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Billet de blog 7 février 2012

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L'éxtinction des technosaures : systémes techniques et évolution

Les techniques qui gagnent ne sont pas forcément les meilleures. C’est sur cette affirmation, somme toute évidente, mais qui vient battre en brèche une idée reçue que le journaliste scientifique Nicola Nosengo débute sa balade à travers des objets et techniques disparus ou en voie d’extinction. C'est que le succés (ou pas) d'une technologie fait appel a quatres aspects qui concourent à sa réussite : la question de la standardisation, les stratégies industrielles et les questions de culture technique.

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Les techniques qui gagnent ne sont pas forcément les meilleures. C’est sur cette affirmation, somme toute évidente, mais qui vient battre en brèche une idée reçue que le journaliste scientifique Nicola Nosengo débute sa balade à travers des objets et techniques disparus ou en voie d’extinction. C'est que le succés (ou pas) d'une technologie fait appel a quatres aspects qui concourent à sa réussite : la question de la standardisation, les stratégies industrielles et les questions de culture technique.Ces quatres aspects sont déclinés en prenant en premier exemple l'histoires des technologies de communication, le disque et la vidéo en premier lieu. Alors que, pour le Betamax et le phonographe, on voit qu’une technique pourtant très prometteuse doit attendre l’épreuve des faits et lutter parfois plusieurs années pour s’imposer, le cas du pneumatique montre qu’une technique installée durablement peut disparaître très vite. Comme il l’affirme à propos du Betamax « en somme, l’enregistrement vidéo est, pour la technodiversité, l’équivalent d’une forêt équatoriale ». : il est vain de croire qu’on puisse classer toutes les espèces qui y vivent. Dans le chapitre sur la voiture électrique, l’auteur balaie l’histoire de l’automobile depuis ses débuts pour relever les différents moments où aurait pu s’imposer cette fameuse voiture électrique. Mais dans ce domaine, « on n’a pas une seconde chance ».

Graham Bell et le premier téléphone


Dans un autre domaine, l’idée de départ que la civilisation de l’image conduirait nécessairement à l’avènement du visiophone est battue en brèche par des considérations sociologiques. S’appuyant sur les travaux de Hugh Miller, il nous montre que c’est justement l’absence d’image qui a fait le succès du téléphone. Avec la machine volante, et plus précisément l’équivalent aérien de l’automobile, l’auteur met aussi en avant l’importance de la notion de réseau : le succès d’une technique ne peut se mesurer à l’aune de simples critères d'utilité ou de faisabilité. Une innovation ne peut s’imposer que si l’organisation législative et logistique le permet. En l’occurrence, la mise en place d’un système de régulation du trafic dans le cas de la machine volante représente un obstacle rédhibitoire.


Dans la troisième partie, l’auteur nous montre, à travers les exemples du disque vinyle, de la cassette audio et du fax, que le neuf ne remplace pas toujours l’ancien et que ce que l’on prend pour une nouveauté n’en est pas forcément une. L’histoire du disque, d’Edison au cd, est particulièrement édifiante, car derrière la lutte entre de grosses sociétés comme Philips et Sony pour imposer leur stratégie se cache la sanction du consommateur pour lequel le prix reste une arme fatale. Et face à l’incroyable résistance du disque analogique à son concurrent numérique, Nosengo se demande lequel des deux est finalement le technosaure. L’avènement du fax, quand on voit l’étonnante ingéniosité du pantélégraphe de Caselli, du photophone de Bell ou du bélinographe, nous ramène à une autre question fondamentale : pourquoi vient-il si tard ? En l’occurrence, l’intrication de facteurs fort divers est la cause autant de son apparition tardive que de son avènement rapide.

Thomas Edison et son dictaphone


La quatrième partie, immanquablement, nous conduit sur le terrain de l’évolution des techniques sur un plan général. Le titre de cette partie, « L’origine des espèces », est explicite. Que peut nous apprendre, en matière d’évolution des machines, la leçon de l’évolution du monde vivant ? La question de la standardisation est revue a cette aulne à nouveau frais. La première tentative de normalisation technique massive a été celle des filletages de pas de vis (qui fait que vous pouvez monter n'importe quelle vis sur un écrou de même diamètre) réalisé pendant la première guerre mondiale malgré la résistance des industriels. S'en est suivie un conflit épique entre deux interventant (Whitworth et Sellers) avec la victoire totale du premier. On peut rapporcher ce combat épique de celui entre les systèmes d’exploitation Windows et Macintosh. « Le William Sellers de notre époque est naturellement Bill Gates », nous dit l’auteur, réaffirmant l’impact des stratégies industrielles dans le choix de standards dominants, et notamment la « gestion de l’attente » : faut-il être pionnier ou attendre qu’un autre essuie les plâtres ?


Immanquablement, l’histoire du clavier de machine à écrire est maintenant une histoire convenue, et cité comme un exemple de ce que les nécessités techniques s'imposent même aprés la disparition de leur nécessités (la disposition si spéciale des touches était faite pour empécher l'opératrice de taper trop vite) . Mais Nosengo s’en tire astucieusement en nous proposant un « making of de l’histoire du qwerty », nous narrant comment et pourquoi Paul A. David, dans un article classique, a pris cet exemple désormais célèbre. La question centrale est bien la suivante : qui, « de l’État ou du marché », impose des normes


En guise de conclusion, on a plaisir à retrouver Pitt-Rivers et Butler jadis, mais aussi Basalla, Flichy, et surtout Stephen J. Gould naguère, pour une discussion finale sur les mécanismes de l’évolution et de la spéciation, du processus de changement technologique, « continu et graduel ou discontinu et fait de sauts »Le mot de la fin revient à l’inconnu que l’auteur interpelle : « La technologie n’a pas encore son Darwin, encore moins son Gould. » Et cet appel salutaire se traduit par un autre, qu’on ne ce. ssera jamais assez de répéter, « l’idée que la technologie et la société ne peuvent être pensées séparément ».

Nicola Nosengo,  L'extinction des technosaures : histoires de technologies oubliées, Belin, 2010, 263 pages

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