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Billet de blog 25 mars 2020

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Les réseaux sociaux, le confinement et mon égo

Huit (malheureux) jours que le confinement (relatif) a commencé, et “tout le monde” semble (déjà) craquer.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

[Note préliminaire : évoquant ici les égos, JE commencerai par LE MIEN (non mais !).

Par ailleurs (ou bien “donc” ?), je sais faire partie des privilégiés, en général, et en ce moment en particulier.

D’abord, l’appartement de 25 m2 que j’occupe dispose d’une petite terrasse (approx. 3 m2) et, surtout, d’une vue imprenable sur les toits de Paris. 

Ensuite, mes bibliothèque, discothèque et dvd-thèque sont bien achalandées – évidemment, tout cela est relatif étant donné l’espace dont je dispose. Pour des raisons plus ou moins obscures, je ne pratique pas le téléchargement, légal ou non : il me faudra donc faire avec ce que je possède uniquement.

Et puis, intermittent du spectacle, j’ai l’habitude des périodes d’inactivité professionnelle parfois longues – été comme hiver. Si j’aime mon métier (on n’a de toute façon pas le droit de dire le contraire), j’entretiens depuis longtemps quelques goûts pour des activités d’ordre intellectuel annexes qui demandent (prennent ?) pas mal de temps.

Enfin, l’ours étant mon totem, rester seul ne me pose pas plus de problème que ça.

Ah oui ! Je précise que, quoique vivant une relation amoureuse forte et sincère depuis plusieurs années, je me suis retrouvé seul lorsque ce gouvernement (que je ne préfère pas qualifier) a annoncé (tardivement) le confinement sans le nommer. De toute façon, mon L et moi avions anticipé cette décision, de même que nous avons choisi, ensemble, de privilégier notre relation à long terme plutôt que répondre à des angoisses immédiates. Je ne sais évidemment quel est/aurait été le meilleur choix au moment où je rédige ces lignes, mais la taille de mon appartement (et du sien) me suggère tous les jours que c’était le plus rationnel nous concernant…

Voilà pour la petite présentation qui n’avait pas pour objectif de magnifier ma situation mais de la décrire le plus objectivement possible. Étant un de ceux qui ne sont rien, il me paraissait nécessaire de me situer avant de développer la suite…]

… Suite qui ne sera pas si longue, d’ailleurs. À vrai dire, elle tient en 1 illustration + 1 mot. 

L’illustration, j’y reviendrai plus tard. Le mot, c’est PEUR (ou bien ANGOISSE(S). Ou encore ses dérivés communs : ESPOIR, COLÈRE, APATHIE, etc.).

Comme beaucoup, je traîne énormément sur le Livre des Visages en ce moment (il faudra vraiment que je me renseigne sur de possibles origines Québécoises). Comme la télévision et le cinéma, qui sont des prismes fascinants quant à l’état d’esprit des sociétés contemporaines, les réseaux sociaux donnent une traduction extraordinaire de l’état d’esprit de celles et ceux qui le nourrissent.

On a pu ainsi constater, dans un premier temps, une sorte d’euphorie (tendance hystérie), avec une multitude de publications humoristiques (il y en avait pour tous les goûts ! Et de nombreuses vraiment drôles... Enfin d’après moi ; ). Inutile je pense de rappeler ici les fonctions du rire quant au maintien de la santé mentale : des gens beaucoup plus calés ont déjà fait ce travail. Sinon, on peut relire (ou revoir) « Le Nom de la Rose » d’Eco (ou Annaud). C’est “Le” ou “Au” d’ailleurs ? Je ne sais jamais…

Bref, ça a duré quatre ou cinq jours comme ça… 

Et puis, dès le week-end dernier, les “blagues” se sont brutalement raréfiées, autant que les déplacements à l’extérieur de chez soi. C’est que, entre temps, on a pris conscience que ça allait durer, cette affaire…

Depuis, les publications traduisant l’angoisse (ou peur, ou espoir irrationnel, ou colère violente) se multiplient comme des petits pains.

             « Oui et…? N’est-ce pas normal ?

             – Alors… »

D’abord, “normal”, je ne sais pas ce que ça veut dire (sauf concernant les repères pour tracer des courbes en mathématiques, vague souvenir de Terminale).

Ensuite, mes “amis” (on parle de réseaux sociaux) ont globalement entre 30 et 70 ans. Ce sont donc des adultes (Certain(e)s évoquent d’ailleurs leurs enfants qui, je cite un exemple : “semblent bien mieux gérer la crise que moi-même.”) Qui plus est, il se trouve parmi elles, parmi eux, un pourcentage non négligeable de personnes qui ont fait de longues études – à commencer par des études d’art, de philosophie, de lettres, de sciences… Un peu comme si tout ce qu’on a appris, ce que l’on continue d’apprendre, s’arrêtait finalement, et systématiquement à la surface des pages parcourues (cette dernière phrase est évidemment méchamment ironique… Une fois n’est pas coutume.)

