L’affaire du « Médiator », et la façon dont elle a été gérée par les laboratoires Servier, producteurs de la molécule pose une question incidente, mais non sans intérêt, celle de la « communication de crise » que chaque firme met en œuvre lors d’évènements catastrophiques » qui affectent ses relations avec le public et mettent en cause sa réputation, son avenir même. Le dernier évènement en date justifie cette importance. En effet, Libération rapporte que « Le LEEM (lobby de l’industrie pharmaceutique) expulse Servier pour « mauvaise communication » «Leur communication et la façon dont ils ont géré le retrait ne correspondent pas à nos pratiques et pose un risque d’image pour l’ensemble de la profession», confie un cadre du syndicat. » Il est très rare (en particulier en France ou les lobbys n’ont pas bonne presse) que les lobbys interviennent au grand jour. Le lobby pharmaceutique est aussi puissant qu’il est discret. Cette information revêt donc une importance décisive dans les soubresauts de l’affaire, et permet de s’interroger sur la question de la « communication de crise », ses méthodes et les questions qu’elle pose
Cette réaction faisait en effet suite à une révélation retentissante, faite par le même Libération : « Jeudi, notre journal révélait que l’incorrigible Servier avait déclaré, à l’occasion de ses vœux au personnel, que le chiffre de 500 morts constituait «un très beau chiffre marketing». Invoquant une mystérieuse «mafia», il ajoute qu’il ne s’agit en réalité que «de trois morts». Cette déclaration allait susciter l’indignation tant du gouvernement que de l’avocat des malades » Il s’agissait là d’une erreur majeure faite par le dirigeant des laboratoires, que son service de communication allait tenter de corriger dans l’urgence. Aussitôt, Sevier ne communiquait plus, ne répondait plus aux journalistes, avant qu’une déclaration faite par le responsable de la communication tente (mais n’était il pas trop tard) de redresser une situation compromise.
La communication de crise est cette branche de la « communication des entreprise » qui tente de répondre à une situation d’urgence, a une catastrophe naturelle, à une erreur grave de l’entreprise afin d’en limiter les conséquences pour elle. Elle possède des caractéristiques tout à fait spécifiques et est gérée par des méthodes totalement différentes de la communication « traditionnelle ». Ses spécialistes sont en général issus de mondes différents de la publicité (hégémonique dans celui de la « communication » généraliste).
Le premier point qui crée une différence essentielle, c’est la question du temps. Dans une situation de crise, les évènements sont souvent imprévisibles et contingents. De plus, il faut réagir vite : au plus fort de la crise, les réactions doivent être instantanées… Il faut également éviter les déclarations intempestives (comme celle du PDG qui met l’entreprise dans une situation périlleuse)
Un autre point essentiel est le caractère « stratégique » de la communication de crise. La crise n’est pas la guerre, mais cela y ressemble fort. L’entreprise se retrouve face à des adversaires potentiels, des alliés qui peuvent la lâcher à tout moment, un terrain qui a sa spécificité (la communication « grand public » n’a rien a voir avec la communication « institutionnelle ») et des rapports de forces qui se nouent selon les développements de la crise. Stratégie égal terrain plus troupes plus rapports de force.
Il convient de choisir une stratégie avant le début de la crise, et s’y tenir. Rien n’est plus dommageable pour l’image de l’entreprise qu’une stratégie qui change en cours de route, donnant aux protagonistes l’impression (pas fausse) d’une mauvaise fois insigne. Il faut évidemment prévoir les évènements avant qu’ils ne se produisent, ce qui n’est pas toujours possible, mais l’est souvent. Une compagnie aérienne sait qu’elle peut être confrontée à un accident d’avion, une marque d’automobile à un défaut de sécurité dans un de ses véhicules. Pour Servier, elle ne pouvait en aucun cas être « surpris » de cette catastrophe, ayant eu à gérer le même problème avec un autre de ses médicaments, l’isoméride.
La communication de crise distingue trois catégories fondamentales de stratégies de crise : la reconnaissance, le projet latéral, la dénégation. La première implique de reconnaitre de façon pleine et entière le dommage qu’on a procuré. La seconde utilise toutes les possibilités de trouver un bouc émissaire, et la troisième refuse d’accorder au problème le moindre début de reconnaissance. Evidemment la première implique qu’on puisse mettre en œuvre une politique de réparation des dégâts posés. Et la seconde est difficile à mettre en œuvre dans un système pyramidal tel que l’est Servier, très identifié à son fondateur. Mais la troisième est aussi la plus difficile à tenir dans le temps : difficile de nier l’évidence, quand les preuves s’accumulent, que les témoignages se multiplient. C’est pourtant le système qu’a choisi Servier (sans doute parce que les autres solutions étaient impraticable pour eux, pour de multiples raison.
La mauvaise appréciation du « terrain » : sur quelle scène je joue (la scène « institutionnelle » ou la scène « grand public ») est également une erreur qu’on peut imputer à leur système de communication. La grande froideur de leurs déclaration a choqué ceux qui étaient victime de leur produit, et plus encore ceux qui sont simplement inquiet, en attente d’en savoir plus. Les laboratoires Servier ne sont pas des débutants dans le domaine de la communication de crise, mais jusque là ils ont été surtout confrontés à des interlocuteurs qui évoluaient dans le domaine de l’état (quand ils ont été confrontés à la baisse du remboursement d’une partie de leur produits) ou des autorités sanitaires (lors du problème similaire créé par l’Isoméride, et du retrait des produits « coupe faim » dont ils étaient producteur, dans un premier temps par les autorités américaines)
Cet ensemble d’erreur a culminé dans celle de la mauvaise appréciation des rapports de force : mes amis, mes ennemis, mes partenaires, mes adversaires, mes concurrents, tout cela pèse sur la situation d’une façon décisive. Or de nombreux « partenaires » de Servier ont choisi la stratégie autrement gagnante du « bouc émissaire », et ont choisi Servier comme cible et responsable unique de la situation. Or si les responsabilités de Servier sont réelles, celles de tous ceux qui l’ont laissé faire en connaissance de cause le sont tout autant. La question (incidente encore une fois) de la « communication de crise » et de ses enjeux doit nous inciter à faire la lumière là où elle doit être faite, en ne se laissant pas abuser par d’habiles stratégies.