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Billet de blog 17 juillet 2017

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Macron : le jeune président-monarque, l’Afrique et le fardeau de l’homme blanc

Fantasme du sauvage africain. Créature an-historique figée au stade pré-logique. « Le fardeau de l’homme blanc » revient alors à le faire entrer dans l’histoire en commençant par réprimer ses bas instincts qui le poussent à produire des enfants comme des rats et menacent la civilisation européenne.

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« Le fardeau de l’homme blanc » est un poème classique de la littérature impérialiste dans lequel l’écrivain britannique Rudyard Kipling exalte l’expansion de la civilisation européenne de par le monde : « Homme blanc, reprends ton lourd fardeau/Envoie au loin le meilleur de ta race/Jette tes fils dans l’exil/Pour servir les besoins de tes captifs/Pour, lourdement équipé, veiller/Sur les peuples sauvages et agités/Peuples récemment conquis/Mi-diables, mi-enfants. »

Le poème de Kipling, dont le sens se révèle de lui-même, renvoie à un complexe psychologique qui pose de manière intrinsèque la supériorité universelle de l’homme blanc sur toute autre « race humaine ». De fait, son discours (bon ou vilain) envers le continent africain semble toujours prononcé de surplomb. Loin de dire alors la réalité, il est souvent pris dans le vertige dû à cette position surplombante. Il en fut ainsi de la seigneurie au Moyen-Âge, de la bourgeoisie face aux serfs et aux paysans. De même que le financier de Wall Street ne comprend rien à la condition ouvrière, peu d’Européens ne peuvent parler de l’Afrique sans que leurs mots soient entachés de généralisations simplificatrices, de préjugés sociaux et ethno-raciaux.

A l’occasion d’une conférence de presse, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, organisée en marge du sommet du G20 à Hambourg le 8 juillet dernier, Emmanuel Macron, à l’instar du philosophe allemand Hegel pontifiant sur l’a-historicité de l’Afrique, nous a livré, en une formule lapidaire, la source du sous-développement du continent noir : « Quand des pays ont encore aujourd’hui sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien. » Achille Mbembé a perçu dans ce langage l’articulation du « nanoracisme », une théorie culturelle qu’il développe dans un de ses ouvrages. Quant à moi, j’y vois la cognitivisation d’une pathologie qui affecte de plus en plus l’intelligentsia française.

En 2005, Hélène Carrère d’Encosse, membre de l’Académie française, avait tenu en Russie, suite aux émeutes des banlieues, des propos sur les familles africaines que le Front national de Jean-Marie Lepen aurait applaudis à pleines mains : « Ces gens, ils viennent directement de leurs villages africains. Or la ville de Paris et les autres villes d'Europe, ce ne sont pas des villages africains. Par exemple, tout le monde s'étonne : pourquoi les enfants africains sont dans la rue et pas à l'école ? Pourquoi leurs parents ne peuvent pas acheter un appartement ? C'est clair, pourquoi : beaucoup de ces Africains, je vous le dis, sont polygames. Dans un appartement, il y a trois ou quatre femmes et 25 enfants. Ils sont tellement bondés que ce ne sont plus des appartements, mais Dieu sait quoi ! On comprend pourquoi ces enfants courent dans les rues. »

Fantasme du sauvage africain. Créature an-historique figée au stade pré-logique. Le fardeau de l’homme blanc revient alors à le faire entrer dans l’histoire en commençant par lui apprendre à réprimer sa sexualité débridée qui produit des enfants comme des rats, transforme les habitations en porcheries, et menace Paris, le cœur même de la civilisation européenne. Surgit dans cette stigmatisation de « l’homme africain », le fantasme raciste ayant conduit, au siècle dernier, à la mise en place d’une politique eugéniste au sujet de laquelle le professeur américain Harry Laughlin (fait docteur honoris causa à Heidelberg, dans l’Allemagne nazie) déclarait que les États-Unis et le Troisième Reich partageaient une « compréhension commune de […] l'application pratique » de principes eugéniques à la « santé raciale». Racistes américains et allemands faisaient ainsi alliance dans l’entreprise de stérilisation forcée des « races inférieures » afin de préserver la pureté et la supériorité blanches.

