La notion d’objet de science est courante dans la littérature essayant de penser les rapports science et société. La première question à se poser pourrait être alors, qu’est ce qu’un objet de science ? L’objet de science est bien entendu ce qui objective son activité de déchiffrage et de connaissance des univers qu’elle cherche à étudier. La conception qu’on a de cet « objet » a évolué avec l’histoire et la conscience de la science à elle-même pris des formes multiples.
La conception classique de la connaissance scientifique fait de l’objet scientifique un simple médiateur entre le scientifique étudiant la nature et les différentes personnifications de ses recherches. Le schéma organisateur de la connaissance dans la science classique prétend qu’il existe un monde naturel indépendant, contemplé et expliqué rationnellement par le sujet. Le scientifique est considéré comme un sujet unifié, isolé, source de la perception et de la pensée. Le monde extérieur au sujet est conçu sur le mode du réalisme empirique selon lequel les objets sont présents extérieurement à nous, dans une réalité qui existe indépendamment du sujet.
Dans cette conception l’objet est la partie de la réalité que la science étudie. Il s’agit pour la science de le repérer, de le délimiter correctement et de le purifier en dépouillant la réalité des apparences sensibles trompeuses.
Le pur sujet de la science (observateur neutre pourvu d’une pensée rationnelle) découvre les qualités premières d’une partie du monde qui constituent son objet de recherche. Une fois repéré, on peut travailler sur cet objet, rechercher les constantes qui le caractérisent, constantes qui pourront être traduites rationnellement en lois, qui une fois trouvées seront vérifiées expérimentalement. Le savant est le contemplateur neutre d’une nature extérieure à lui.
Cette conception simpliste des objets de science a été considérablement complexifiée par le constructivisme de Gaston Bachelard et de Georges Canguilhem. Dans cette conception constructiviste « épistémologique » de la science, c’est les multiples difficultés inhérente à l’acte de recherche, les pistes abandonnées puis reprises, les expériences, l’incessant retour entre théorisation et mesure, qui entraine chez le scientifique la « construction » de son objet. Cette conception est décrite finement dans « la formation de l’esprit scientifique » de Gaston Bachelard. La science, « réalise ses objets sans jamais les trouver tout à fait, elle ne correspond pas à un monde à décrire mais à un monde à construire ». Ce que reprend Canguilhem. « La nature n’est pas elle-même découpée et répartie en objet et phénomènes scientifiques. C’est la science qui constitue son objet « (Etudes d’histoire et de philosophie des sciences, 1968). Ce « constructivisme épistémologique » est volontiers repris ou défendus par les scientifiques eux même qui défendent en général cette vision de leur activité.
L’objet se dessine dans un mouvement interactif, une dynamique de production de la connaissance, au fil du temps. Il n’est pas là d’emblée, il est précédé par des désignations ordinaires. On repère « l’attraction des corps », on distingue « le vivant de l’inerte », la « maladie » survenant chez les vivants, on remarque les évolutions du paysage terrestre, etc. à partir de quoi la physique, la biologie, la médecine, la géologie, se sont constituées comme science par transmutation de ces référents désignés en des objets de science.
Tout autre est le « constructivisme social » qui postule que les objets scientifiques ne sont pas construit uniquement dans le cadre confiné du laboratoire, mais par une série d’aller retour avec la société tout entière. La réalité sociale et par ricochet les faits sociaux sont « construits ».Or l’activité scientifique est indubitablement un fait social Cela entraine des conséquences directes sur la façon dont ces constructivistes se représentent l’activité scientifique
La « réalité socialement construite » est vue comme un processus dynamique : elle est « reproduite » par des acteurs sociaux agissant en fonction de leur interprétation et de leur connaissance (qu'elle soit consciente, ou inconsciente) de celle-ci. Il s'agit ici de la réalité subjective plutôt qu'objective, telle que nous pouvons la percevoir plutôt que séparée de nos perceptions. En somme, au sens du constructivisme social, l'acteur agit déterminé par ses propres convictions, ses propres motivations, en quelle que sorte sa culture personnelle.
Partant du postulat que les faits scientifiques eux-mêmes sont eux-mêmes les produits de la dynamique de dispositifs institutionnels particuliers, et qu'ils ne sont pas le reflet d'un quelconque "monde des Idées" d'où ils pourraient être tirés , des auteurs comme David Bloor, Barry Barnes et Bruno Latour s'inscrivent dans la mouvance du constructivisme social pour tenter de relativiser la scientificité des faits scientifique d’une façon différentes selon les cas (le principe « fort » selon les premiers, la « théorie de la traduction » selon le second)
Une troisième école constructiviste est donnée par le constructivisme de Bourdieu. Celui-ci est dominé par cinq principes fondamentaux
Notions d'habitus et de champ.
Dimension symbolique de l'ordre social
Une sociologie de l'action : la logique de la pratique
Le poids déterminant des structures objectives
Le poids déterminant des structures objectives
Bourdieu va à la fois s’opposer aux limites des deux courants constructivistes précédemment cité et tenter d’en trouver une synthèse
Cette tentative ne sera pas considérée comme réussie par la majorité des sociologues des sciences qui préféreront tenter d’approfondir les questions posées par la « sociologie de la traduction » (qui essaye de suivre les transformations successives des cultures quand elles passent d’un monde social à l’autre)
Elles constituent pourtant une option tout a fait réaliste bien que se heurtant a de nombreuses difficultés épistémologique pour concilier les deux approches et développer une sociologie enfin réaliste des sciences. ?..