Marc Tertre (avatar)

Marc Tertre

Education populaire (science et techniques), luttes diverses et variées (celles ci qui imposent de "commencer à penser contre soi même") et musiques bruitistes de toutes origines

Abonné·e de Mediapart

147 Billets

10 Éditions

Billet de blog 12 février 2011

Marc Tertre (avatar)

Marc Tertre

Education populaire (science et techniques), luttes diverses et variées (celles ci qui imposent de "commencer à penser contre soi même") et musiques bruitistes de toutes origines

Abonné·e de Mediapart

Les sciences, de A comme autonomie à Z comme Zététique : B comme « Brevet »

Le nouveau régime de production des sciences, la technoscience, a rajouté (et non pas substitué) au classique « publish or perish » (l’obligation de publier ses découvertes dans des revues scientifiques reconnues) un nouvel impératif, celui de la brevetabilité. Celui-ci constitue non seulement un nouvel impératif économique, mais aussi et surtout une transformation des objectifs même de la science.

Marc Tertre (avatar)

Marc Tertre

Education populaire (science et techniques), luttes diverses et variées (celles ci qui imposent de "commencer à penser contre soi même") et musiques bruitistes de toutes origines

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le nouveau régime de production des sciences, la technoscience, a rajouté (et non pas substitué) au classique « publish or perish » (l’obligation de publier ses découvertes dans des revues scientifiques reconnues) un nouvel impératif, celui de la brevetabilité. Celui-ci constitue non seulement un nouvel impératif économique, mais aussi et surtout une transformation des objectifs même de la science.

Jusque là le régime de connaissance propre à la science se faisait sur la démarcation nette d’avec la technique. « La science c’est ce qui est vrai, la technique c’est ce qui marche. » Evidemment sciences et techniques pouvaient marcher « la main dans la main » Les technique avaient beaucoup à gagner à ce que les sciences découvrent les mécanismes profonds de la matière ou du vivant, à ce que les mathématiques formalisent méthodes de calculs et optimisation des résultats…. De même les sciences bénéficiaient à plein de l’innovation technique, qu’elles incorporaient dans leurs laboratoires (quelles découvertes auraient on fait dans la seconde partie du XX° siècle en génétique sans l’informatique)

Dans le court XX° siècle, les rapports réciproques entre science et technique ont été régis par le mécanisme de « la poule aux œufs d’or » : les sciences n’avaient pas de soucis de rentabilité à terme, la recherche « fondamentale » était censée donner ses fruits « magiquement », sans avoir à se justifier par un gain prévisible. Cette tendance a été consacrée par l’apparition de la « big science » au lendemain de la seconde guerre mondiale. La science a été placée sous le contrôle de l’état par de lourds programmes d’investissement et d’investigation (en particulier via le complexe militaro industriel des usa) qui lui garantissait une autonomie tout a fait appréciable dans le cadre de contraintes acceptables. C’est ce modèle qui est mis en crise actuellement, par la substitution des intérêts privés aux institutions publiques qui régissaient jusque là ce domaine.

La mise en place de cette nouvelle « économie de la connaissance » se fait par une profonde modification de ce qui était jusque là le régime juridique du Brevet. Le brevet garantissait la rétribution pour une période donnée l’invention d’innovations techniques sous forme de dispositifs techniques, et non la découverte de principes scientifiques. C’est ainsi que les molécules ou les vaccins « découverts » par l’industrie pharmaceutique n’ont pu être brevetées qu’à partir de 1968.

Les effets pervers induits par un système garantissant l’innovation (scientifique) sous forme d’une rétribution du brevet sous forme de licences d’exploitations est justement particulièrement visible dans la recherche médicale et l’élaboration de nouveaux médicaments. Elle a entrainé une concentration capitalistique (plus important que dans d’autres domaines extrêmement concentrés, tel l’automobile, l’informatique ou la production audiovisuelle pour ne prendre que quelques exemple) et recentré l’activité des multinationales de la santé vers l’élaboration des « blockbuster », ces médicaments vedettes qui représentent plus de un milliard de chiffre d’affaire par an.

Cette concentration sans précédent entraine paradoxalement une fragilité sans précédent aussi du système dans son entier : il suffit d’une légère modification des règles juridiques ou d’un doute sur un « blockbuster » pour que le système vacille…

Ces problèmes en cachent un autre, encore plus embarrassant : l’épuisement de la recherche médicale qui n’a pas su trouver de médicaments véritablement nouveaux, apportant une nouvelle qualité de vie aux patients (on peut rappeler les trithérapies qui ont changé le traitement du sida, mais c’est l’arbre qui cache la forêt)

Les controverses sur l’utilisation des mécanismes de propriété intellectuelle dans le domaine de la science éclatent plus particulièrement pour ce qui concerne la « brevetabilité du vivant » Il s’agit là en effet d’une dépossession radicale en particulier quand le processus concerne la biologie (les manipulations génétiques en particulier). La possession d’une séquence particulière de gènes est elle attribuable à celui ou celle qui la possède (animal, plante ou humain), ou à la firme, le laboratoire qui l’a découvert ?

L'exemple princeps est celui de Myriad Genetics, une firme américaine qui déposa à partir de 1997 plusieurs brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2 en rapport avec des formes déterminées de cancer du sein. Ce brevet leur offrait l'exclusivité totale des tests de dépistage. Le principe à l’origine du brevet était de breveter la séquence génétique « sensible » et non pas le procédé lui même. Des firmes ayant utilisé un autre procédé de dépistage utilisant la même séquence génétique se sont vu réclamé des droits en fonction des brevets déposés. En Europe, le brevet initial a été contesté par plusieurs institutions dont entre autres, l’institut Curie et l'Institut Gustave Roussy en France et la Société belge de génétique humaine. En 2005, en première instance, l'Office européen des brevets décide d'invalider les brevets de Myriad Genetics[6]. Myriad Genetics fit appel et après avoir réduit une partie de ses revendications initiales, a fini par obtenir gain de cause en novembre 2008[« Le fait de pouvoir ainsi posséder (via les droits qui y sont attaché) « ma » séquence génétique, ma plante (que je cultive par ailleurs, quelquefois depuis des millénaires) est ainsi extrêmement troublante…

Autre mécanisme (là aussi lié à la biologie en général et à la génétique en particulier) extrêmement troublant, c’est quand le scientifique devient démiurge, et fabrique de nouvelles séquences génétiques, modifie le patrimoine génétique voir en crée un de toute pièce.

Le risque dans ces cas là du « brevetage » est lié à une certaine précipitation et à un manque de transparence évident, en rapport avec les sommes considérables investies (étant donné que le processus mondial d’enregistrement du brevet coute plusieurs millions de dollars sans compter le cout des recherches elles même)

Mais le brevetage pose aussi la question de savoir si c’est vraiment la seule et la meilleure méthode de financement de la recherche dans une économie de la connaissance. En informatique par exemple, l’économie du libre montre que d’autres systèmes sont également possible, et que ces règles plus ouvertes sont propice à l’innovation et à la qualité des développements.

Reste que ces développements signifient au final une dépossession du scientifique sur l’objectif de ses recherches et une transformation du régime de fonctionnement de la science.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.