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Billet de blog 8 mars 2022

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Tentatives d’emprises politiques et idéologiques sur la planète entière

Les peuples chrétiens européens n’ont pas été les premiers à entreprendre des conquêtes lointaines assorties d’une volonté de faire adopter partout leur idéologie du monde. Leur tentative a été précédée par l’épopée arabo-musulmane. Elle ne fut politiquement qu’eurasiatique et finalement stoppée, mais elle ressurgit au-delà, sous des formes nouvelles, en opposition forte à l’emprise occidentale.

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Passé et présent de l’effort d’emprise musulmane

A une échelle qui fut eurasiatique, le monde arabo-musulman a tenté de s’étendre dès la naissance de l’islam au 7ème siècle. L’islam se voulant une religion à vocation universelle. Mais les résultats pour importants qu’ils furent, restèrent plus localisés et sans commune mesure avec ceux de l’impérialisme occidental. Certes, à partir de l’Arabie, les conquêtes territoriales vont s’étendre du Sud de l’Europe à l’Inde en passant par le Maghreb, l’Égypte et l’Asie centrale, avec des influences jusqu’en Chine. Mais leur emprise va demeurer limitée, bien que relayée ensuite par l’empire Ottoman qui vint jusque Vienne au 16ème siècle. Malgré son prosélytisme, l’expansion arabo-musulmane semble avoir souvent toléré d’autres religions dans les territoires contrôlés.

Aujourd’hui la religion musulmane selon le dernier survey du Pew research center de 2017 (https://www.pewforum.org/2017/04/05/the-changing-global-religious-landscape/) est la deuxième religion dans le Monde, implantée surtout en Afrique au nord de l’équateur, au Proche et Moyen orient jusqu’en Asie, au Pakistan, au Bangladesh, en Indonésie, en Malaisie notamment. Les musulmans regroupent 24% de la population mondiale, les chrétiens 31% tandis que les Hindouistes sont 15%, les Bouddhistes 7%. Il y a également diverses religions et 16% de la population mondiale qui dit n’appartenir à aucune religion (ce qui ne veut pas dire, mentionne le rapport, qu’ils sont athées). Notons au passage que la religion décriée par une bonne partie des philosophes des Lumières et par Marx qui en faisait l’opium du peuple, reste une pratique humaine généralisée, partout sur la planète.

Le monde musulman a été, après sa belle époque, colonisé et maltraité par l’impérialisme occidental mais une partie fondamentaliste de certaines de ses composantes s’est lancée dans une résistance selon différentes modalités qui ont en commun de mettre la religion au-dessus de tout pour organiser les sociétés. Pour certains la charia, la loi islamique, est au-delà de toute loi civile ou politique. Plusieurs États au Proche et Moyen Orient sont organisés autour d’une préséance plus ou moins forte de cette charia et des militants musulmans s’efforcent de prendre le pouvoir dans les pays où ils ne l’ont pas, mais où la religion musulmane est importante. Une nouvelle poussée de pan-islamisme a été impulsée par l’organisation des Frères Musulmans fondée en 1928. Une frange d’islamistes radicaux a même déclaré le djihad, la guerre sainte contre l’Occident considéré comme l’ennemi de l’islam.

Des groupes terroristes organisés se sont montrés très actifs à la fin du 20ème siècle, comme Al-Qaida fondé en 1988 par Ben Laden au Pakistan qui organisa les attentats de New York en 2001. Ou Daech, l’État islamique, créé en Irak occupé en 2006 et qui a mis en place un califat en 2014 en Irak, Syrie jusqu’en Lybie, et perpétré de nombreux attentats dans le monde, dont ceux de 2015 à Charlie Hebdo et au Bataclan en France. Le Califat a perdu son dernier fief territorial en Syrie en mars 2019 mais ce groupe et d’autres ainsi que ceux qui leur sont rattachés s’efforcent aujourd’hui de se disséminer en Asie et surtout en Afrique subsaharienne où ils sont présents de longue date. Leurs tentatives d’y prendre le pouvoir a amené la France à envoyer des forces d’intervention en 2012.

Ces évènements ont accrédité la thèse de Samuel Huttington sur le choc à venir des civilisations ; thèse présentée d’abord en 1994 en réponse à celle de son ancien étudiant Francis Fukuyama qui voyait dans la chute du mur de Berlin le signe de la fin de l’histoire (Samuel Huttington (1997) Le Choc des Civilisations, Paris, Odile Jacob). Après les attentats du 11 septembre 2001, préparant une riposte américaine, le président George Bush a argumenté la nécessité d’entrer en guerre contre « l’axe du mal » dans le ton d’une véritable guerre de religion (voir Bernadette Rigal-Cellard (2003) « Le président Bush et la rhétorique de l'axe du mal. Droite chrétienne, millénarisme et messianisme américain », Études, 2003/9 (Tome 399), p. 153-162.: https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-9-page-153.htm).

Il est difficile de prédire comment vont évoluer ces révoltes et ces conflits nés dans des populations et des mouvements se réclamant de l’Islam, dans des États constitués à dominante musulmane et/ou à minorité musulmane forte. Ces pays sont aussi nombreux et fort peuplés du sud de l’Europe orientale au Bangladesh en passant par la Turquie ou l’Iran. Ils veulent imposer un autre mode de vie très éloigné du mode libéral occidental et combattent plus ou moins ouvertement les nations qui à un moment de l’histoire les ont dominés et ont essayé de leur imposer la modernité occidentale, des nations qui sont aujourd’hui encore des puissances dominantes sur la scène internationale.

