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Billet de blog 1 mai 2020

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Comment bâtir un monde d’après-covid, différent ?

Comment et au nom de quoi se pourrait-il que l’après covid 19 ne soit pas comme avant ? Au nom d’un idéal qui peut être énoncé en quelques principes. Et qu’au nom d’un tel idéal partagé tout un ensemble de forces politiques et sociales se réunissent pour élaborer des propositions, des mesures basculantes et en imposent l’application au pouvoir en place. Il y a urgence maximale.

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Comment bâtir un monde d’après-covid, différent ? 
Comment et au nom de quoi se pourrait-il que l’après covid 19 ne soit pas comme avant ? Nous sommes des millions à nous demander en effet, comme Edgar Morin : « Les déconfinés reprendront-ils le cycle chronométré, accéléré, égoïste, consumériste ? Ou bien y aura-t-il un nouvel essor de vie conviviale et aimante vers une civilisation où se déploie la poésie de la vie, où le « je » s’épanouit dans un « nous » ? Comment et au nom de quoi pourrait-on basculer du « bon côté » ?
L’histoire nous l’apprend : le changement est un combat
Dans les grands moments historiques graves, il s’est avéré possible qu’une large mobilisation de forces vives se fasse, qu’elles se rassemblent malgré leur diversité, pour modifier le cours « naturel » des choses qui emmenait des peuples à la catastrophe et le faire bifurquer vers du meilleur. Dans le passé lointain ce fut par exemple chez nous, au nom des Saints et du Roi à sacrer, que Jeanne D’Arc rétablit – par les armes- la France menacée de disparaître sous la domination anglaise. En Russie, c’est au nom du peuple des soviets ou conseils populaires que Lénine pilotera – après des années de guerre civile- l’éradication des anciennes structures féodales. Faisant régner un communisme qui devint totalitaire et qui céda en 1991, au nom de la victoire dite finale du modèle libéral de marché. En France, au sortir de la deuxième guerre mondiale, après une lutte menée durant des années pour résister à l’expansion du totalitarisme nazi, c’est au nom de la Liberté retrouvée, que le conseil national de la résistance avait pu rassembler des forces qui y redessinèrent complétement un pacte social pour la nation ; mais la troisième voie, vantée par les Giddens et Beck, en a eu raison et son détricotage commencé dans les années 1990 était en voie d’achèvement avec Macron.
Pour que notre option du « nous » ait quelque chance de l’emporter, il faut se rappeler que cela se fait toujours de haute lutte. Il faut aussi être conscient de l’endroit où se trouve cette frontière qui nous sépare, et forger une opposition forte et puissante capable d’arrêter la dynamique néo-libérale qui s’est emparée progressivement du monde et de la France. Et qui entend bien repartir au mieux, le plus vite possible. Si elle se relance, c’en est fini de notre option. Ne nous trompons ni d’adversaire ni de combat. La dynamique en cours se fait charmante voire sidérante en s’habillant des supposées liberté et responsabilité individuelles ; en gommant les réalités faisant des premiers de cordées des soutiens de ceux qui sont à la traîne ; en prenant des couleurs vertes mais en ayant été incapable de prendre les mesures de plus en plus urgentes pour enrayer la menace de catastrophe écologique. Entre les membres des élites économiques et politiques dirigeantes actuelles et le reste de la population présente et les générations futures, les intérêts sont en forte divergence. Certes la situation d’une partie des classes moyennes a gardé quelques avantages d’avant 1990, mais elle continuera à se dégrader et celles des classes plus populaires empirera plus vite que le rythme auquel poursuivront leur enrichissement les classes supérieures tout en se prémunissant au mieux des désastres écologiques.
Une mobilisation au nom d’un idéal commun
Construire ce « nous » est donc un combat, et ce n’est pas une reprise des activités comme avant qu’il faut engager. Il faut entreprendre une transformation profonde de la structure de notre appareil de production de biens et services, de l’organisation de nos services publics, de l’aménagement de nos villes et de nos campagnes. Il y a lieu de construire une mondialisation coopérative, écologique et non néo-libérale, productiviste. Une formidable transformation qui doit bousculer tous nos modes de fonctionnement et qui vient heurter tous les pouvoirs établis. Une transformation sociale, écologique et démocratique que des initiatives locales dispersées pourront continuer à préparer mais il faut plus pour l’accomplir. Pourraient y contribuer certaines entités, partis politiques, organisations qui partagent le bien-fondé de cette alternative parce qu’elles se réfèrent les unes et les autres à des valeurs qui sont proches mais spécifiques et distinctes. Diverses variétés de socialisme, d’écologie, d’anti néo-libéralisme. Mais cette multiplicité les rend impuissants par leur division qui fait en outre le lit du populisme autoritaire comme seule opposition organisée au pouvoir en place. Malgré leur diversité, si ces initiatives percevaient qu’elles partagent un même idéal, elles pourraient se rassembler en son nom, pour mener un combat victorieux contre le néo-libéralisme et contribuer ensemble à fonder un nouveau pacte social.
Il faut expliciter cet idéal en énonçant les principes partagés pour engager la nécessaire transformation sociale, écologique et démocratique. Leur énoncé peut s’inspirer de ceux du manifeste convivialiste et en retenir quatre : (1) modération responsable, (2) égale dignité, (3) liberté solidaire, (4) délibération créatrice. Ecologistes, socialistes, insoumis, anticapitalistes, réformateurs de différentes tendances, devraient pouvoir s’y retrouver, en acceptant l’idée que la réussite du projet de transformation ne peut s’appuyer sur les seuls principes qui leur sont historiquement les plus chers, mais sur une combinaison interdépendante avec d’autres. Presque toutes ces traditions politiques ont déjà intégré que la « modération responsable » était indispensable face à la menace écologique et à l’hyper concentration capitalistique. L’égale dignité doit absolument être atteinte avant même d’approcher la disparition de toute inégalité économique. La liberté individuelle ne saurait être négligée, mais elle ne peut signifier encouragement de la rivalité égoïste et doit se vivre dans le partage et la coopération. La démocratie active à tous les niveaux de territoire et entre eux est créatrice, par la délibération des citoyens et de leurs représentants, du commun à définir et à forger ensemble.
Au nom de l'idéal défini par ces principes, tout un ensemble de forces politiques et sociales doivent se réunir pour élaborer des propositions qui les mettent en œuvre. Elles pourront contribuer par des mesures basculantes à nous faire passer dans un monde d’après covid qui soit bien celui où les « je » s’épanouissent dans un « nous » dynamisant l’essor d’une civilisation conviviale. Il y a état d’urgence maximale.
Marc Humbert, Vice-président de l'association des convivialistes, professeur émérite à l’université de Rennes.

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