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Billet de blog 6 juillet 2021

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A l'occasion des cents ans d'Edgar Morin : revivifions l’humanisme !

Nous fêtons le centenaire d’un grand penseur qui a cherché, comme les humanistes, à produire une connaissance qui permette aux hommes d’être libres et heureux.

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 A l'occasion des cents ans d'Edgar Morin : revivifions l’humanisme !

Nous fêtons le centenaire d’un grand penseur qui a cherché, comme les humanistes, à produire une connaissance qui permette aux hommes d’être libres et heureux. Il cite Montaigne : « j’estime tous les hommes mes compatriotes » pour en conclure : l’humanité a en commun la même Terre-Patrie, tous les hum ains partagent une même communauté de destin. Ce qui se perçoit aujourd’hui mieux que jamais, grâce à la mondialisation.

Son apport théorique des six volumes de La Méthode (publiés entre 1977 et 2004), n’est pas d’accès facile, mais il a écrit en outre une soixantaine d’ouvrages où il s’adresse à tous et à chacun. Là, il nous offre des savoirs qui évitent les aveuglements et les réductionnismes dont sont remplis les discours usuels.

L’humanité : individu-espèce-société


Il centre son propos sur l’unité de l’homme. À la fois bio-physique – de la matière minérale et organique comme tout ce qui se trouve sur Terre. Et psycho-culturel – nous devenons pleinement humains par notre cerveau bio-physique qui constitue son psychisme en interaction, avec tout notre corps et avec l’environnement dans lequel nous baignons, milieu naturel et milieu social. Depuis les premières bactéries, une longue évolution a fait émerger notre espèce, qui a surgi avec une culture faisant naître des pratiques symboliques.


Le caractère humain est à la fois celui de l’individu, de l’espèce biologique et de la société. L’espèce est présente dans les gènes de l’individu, lequel produit l’espèce en se reproduisant. De même l’individu est dans la société qu’il fabrique avec ses semblables, mais la société est en lui avec le langage, les normes qu’il intériorise. L’individu dépend de la société, qui dépend des individus. Chacun des termes de cette trinité est à l’intérieur et producteur des trois autres. Trois « réalités » séparées mais inséparables.

Pour comprendre : ne pas séparer, ne pas nier les contradictions


Considérer l’individu de manière séparée est un aveuglement ou un réductionnisme à éviter. Des discours pourtant ont séparé l’homme du biologique, l’esprit du corps, l’humanité de la Nature. Poussant l’humanité à maîtriser la nature alors qu’elle est nature qui est en elle. Un aveuglement responsable de la crise écologique. Ou encore séparer l’individu de la société et c’est selon la réduction choisie, soit l’individualisme débridé du néolibéralisme soit le totalitarisme stalinien ou aujourd’hui chinois où la société écrase l’individu.


Morin souligne que Pascal a été l’un des rares penseurs à avoir compris et accepté l’homme pour ce qu’il est, un tissu de contradictions. Il est à la fois sage et fou – la folie est souvent géniale-, il est fabricant concret et rêveur de mythes et de religions, il est parfois soucieux de son seul intérêt égoïste. Mais à d’autres moments, prêt à la gratuité ou au jeu échevelé. Il ne faut pas séparer, mais essayer de comprendre cet emmêlement qui fait le côté multidimensionnel de la réalité humaine.

Epanouir le Je dans le Nous


Supprimer les contradictions offre l’illusion d’une pensée logique délivrant une vérité supérieure, qui se mue en idéologie totalitaire et vise à créer une société idéale.Morin ne prône pas une révolution, il invite à cheminer autrement, aider à ce que chacun vive poétiquement, plus que survivre prosaïquement. « Bien-vivre », se sentir en plénitude avec soi-même et avec autrui, épanouir notre Je dans le Nous ce qui est l’aspiration humaine fondamentale.
Le souci de l’épanouissement personnel était dans l’idée anarchiste d’une société libertaire. L’épanouissement du nous, dans l’idée communiste d’une société fraternelle. L’épanouissement de la société, dans l’idée socialiste d’une société meilleure.