Au regard de l’horreur que lui inspirent la surpopulation des familles africaines et de l’arrivée des hordes de migrants par vagues effrayantes et successives aux portes de l’Europe, la secrétaire perpétuelle de l’Académie française aurait-elle pu s’opposer au projet raciste américano-allemand ? Lequel correspond d’ailleurs, d’un point de vue moral, à la thérapie de choc appliquée aux économies africaines, qui a davantage détruit les vies africaines et profité aux institutions financières internationales.

Le Danemark, petit pays de 5 millions d’âmes dépressives en rien concerné par la surpopulation africaine, a décidé de participer à l’effort de « stérilisation symbolique » des femmes africaines en affectant 15 millions d’euros à la planification familiale. Si ce plan, annoncé à Londres par la ministre danoise de la Coopération au développement, Ulla Tørnæs, échoue, il ne restera plus que la politique de contrôle des mœurs africaines, dont la première disposition devrait interdire la polygamie. Sinon revenir au projet clandestin américano-allemand pour préserver l’Europe de l’assaut des hordes de pauvres.

Jeune. Dynamique. Maîtrise en apparence des dossiers économiques. Emmanuel Macron nous est apparu à rebours d’une France repue d’elle-même, fatiguée, embourbée dans le passé. Quelle surprise avec le retour surprenant de Macron aux symboles archaïques, à la « grande vieillerie », selon le mot d’Edwy Plenel, marquée par la scénarisation millimétrée de la monarchie républicaine. De fait, Jean-Luc Mélenchon, avec sa chemise au col ouvert, prenant la parole à l’assemblée pour prononcer un discours ancré dans le réel du citoyen, devient l’incarnation de la modernité politique que l’on avait cru voir en Macron. Entre les pyramides du Louvre érigées par François Mitterrand, le dernier véritable président-monarque français, et le Congrès de Versailles auquel étaient conviés les représentants du tiers-état, s’affirme une approche ringarde de l’exercice du pouvoir qui nous fait avancer à reculons. 

L’esprit gaullo-bonapartiste ne disparaîtra guère de la France tant que perdurera un exécutif bicéphale faisant cohabiter un président-monarque, enfermé à l’Elysée dans ses privilèges exorbitants et un premier ministre s’usant à la tâche. En votant Macron, nous rêvions d’une France en marche vers le futur. Nous pensions sortir de cette vieille culture politique que Nicolas Sarkozy a tenté de bousculer en son temps oubliant l’attitude ambiguë du peuple français envers ses rois. Aujourd’hui l’échafaud a disparu. L’ancien lieu des régicides a été rebaptisé Place de la Concorde. Les monarques républicains y sont désormais exécutés pacifiquement au bout d’un mandat de 5 ans sans qu’on touche cependant aux institutions qui les fabriquent.

Nous rêvions donc d’une « démonarchisation » de la république. D’une approche simple, pragmatique de l’exercice du pouvoir, dépouillé des apparats royalistes à l’instar de la fonction de premier ministre en Grande-Bretagne ou de chancelier en Allemagne. Dans ces pays, le suffrage universel est indissociable de la notion de responsabilité, « accountability », tandis qu’en France le président, fort de ses pouvoirs excessifs, n’a quasiment aucun compte à rendre. Il peut jouer aux fléchettes avec ses ministres, changer de premier ministre à l’envi, dissoudre l’assemblée du peuple, et ne peut s’auto-dissoudre que par sa seule volonté. 

La « démonarchisation » de la France confine à un travail de titan. Norbert Röttgen, député CDU allemand, l’a plus ou moins compris lorsque le 15 mai dernier dans le magazine The Economist, il exprimait son scepticisme quant aux propositions de Macron sur les réformes institutionnelles. A sa place, disait-il, « Je me concentrerais sur des étapes pratiques qui donnent des résultats ». Oui, M. Röttgen, c’est pareil pragmatisme qu’on attendait de Macron plutôt qu’une mise en scène ridicule des symboles monarchiques ou des discours insensés sur la surpopulation des familles africaines.

Marc Mvé Bekale

Maître de conférences (Université de Reims)

Dernier ouvrage paru : Méditations senghoriennes : vers une ontologie des régimes esthétiques afro-diasporiques (2015).

Article paru dans le journal Le Temps

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