Et la spirale vicieuse est lancée ! Ça devient rapidement vertigineux…

… Je suis seul(e). Ou pas, d’ailleurs, mais ça revient au même : je me sens seul(e).

J’ai peur (et je m’ennuie : n’allant plus au travail, me voilà plus dépourvu(e) qu’une cigale l’hiver venu).

Je parcours internet et les réseaux sociaux, où je trouve à peu près autant de points de vue différents qu’il existe de personnes qui sont seules, s’ennuient, et vont sur internet et les réseaux sociaux.

Des news m’effraient : je partage…

Des news m’emplissent d’espoir : je partage !

Des (fake) news avérées me parviennent et ça me met en colère : je partage.

Une publication absurde apparaît et ça me fait rire : je partage.

Des débats (indignes des pires cafés du commerce) s’engagent : ça grossit, ça enfle, ça devient insupportable.

Du coup je quitte les réseaux sociaux.

Pour allumer la télévision.

Des news m’effraient. Des news m’emplissent d’espoir. Des news me mettent en colère.

Quinze minutes plus tard, me revoilà sur les réseaux sociaux : je partage, je partage, je partage. D’autant plus qu’entre temps, il y a eu cette annonce du gouvernement, qui contredisait la dernière annonce du gouvernement. Et puis il y a tel ou tel savant qui a dit que… : impossible de ne pas en faire part à mes amis !

De nouveaux débats, où chacun crie ses peurs, hurle ses colères, défèque ses espoirs, avec comme argument ultime : « tu n’as pas le droit de me dire ça : tu veux me casser le moral ou quoi ? »

Ben oui, entre amis, on ne se fait pas des choses pareilles.

C’est là que l’illustration intervient, tableau mondialement connu (parmi tant d’autres : en choisir un est ce qui m’a pris le plus de temps), œuvre qui a sans doute d’autres significations qu’illustrer les lamentables échanges des réseaux sociaux (quoique…)

(Note : je me rends compte qu’un “simple” anneau de Moebius aurait suffi…)

Y a-t-il de la colère dans mes propos ?

Sans doute une once d’agacement, oui (pour rappel : l’euphémisme est le plus cher de mes amis stylistiques). Vraisemblablement l’expression de la frustration de ne pas réussir à dire à mes amis que c’est se confondre en maux que de ne pas sortir, à tout prix et par n’importe quel moyen, de cette spirale délétère.

Échec sur les réseaux sociaux, par mail, par téléphone… Échec de la distance.

Frustration, angoisse, espoir, colère : m’y voilà !

(Et pourtant, je le sais ! Je le sais bien que, si la démarche n’est pas initiée par soi-même, c’est peine perdue que de vouloir la provoquer. Et dire que là, maintenant, je renouvelle la tentative… Estampillé “blog Mediapart”, je me dis que… Mais, dans le fond, je sais bien que…

… Que veux-tu, j’ai, moi aussi, mon lot de contradictions.)

[Note personnelle : revoir d’urgence « Mon Oncle d’Amérique » (Resnais) & relire le célèbre et salvateur « Éloge de la Fuite » (Laborit – petite génuflexion d’usage).]

Montée et descente (M.C. Escher, 1960)

Quelques mots pour finir (il s’agit tout de même de parler essentiellement de cinéma ici !)…

Je ne saurais que conseiller de revoir « Contagion » réalisé par Steven Soderbergh en 2011 (scénario : Scott Z. Burns).

Outre l’effet cathartique évident (et efficace) du film, outre son aspect réaliste autant que visionnaire (entre autre le Day One qui clôt le récit !), outre son casting aux petits oignons et sa mise en scène terrible (dans tous les sens du terme), c’est, avant tout, un excellent film sur les erreurs que nous font commettre nos peurs (c’est d’ailleurs écrit sur l’affiche*). À un moment ou à un autre, chacun des personnages, gagné par ses peurs (encore une fois bien compréhensibles par ailleurs) font une connerie aux conséquences catastrophiques étant données la situation (… sauf, peut-être, le personnage interprété par Kate Winslet. Mais c’est normal, c’est Kate Winslet.)

Avec, évidemment, une jolie palme pour le personnage interprété par Jude Law, qui a fait de la peur son alliée la plus intime : elle nourrit tellement bien sa paranoïa.

 M Le Mot Dit

* Je ne peux m’empêcher de saluer la clairvoyance des distributeurs du DVD qui ont remplacé la formule de l’affiche : « Rien ne se propage comme la peur » par cette autre : « Ne parlez à personne. Ne touchez personne. » On peut être à peu près certain d’une chose : ces décideurs sont magnifiquement passés à côté du film qu’ils distribuaient.

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