En les réunissant avec l’idée écologiste de l’épanouissement de la relation entre l’homme et la nature, u lieu de vouloir imposer l’une d’entre elles, on peut nous dit Edgar Morin, cheminer vers le bien vivre, et conduire les réformes aptes à revivifier notre humanisme pour un monde meilleur.


Mais qui est cet Edgar Morin qui a fêté ses 100 ans le 8 juillet 2021 ?


Edgar Morin a marqué le monde de la pensée depuis la deuxième moitié du 20ème siècle et peut-être est-il le penseur de référence pour aider l’humanité à se sortir au cours de ce 21ème siècle des impasses où elle se débat. Penseur non-disciplinaire, mais combinant les connaissances de nombre de disciplines, Edgar Morin a construit une œuvre intellectuelle abondante qui renouvelle la manière de penser et de connaître l’univers où nous vivons. Il est principalement connu comme l’auteur d’une Méthode en six volumes, publiés entre 1977 et 2004 où il propose une manière originale et indispensable pour penser le monde de manière pertinente.


Il a fréquenté le monde politique, intellectuel et littéraire, depuis la deuxième guerre mondiale – et dans la résistance- jusqu’à aujourd’hui ; un temps marxiste et communiste, il a vite pris un cheminement non-conventionnel tant dans le domaine politique que dans le domaine scientifique ce qui lui a été source de méfiance plus que de reconnaissance. Il a construit une pensée originale en fécondant les intuitions nées de ses premiers travaux par l’inspiration venue d’avancées internationales en différents domaines et a développé des collaborations surtout en Italie, en Espagne et en plusieurs pays d’Amérique Latine. Elles ont été très appréciées et une quarantaine d’universités lui ont décerné le titre de Docteur Honoris Causa. Chercheur au CNRS il a été un travailleur infatigable, savant parcourant le monde, lecteur tout autant de romans que d’ouvrages scientifiques – et un cinéphile boulimique-, disséminant ses idées et dévorant la vie à plein.


Au cours de cette vie en tourbillon permanent, il a labouré le champ des connaissances sans jamais s’arrêter, creusant un sillon personnel profond et original. En particulier il a pris acte, un peu comme la physique quantique l’a fait dans le domaine du monde matériel, de ce que la complexité du monde échappe, rappelle-t-il souvent, à « toute logique qui exclut l’ambiguïté, l’incertitude [et qui] expulse la contradiction ». Et ceci concerne autant la physique et la biologie que la vie humaine et sociale. Il lui parait indispensable que chacun puisse accéder à ces apports de la connaissance et qu'une réforme de l'éducation accompagne la réforme de la pensée. Pour pouvoir cheminer résolument dans cette vie qui est la nôtre, en prenant le parti d'Eros, de l'amour, du bien vivre, contre celui de Thanatos, de la mort.


Pour ceux qui le découvrent ou veulent le redécouvrir à l'occasion de son centenaire lesquels de ses livres lire ?


Sur sa vie personnelle foisonnante et entremêlée avec sa vie intellectuelle son gros volume Les souvenirs viennent à ma rencontre, publié en 2019 chez Fayard et juste réédité. Sur la réforme de la pensée on peut lire L’Aventure de la Méthode sorti en 2015 au Seuil et qui mêle le contenu de cette réforme et le contexte concret de son élaboration. Il faut lire aussi Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur préparé à la demande de l'Unesco qui l'a publié en 1999 immédiatement en plusieurs langues. On ne réformera pas la pensée sans réformer l'éducation nous dit Edgar Morin. Enfin munis de cette pensée, nous pourrons cheminer autrement selon La Voie, c'est à dire en entreprenant un ensemble de réformes qu'il présente en 2011 dans un volume éponyme (paru chez Fayard) et dont il a donné une version résumée en 2020 (chez Denoël) en l'actualisant Changeons de Voie- Les leçons du coronavirus.

Marc Humbert,

Professeur Emérite à l’université de Rennes, Convivialiste.

Une version courte a été publiée par Ouest-France, le 9 juillet 2021

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