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Billet de blog 26 mars 2025

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Trois terribles défis pour une humanité dispersée

L’humanité part en ordre de plus en plus dispersé pour affronter les difficultés - techniques, sociales, écologiques - qui se dressent devant elle. Il serait pourtant indispensable de faire cesser nos divisions tout autant à l’échelon de la France, de l’Europe que celui de la Planète et passer de postures de confrontation à des engagements de coopération.

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Notre monde est face à trois terribles défis. Le premier, le plus ancien, se renouvelle perpétuellement, c’est celui de la technique. L’essor technique, combiné aux lois générales de la génétique, a fait naître notre humanité primitive. Elle s’est trouvée confrontée au second défi, celui de l’organisation sociale auquel l’irruption du symbolique dans notre préhistoire a permis de répondre, en forgeant un ordre social religieux et politique, toujours instable. Ensuite, nous sommes entrés dans l’histoire, au Néolithique, en torturant la nature par l’agriculture et l’élevage. C’est l’origine du défi écologique que nous avons provoqué par nos progrès techniques, appuyés sur un ordre social devenu étatique. Ce défi pèse comme une menace létale sur les générations futures.
La philosophie libérale a permis la révolution industrielle européenne qui a boosté l’hyper-accélération d’un progrès technique incité à l’illimitation et qui a plongé le monde entier ou presque dans la sidération. Des expositions universelles – avec la Tour Eiffel —, du chemin de fer au train céleste des satellites de Starlink, des opérations à cœur ouvert à « on a marché sur la lune », nous voilà passés de l’ordinateur et du robot à l’intelligence artificielle aujourd’hui : l’outil ne nous sert plus, il va, si ce n’est nous remplacer, nous commander.


L’ordre social étatique, après des vicissitudes, s’orientait après 1945 peu à peu vers une voie démocratique. On espérait que plus aucun être humain ne soit mal nourri et tenaillé par le besoin, ne soit entravé dans sa liberté de penser, de s’exprimer, d’aller et venir. Que les guerres et les violences s’arrêteraient sous l’égide de l’Onu. Que les humains du Nord riche aideraient les humains du Sud pauvre à mener une vie digne et développée. Mais le défi social reste là, au Nord les inégalités et la précarité sont plus criantes et au Sud plus terrifiantes. Partout la démocratie semble en péril.
Même la prolifération démographique (nous sommes 8 milliards) et l’allongement de la durée de vie, interrogent. La planète pourra-t-elle nourrir tout le monde quand les exploits techniques, de l’agriculture et de l’élevage tout autant que ceux du panel fabuleux des produits industriels, mettent en danger les écosystèmes ? L’épuisement de leurs indispensables ressources et leur dégradation générale font ressentir durement leurs effets par le dérèglement et le réchauffement climatiques.


Face à ces trois défis nous sommes trop divisés. À l’échelon planétaire, on quitte le multilatéralisme démocratique de l’Onu et de l’approfondissement des échanges commerciaux. Le retour d'un régime de confrontation des puissances porté par la technique est négatif pour l’ordre social mondial et nous rend incapables de faire face collectivement à la menace climatique.
Européens, nous aurions pu envisager d’être une puissance qui propage à l’échelon planétaire des valeurs évitant la régression sociale, la déliquescence écologique et une humanité pacifiée et coopérative. Mais nos divisions nous ont empêché même de l’imaginer. Depuis le lancement d’ESPRIT en 1984, une succession d’initiatives de recherche dans les technologies de l’information et dans l’économie de la connaissance s’est enlisée dans des marécages des vieux nationalismes. Nos forces de télécommunications face aux GAFAM, nos forces de défense comparées aux dômes de fer et aux Patriotes, à Starlink et aux fusées réutilisables, témoignent de notre terrible affaiblissement lié à notre dispersion et notre inexistence géopolitique. À l’aube de la guerre, Churchill proposa le 16 juin 1940, une fusion de la Grande Bretagne et de la France. Toutes choses égales par ailleurs, ce rappel doit pousser l’Europe à faire plus que de tisser des règlements et de nouer des accords commerciaux et à s’unir pour prendre une place dans le monde tel qu’il est et si ses Etats-membres veulent y survivre dans la liberté et la démocratie.
Français, nous ne nous souvenons pas d’avoir vécu une telle division nationale, alimentée par une structure politicienne dont le peuple majoritairement se détourne. La reconstruction de notre unité passe certainement par les élections municipales plutôt que par la bataille qui sourd déjà pour l’élection présidentielle. C’est-à-dire par une opération de remobilisation citoyenne afin de faire société, faire du commun, ensemble, malgré et même en bénéficiant de nos différences comme des richesses. C’est tout l’enjeu d’une re-civilisation de notre France.

Individus dispersés dans des Etats qui nous gouvernent en connivence avec les puissances économiques et en rivalité avec tous les autres, nous peinons en à former des "nations" de citoyens. A former des communautés politiques pesant démocratiquement sur les gouvernements pour qu'ils mettent au pas les puissances économiques et préservent l'égalité démocratique. D'autant plus que la citoyenneté, support d'une vie politique commune, est une forme de comportement qui recule au dépens de comportements revendiquant la reconnaissance de singularités identitaires. Celles-ci nourrissent des rivalités destructrices des liens sociaux formateurs d'un collectif, de l'intérêt général et du commun à l'échelon politique national. C'est l'enjeu de la survie de la démocratie.

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