après un immense combat pour l’avenir, mené sabre au clair, enthousiasme à la boutonnière, perdu pour quelques dizaines de milliers d’électeurs choisissant le camp de la peur plutôt que celui de l’espoir et quelques milliers d’autres fiers d’avoir mis le champion Hamon en situation de tout perdre devant Macron plutôt que de risquer de tout gagner avec Mélenchon. Un deuxième tour sans Le Pen eut été possible. Un autre visage politique eut été autrement moins anxiogène – pour tout le monde. On ne refait pas l’Histoire. On la vit – et on l’analyse.

- Toute la campagne de la France Insoumise n’a cessé de redire que le pouvoir devait revenir aux citoyens. Mais comme les médias et politiques n’ont cessé de représenter Mélenchon en « leader maximo » – le magnifique actuel Président de la République lui-même le comparant à un dictateur – ils le somment de choisir entre Le Pen et Macron ; refusant d’entendre ses mots précis : « chacun et chacune d’entre vous sait, en conscience, quel est son devoir. » Négation aussi de la réalité de notre mouvement. Car celui dont on accuse l’ego d’être sur-dimentionné, attend de la base, de ses plus de 450.000 soutiens, un mandat qu'il sera chargé ensuite de rendre public. C'est une procédure démocratique, tout simplement. « On » n’est pas habitué à cela ! Alors, on l’invective, on l’insulte – allant à nous comparer encore au F N – jusqu’à faire croire que le choix de voter pour ce parti pourrait même être proposé aux Insoumis… Il y a là, de notre part, quelque matière à être très en colère.

- Toute la campagne de la France Insoumise s’est développée en fonction d’une analyse politique précise, faite en amont. Cette stratégie – hors des lamentables primaires d’une Belle Alliance squelettique, hors des petits arrangements de partis en vue de places à venir – a démontré avec une force stupéfiante, sa justesse, nous propulsant à presque 20%. Cette stratégie prend en compte une analyse de la société et de ses ruptures, de ses contradictions comme des réalités politiques dans lesquelles nous vivons. Qu’en est-il maintenant ?

* Est-il besoin de redire à quel point nous sommes anti-F N ? Vues les attaques, peut-être. Mais je n’insisterai pas ici – tant au quotidien de notre programme et de nos actions sur le terrain nous l’avons combattu sur tout – ce que nous ne cesserons de faire les prochaines et dures années à venir. Elle est au deuxième tour : JAMAIS LE F-HAINE !

* Allons-nous voter contre le F-Haine – c’est à dire voter Macron ? En 2002, celles et ceux qui – sous l’effet de la sidération – ont voté Chirac se sont bien fait avoir. Car il n’a tenu aucun compte de cet électorat. Qu’en sera-t-il en 2017 ? Macron n’a aucunement l’intention de dévier de son programme. Son passé avec le 49-3, ses déclarations sur le fait qu’il n’hésiterait pas à employer des méthodes très autoritaires n’incitent pas à la confiance. Mais – direz-vous – il ne s’agit pas de cela. Ah bon ? Depuis quand un vote n’a-t-il pas de poids ? Pour voter Macron, il faut qu’il y ait un risque grave de victoire de Le Pen. Rien ne le laisse augurer ce lundi. Donc débattons.

* S’abstenir ou voter blanc ? C’est montrer notre total désaccord avec la haine mais aussi avec la finance aux manettes. Mais c’est également, arithmétiquement, donner la moitié de sa voix au F N puisque le vote blanc n’est pas reconnu (Contrairement à JLM, ce n’est pas Macron qui va le faire) Là est le vrai, le seul problème. Car de fait, dans les chiffres, cela équivaut à gonfler son pourcentage final.

* Mais dans la réflexion, il faut intégrer un autre élément : Nous avons été aux avant-postes du combat contre le F N. Voter blanc ou s’abstenir ne voudrait aucunement dire que nous nous désintéressons de l’élection mais bien que nous refusons ce choix et que nous refusons de nous retrouver amalgamer avec tous les anti-Le Pen pro Macron. Dans quelques mois, face à la politique Macron annoncée, il sera vital de ne pas avoir été associé à son élection. Au risque, en ce moment, d’être particulièrement vitupéré – ce qui ne changera pas beaucoup d’ailleurs.

Il reste douze jours pour penser, écouter et choisir. Mes réflexions vont choquer ? C’est bien parce que la mesure de ce qui s’est passé hier n’est pas encore prise. Et que, finalement, le choix que l’on nous présente pour cette Présidentielle est celui-ci : changer pour que rien ne change dans l’ordre en place.

http://elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2017/

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