Bouleversement presque complet du monde par l’Europe occidentale

C’est toute l’humanité qui a été bousculée du 16ème au 20ème siècle par l’impérialisme politique et culturel qu’ont exercé, jusqu’au-delà des mers, des pays et des peuples d’Europe occidentale, seuls, puis avec leur « filiale » devenue indépendante, les États-Unis et finalement avec tous les convertis à la modernisation selon le modèle libéral.

Les principaux pays impérialistes mondiaux historiques ont été la Grande Bretagne, la France, ainsi que les États-Unis. Ces derniers, créés par l’indépendance collective en 1776 des 13 colonies (organisées en 1607) vis-à-vis de la Grande Bretagne, ont de fait étendu grandement leur territoire en éliminant ou assimilant la plupart de leurs populations autochtones–achetant la Louisiane, en 1803 à la France, la Floride en 1819 à l’Espagne puis se sont appropriés, certes avec le soutien local des colons, le Texas, et ensuite, en 1848, après deux années de guerre, 40% du territoire du Mexique indépendant. Puis, après une guerre avec l’Espagne, au traité de Paris en 1898, ils prennent possession des Philippines – mais aussi de Porto Rico, de Guam et de Cuba qui sera indépendante en 1902 –et ils ont annexé la même année 1898 Hawaï déjà passée aux mains de citoyens américains ; ceci après avoir acheté en 1867 l’Alaska à la Russie et n’avoir pas hésité en 1853 à menacer d’envahir le Japon en cas de refus par celui-ci d’ouvrir ses ports et son commerce.  Ces pays ont élargi leur emprise sur la planète – en particulier en Afrique- par rapport à ce qui avait été commencé au 16ème siècle par l’Espagne, le Portugal, et les Pays-Bas, et ont été rejoints tardivement, à la fin du 19ème siècle, par la Belgique, l’Italie et l’Allemagne. Les autres pays européens (hormis le Danemark qui a colonisé le Groenland en 1578) sont absents comme acteurs directs de cette domination mondiale.

Très peu de territoires ou/et de pays non-européens ont échappé à cet impérialisme entre le 16ème et le 20ème siècle, véritable écrasement physique et culturel du monde[1]. On peut dresser la liste en quelques lignes des États non colonisés ou/et non placés sous protectorat entre 1500 et 1939. Il s’agit, en Afrique de l’Éthiopie (qui a repoussé plusieurs tentatives mais passa sous contrôle italien entre 1936 et 1941). En Asie, de l’Afghanistan (victoire contre les Anglais en 1841), du Bhoutan, de l’Iran, du Népal, de la Thaïlande (selon certains elle fut protectorat anglais de fait) et du Japon, qui a lui-même colonisé après 1895 divers pays dont la Corée et la Mandchourie chinoise[2]. En Océanie sont restées indépendantes, les Tonga.

Cela signifie qu’hormis ces quelques pays, tous les autres, tous les territoires, tous les peuples non-Européens ont été soumis à des conquêtes militaro-politiques et culturelles. A une exploitation économique de leurs ressources naturelles et humaines, parfois à des massacres, voire des presque génocides – à l’occasion involontaires par la diffusion de maladies inconnues localement-, à des déplacements forcés de population, à de l’esclavage et à l’organisation de la traite d’Africains vers les Amériques[3]. Au lavage des cerveaux par l’inculcation de la religion chrétienne, puis du culte de la Raison scientifique et de l’idéal de la liberté individuelle, bref de la modernité.

L’opinion générale, affichée par la communauté internationale, une fois que l’indépendance a été octroyée ou obtenue de haute lutte par la plupart de ces pays qui furent dominés, a été cependant de considérer que le bilan de cette période était globalement positif pour les populations concernées. Cet impérialisme est tenu pour avoir été porteur de « civilisation », de « croissance économique » et/ou de « progrès[4] ».

On voit là l’efficacité de l’idéologie occidentale et le cœur de l’argument d’autojustification de son emprise sur le monde que je vais présenter à suivre…

[1] C’est ce qu’indique en quelque sorte le titre de l’ouvrage de Serge Latouche (1989) L’occidentalisation du monde, Paris, La Découverte.

[2] La Chine mérite une mention spéciale car elle a maintenu – à la différence de l’Inde, l’autre géant asiatique- une certaine autonomie interne mais elle a dû accepter de céder comme colonies, en 1557 Macao au Portugal, en 1841 Hong-Kong à la Grande Bretagne, en 1895, Taiwan au Japon lequel a exercé ensuite un protectorat de fait sur la Mandchourie en 1931. La Chine a dû en outre autoriser de nombreuses concessions étrangères avec contrôle de son commerce extérieur à partir de 1841. Restant sous la menace d’une intervention des grandes puissances.

[3] Environ 12 millions de déportés principalement au 18ème. Les historiens n’ont pas établi de manière définitive ni cette évaluation ni sa comparaison avec la traite dite arabe qui couvre une dizaine de siècles et la traite intra-africaine liée en partie aux deux précédentes. Mais ce qui est certain c’est que des millions d’Africains en ont été victimes et que les sociétés africaines de départ en ont gravement souffert.

[4] Immanuel Wallerstein (2006) L’universalisme européen – De la colonisation au droit d’ingérence, Paris, Demopolis, p.9. Ce livre est la traduction de Immanuel Wallerstein (2006) European universalism : The rhetoric of power, New York, The New Press.

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